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Publié par L'Abbé Clément

    Ce poème moraliste, d'un ecclésiastique du XVIIIème siècle, rappelle que s'il faut à l'enfance de l'amusement et aux études du relâche, il convient de se méfier qu'un divertissement (initialement accordé comme délassement entre deux phases de travail) ne se transforme en une passion dévorante, obnubilant, se substituant aux apprentissage scolaires et religieux...
    De récompense, par le travail méritée, le jeu, par sa privation, devient dès lors punition :

« Un enfant, joli comme un cœur
Récitait à trois ans plusieurs fables par cœur,
Savait son catéchisme, et commençait à lire.
Je n'ai besoin de dire
Que de sa mère il était le bijou,
Et que, sans le gâter, son père en était fou.
Trop s'appliquer nuit à l'enfance ;
Il lui faut de l'amusement.
La mère le sentit. On achète un volant,
On le donne au petit, comme une récompense
Du devoir fait diligemment.
L'enfant, armé de sa Raquette,
Ne s'occupe plus que du jeu ;
Pour son volant il est tout feu :
Dix fois par jour, en public, en cachette,
Il s'exerce ; c'est là son unique recette.
De catéchisme, point ; de lecture, très peu.
Tant il fut procédé, qu'enfin la chère bonne
Va dire à la maman que le petit garçon,
Au lieu d'apprendre sa leçon,
Malgré sa remontrance, au seul jeu s'abandonne.
La mère fait venir l'enfant,
Lui reproche ses torts, et reprend le volant.
Mon fils, je veux bien qu'on s'amuse ;
Mais quand de mes bontés je vois que l'on abuse,
Je sais comment il faut punir :
Du volant enlevé perdez le souvenir.
Croyez-vous qu'en jouant on acquiert la science ?
Je ne saurais, mon fils, trop vous le répéter,
Le jeu pour les enfants est une récompense ;
Et c'est par le travail qu'on doit la mériter.
Le petit, mis en pénitence,
Prouve, les yeux en pleurs, le cœur plein de soupirs,
Que souvent nos chagrins naissent de nos plaisirs

L'abbé Clément.
 

    Ce poème, qui s'adresse aux enfants bien éduqués (raisonnables, studieux et obéissants), sera régulièrement republié tout au long du XIXème siècle dans nombre de fabliers visant à l'éducation de la jeunesse, à son édification, par le recours aux fabulistes les plus pertinents en la matière (voir recensement en fin d'article des republications rencontrées).
        Il a été composé par L'Abbé Clément, chanoine de l'église Saint-Louis du Louvre (détruite en 1811), poète, fabuliste à ses heures, (un peu) plus connu pour avoir publié, en août 1757, Réflexions sur la Vieillesse (Paris, Mercure de France).
    La première édition de L'Enfant et la raquette daterait de 1764, chez le Libraire Claude Hérissant... (un poème portant le même titre mais totalement différent sera publié en 1869 par Raymond de Belfeuil et prochainement présenté sur ce même blog).
    Mais, la première publication que nous en ayons trouvé (et ici publiée) figure dans un Fablier des enfans, daté de la toute fin du XVIIIème (1799-1800), aux pp.42-44. Un recueil, contenant des « fables à la portée du premier âge et des moralités applicables à ses goûts » (comme indiqué dans son avis aux lecteurs), ou encore des fables « à la portée de l'intelligence des enfants et dans lequel l'allusion conduit toujours au développement d'une vérité utile » (comme mentionné dans une édition de 1838).
    Certaines des publications qui suivront comportent de légères variations (de termes, de ponctuation, de notes de bas de pages). Les deux premiers vers notamment se transformant en Un enfant, joli comme un cœur / Et pour l'étude plein d'ardeur (comme dans le Choix de Fables Françaises, publiées en 1847, par B. E. Rigaud. Une « erreur » que l'on retrouvera ensuite dans plusieurs reprises du poème).

