La naissance du Jeu du volant, ou la mésaventure d'un Amour étourdi (contribution à la mythologie du badminton)
Dans le Salon des Jeux de l'Hôtel de Lassay (résidence officielle du président de l'Assemblée nationale, à Paris), l'un des six tableaux réalisés par François-Joseph Heim, ornant les dessus-de-portes, représente des Amours s'adonnant au Volant !
François-Joseph Heim, Le Volant, Salon des Jeux de l'Hôtel de Lassay, Paris
Ce salon doit son nom aux Amours ailés, représentés sur chacun des six dessus-de-porte,
s'adonnant à différents jeux : Le jeu de boules, La main chaude, L'escarpolette,
Le saut de mouton, Colin-maillard et Le volant — © Assemblée Nationale
Mais ces insouciants angelots, aux délicates ailettes, savent-ils que le divertissement qui les égaye tant serait né d'une tragédie ? Un drame où l'un des leurs, certes un peu trop présomptueux et intrusif, s'est fait copieusement rosser, puis plumer, par un cortège de vierges furibardes. Une ribambelle de Nymphes, inconditionnelles de Diane, chasseresse à l'éternelle virginité, plus farouches qu'effarouchées, lui firent chèrement payer sa téméraire impertinence ! Ce drame qui remonte à la Grèce Antique, époque où Dieux et Déesses ne faisaient pas dans la demi-mesure, s'est achevé dans un bain de plumes ! Des restes promptement mis à profit pour disputer la toute première partie de volant, manière de célébrer la victoire de la Chasteté sur l'Amour (charnel) !
Le récit, aussi incroyable qu'ébouriffant, de ce big-bang ludique, prélude à la naissance du badminton, a été mis en vers, il y a trois siècles et quelques poussières d'années, par un fantasque jésuite, poète à ses heures et tripatouilleur de mythologies : le Père de La Sante [1] (à moins que ce ne soit l'un de ses disciples...). Si l’original de cette ode en latin reste encore à découvrir, fort heureusement pour les historiographes du badminton, Louis-Marie Barjot, un Commissaire de Marine, en a fait état en 1806 dans son Éloge du Jeu de paume (voir ci-après, la reproduction de ce passage) ! [2]
[1] Très certainement, le Père jésuite Gilles-Anne-Xavier de La Sante (1684-1762).
[2] Louis-Marie Bajot, Éloge de la paume et de ses avantages sous le rapport de la santé et du développement des facultés physiques, Paris, Imprimerie Didot Jeune, 1806 (il s'agit de la 1ère édition - quatre autres suivront), p. 139. Disponible sur Gallica BnF : ICI. L'édition de 1824 a été réédité en 2018, aux Éditions Hachette BnF.
Mais avant de plonger au cœur de ce moment fondateur du jeu du volant, rappelons quels petits sacripants sont les Amours, ces anges potelés, armés d'arcs et de flèches, qui totalement ou partiellement dénudés, décochent des traits, gorgés de désir, sur de belles ingénues. Principalement des naïades, nymphettes, et autres gracieuses jeunes filles qui, le plus souvent, se plaisent à étaler leurs beautés charnelles dans des décors bucoliques (à la lisière de contrées où rodent Satyres, Faunes et autres Hommes des bois…).
Les flèches d'argent de ces Cupidons, nés de l'union charnelle (et adultérine) entre Vénus, la plus belle des plus belles des déesses, une séductrice hors pair, et Mars, Dieu de la guerre, la vaillance incarnée, embrasent et ensorcèlent les cœurs qu'elles transpercent. Les dards tirés, souvent à l’aveuglette, par ces mini-dieux de l'amour érotique, déclenchent les passions amoureuses, impulsent le désir, suscitant attractions et aimantations sexuelles.
Selon la mythologie, les jeunes filles touchées par la flèche d'un de ces malicieux poupons tomberont éperdument amoureuses, et s'offriront à la première personne rencontrée, victimes d'un coup de foudre aux pouvoirs ravageurs ! Aussi, cet enfant potelé, au sexe de chérubin (a priori donc peu dangereux), parangon d’innocence et d’insouciance, peut semer le chaos dans la cité, affolant les cœurs jusqu’à les rendre incontrôlables.
Cupidon (étymologiquement désir passionné) était ainsi considéré comme l'ennemi par excellence de la chasteté. Au Moyen-Âge, des philosophes et théologiens de l'Amour le considéraient comme un « démon de la fornication » (Daemon fornicationis). Celui qui pousse exclusivement vers l'amour charnel, la recherche effrénée, insensée et désordonnée du plaisir sexuel. « L'amour suscité par Cupidon est torturé par l'idée de désir », la quête irraisonnée, irrationnelle, de la jouissance physique (et non de la satisfaction spirituelle, de la félicité). C'est un amour « vicieux » et démoniaque, contre-nature, quasi lubrique. Rien à voir avec l'amour courtois codifié, « empreint de raffinement et de sophistication », avec l'amour divin et/ou esthétique, de la beauté contemplatif [3].
[3] Cf. Carlos Heusch, « Polysémie de l'amour dans le Moyen Âge ibérique », Cahiers d'Études Hispaniques Médiévales, 2015/1 (n° 38), pp. 11-27. Disponible sur Cairn.Info Ici.
Aussi, celles qui à l'instar de Diane, farouche gardienne d'une chasteté à toute épreuve, n’apprécient guère les assauts de ces angéliques archers, sortent leurs griffes au moindre geste ciblant leur innocence !
Un Amour à la témérité irréfléchie fit un jour la cuisante expérience de cette intransigeante opiniâtreté. Mal lui pris de s'introduire « en étourdi dans la demeure de Diane » et de ses compagnes les Nymphes, puis de s'enhardir en bandant son arc, tout en accompagnant « l'insulte d'un rire moqueur »... Pointer ainsi ces vierges avec des armes sacrilèges, menacer aussi directement leur honneur, en faisant mine de les percer, même pour de rire, déclencha le courroux des vertueuses jeunes filles qui se déchainèrent sur l'audacieux, l'inconscient, vite transformé en punching-ball. Elles « le frappent, le meurtrissent sans pitié, se le renvoient l'une à l'autre, le tourmentent et l'accablent, au point que l'infortuné tombe sous leurs coups, victime de sa folle audace ».
Illico, pour fêter cette victoire, la plus cruelle s'empresse d'arracher les plumes de ce petit brigand et de les planter dans le liège constituant le fond de son carquois, fabriquant « ainsi le premier Volant, emblème, ajoute le Père La Sante, de la légèreté du beau sexe.
L'arc est aussi transformé en raquette, et de-là s'est répandu chez les humains le jeu de volant. »
Louis-Marie Bajot, Éloge de la paume et de ses avantages sous
le rapport de la santé et du développement des facultés physiques
Paris, Imprimerie Didot Jeune, 1806 (1ère édition), p. 139.
Disponible sur Gallica BnF : Ici
Ainsi cet inoffensif passe-temps, pour enfants-sages, serait né du combat entre la Chasteté et l'Amour (charnel). Un combat dont la Chasteté est sortie, ce jour-là, vainqueur et où un Amour, aussi imprudent qu'effronté, s'est fait allègrement mutiler, donnant naissance, à son plumage défendant, aux instruments qui allaient permettre l'éclosion du badminton !
Georgette Agutte (1867-1922), Femmes jouant à la raquette, non daté
Peinture sur fibrociment — 119 x 204 cm — Musée de l'Hôtel-Dieu, Mantes-la-Jolie
Publiée dans Sport ! quand les musées font équipe, Paris, Somogy éditions d'art (sous la direction de), 2009, pp.160-1621
© Somogy éditions d'art et Section fédérée Île-de-France de l'AGCCPF
Le Père de La Sante a, sans doute, revisité une scène mythologique où les nymphes de Diane profitent de l'endormissement d'Amours pour briser leurs arcs et flèches, ces traits odieux (Jean-Baptiste Rousseau) [4], et taillader leurs ailes. Une scène qui, au XVIIIème siècle, a inspiré un tableau de Francesco Albani, intitulé Les Amours désarmés par les nymphes de Diane (voir reproduction ci-dessous).
[4] « Diane », Cantates, Jean-Baptiste Rousseau. Voir Ici.
Francesco Albani, dit aussi l'Albane (d'après),
L'Amour désarmé par les nymphes de Diane, 1600-1700 (exposé au Louvre) :
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