   Cet apologue (court récit en prose ou en vers dont on tire une leçon morale) fait écho au quatrain accompagnant une gravure réalisée par Bernard Lépicié à partir du tableau de Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779) intitulé La Gouvernante, réalisé en 1739 (voir reproduction ci-dessous).
    Une scène intime, toute en délicatesse, de la vie domestique où une jeune servante réprimande affectueusement un garçonnet, en tenant dans sa main son tricorne qu'elle achève de brosser. L'enfant qui se tient devant elle, ses livres d'étude sous le bras, baisse les yeux, en signe d'écoute et de respect. Posés au sol, en désordre, des jeux à regret trop vite abandonnés, quelques cartes, une raquette et un volant !
    La gravure est accompagnée de quatre vers, signés Lépicié (1698-1755), laissant entendre que l'enfant, au minois hipocrite serait plus sournois qu'il n'y parait. Une interprétation à laquelle il est difficile d'adhérer, même si effectivement on peut penser que cet écolier préfèrerai continuer à jouer au volant et s'empressera certainement d'y retourner dès qu'il le pourra :

« Malgré le Minois hipocrite
Et l'Air soumis de cet Enfant
Je gagerois qu'il prémédite
De retourner à son Volant.
»

« La Gouvernante », Gravure de Bernard Lépicié d'après un tableau de Jean-Baptiste Siméon Chardin (1739)

« La Gouvernante », Gravure de Bernard Lépicié d'après un tableau de Jean-Baptiste Siméon Chardin (1739)

    Ce tableau de Chardin a également fait l'objet d'une gravure en mezzotinte (un procédé en taille-douce développé au XVIIème siècle permettant d'obtenir des gammes de tons du noir uni au gris clair), réalisée par l'artiste anglais Thomas Burford. Avec, à la différence de la gravure de Lépicié, les personnages placés dans la même position que dans l'œuvre originale de Chardin (voir ci-dessous).

 

« The Governess », Thomas Burford (d'après Jean Siméon Chardin), Circa 1739-1770 - Dim. 349 x 250 mm - © The Trustees of the British Museum

« The Governess », Thomas Burford (d'après Jean Siméon Chardin), Circa 1739-1770 - Dim. 349 x 250 mm - © The Trustees of the British Museum

Source de l'image : The British Museum.

 

Jean Siméon Chardin, « La Gouvernante », 1739 - Dim. 46,7 x 37,4 cm.

Jean Siméon Chardin, « La Gouvernante », 1739 - Dim. 46,7 x 37,4 cm.

    N'oublions pas que l'enfant bien éduqué, de l'aristocratie et de la bourgeoisie cultivée et montante du XVIIIème, devait savoir se montrer honnête, gentil et obéissant, ni menteur, ni gourmand ! (comme rappelé dans l'Alphabet, illustré des jeux de l'enfance, édité en 1853) (voir document illustré ci-après).

    Le jeu du volant était alors considéré et présenté comme un amusement convenable, un anodin délassement de l'esprit et une récompense pour les bons petits enfants qui, s’ils avaient travaillé avec soin, pouvaient s'y adonner dans le salon (en faisant, bien sûr, attention de ne rien casser, nous y reviendrons dans un prochain article). Les « deux belles raquettes et [le] joli volant » était leur gratification :

« Chaque jour vous ferez deux belles pages d'écriture.
Vous étudierez quelque nouvelle leçon.
Et quand votre tâche sera remplie, nous pourrons jouer au volant dans le salon.
Voyez-vous ces deux belles raquettes et ce joli volant ?
Travaillez avec soin, nous les essaierons cet après-midi.
Je suis sûr que ce jeu vous plaira beaucoup.
 » [1]

 

[1] Cf. Hippolyte-Auguste Dupont [instituteur], Nouvelles lectures graduées. Récits sur les premières connaissances usuelles. Ouvrage propre à développer l'intelligence des enfants […], Paris, E. Ducrocq Éditeur, 1853, pp. 79-80. Source Gallica-BnF.

Alphabet illustré des jeux de l'enfance, Metz, Typographie Dembour et Gangel, 1850.

Alphabet illustré des jeux de l'enfance, Metz, Typographie Dembour et Gangel, 1850.

Recensement chronologique des publications où apparaît le poème de l'Abbé Clément, « L’Enfant et la raquette ».
Disponibles sur le site Gallica BnF.

    La gravure de Lépicié a été reprise et colorisée vers la fin du XIXème siècle pour illustrer un chromo publicitaire édité par le Grand Magasin parisien Au Bon Marché :

« La Gouvernante », Chromo publicitairé édité par le Grand Magasin « Au Bon Marché » - Collection particulière

« La Gouvernante », Chromo publicitairé édité par le Grand Magasin « Au Bon Marché » - Collection particulière

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M
Vraiment très intéressant et instructif. L'article est très détaillé. Continuez, c'est passionnant.
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