Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Suivez-nous sur Facebook

 

The Graphic, 14 may 1871, Battledoor and shuttlecock, Alfred Perceval Graves


    Cette gravure anonyme, de trois jeunes ladies en robes amples, ajustées à la taille et à manches pagodes (larges, tombantes, évasées, à la chinoise), caractéristiques du milieu de l’époque victorienne, échangeant un volant avec des raquettes tendues de parchemin (ou de vélin), a été initialement publiée en pleine page de l’hebdomadaire britannique illustré The Graphic du 13 mai 1871 (p. 438). Un journal «novateur et d'une qualité artistique supérieure», créé par un artiste graveur sur bois, William Luson Thomas, persuadé de l'impact de l'illustration sur l'opinion publique. The Graphic offrait ainsi nombre de somptueuses gravures (1000 à 12000 annuellement), imprimées sur un papier de haute qualité (voir «The Graphic : la vision de la Commune dans un journal anglais»).

   L'image illustre un poème d'Alfred Perceval de Graves (poète, compositeur et folkloriste irlandais), figurant à la page suivante. Une romance où le délicat et bucolique jeu du volant (battledoor and shuttlecock) donne l'occasion de célébrer la printanière arrivée de la saison des amours :

The Graphic, 14 may 1871, Battledoor and shuttlecock, Alfred Perceval Graves


    L'ensemble sera republié le mois suivant à New-York dans le magazine hebdomadaire politique américain, The Harper’s Weekly, du 10 juin (p. 532). Inséré sous l'image, le poème y est présenté sur quatre colonnes :
 

Harper’s Weekly, 10 June 1871, Battledoor and shuttlecock, Alfred Perceval Graves
Alfred Perceval de Graves, battledoor and shuttlecock», Harper’s Weekly, 10 june 1871
Alfred Perceval de Graves, «Battledoor and shuttlecock, Harper’s Weekly, 10 juin 1871, p. 532


One balmy blissfull morn in May

    Par un matin doux mois de mai aux enivrantes senteurs, « temps des jeunes filles en fleurs » et des amourettes, mois où les sens s’émoustillent, l’auteur du poème, peinardement allongé derrière une meule de foin (cock of hay), observe en catimini trois Nymphes jouant au battledore and shuttlecock (Lady Charlotte, Kate et Nancy).
    Tandis qu’Otho, son complice, dessine, il se grille une cibiche (calmly smoking), tout en s’imaginant les belles joueuses plus légèrement vêtues (most lightly clad) : Naïades fraîchement sorties de l’océan (Fresh from the ocean) se transformant en de timides et sèches Dryades (From shy dry Dryads) pour s’allonger dans les herbes aplaties par le plaid du berger (In time-worn weeds of shepherd's plaid).

    (Dans la mythologue grecque, les Dryades, ces nymphes sylvestres protégeant la nature et guidant ceux qui traversent les bois, sont souvent présentées comme de jeunes femmes très belles et libres, vierges et rebelles.)

    Le duo est ensuite rejoint par un troisième compère : Vane un peu essoufflé (Beneath his breath) (sans doute car il n’est pas aussi matinal que ces carly-rising girls). Lui aussi, sort son carnet à dessin et, pour se venger de l’indifférence des demoiselles, entre deux œillades volées à la dérobée (by stolen peeps), se plaît à croquer le spectacle offert par ces beautés.

    Alfred, notre rimailleur (sans doute également surnommé Freddy par ses copains), en profite pour laisser musarder son esprit. Dodelinant de la tête (with head askew) (au rythme des volants échangés), il s’extasie du bouchon (cork) qui vole tour à tour d’une belle à l’autre (Fliest in turn from fair to fair), passant de Kate à Nancy. Une pretty pair qui fait palpiter son cœur et le trouble profondément («Thus flies my heart with fluttering care […] I rather fancy»).

    Comme il était alors de coutume au jeu du volant, les joueuses égrènent le nombre d’échanges réussis. Ainsi, au gré des va-et-vient, ballotté d’une raquette à l’autre, le volant tournicote tel un cœur à prendre, indécis et inquiet de son sort. Cœur ému, livré aux caprices des insouciantes demoiselles qui mènent le jeu.
    Jusqu’au moment où le jouet de ces dames choit au pied de Kate, comme un heureux présage…

    La douce Ethel, elle, ne semble nullement intéressée. Sa raquette gît au sol, abandonnée. Elle apparaît en arrière-plan, dans le coin droit de l’image, telle une sainte statue, sentinelle hiératique observant ses compagnes. Son esprit est ailleurs.
    Peut-être rêve-t-elle d’Otho, sur l’amour duquel elle peut compter («He loves you well ! I think you may / Count upon Otho»)…
    Otho est son destin ! My Otho’s Clothomon Otho c’est Clotho»), insiste le poète, faisant référence à la plus jeune des trois Parques (ou Moires), ces divinités présidant à la destinée humaine dans la mythologie gréco-romaine. Clotho, dite La Fileuse, ne tisse-t-elle pas le fil de la vie sur son fuseau…
 

Page originale du Graphic - © Illustrated London News Group. Image created courtesy of The British Library Board

 

    Une brise impromptue va brusquement mettre fin à ces errances lyriques. Emportant, jusqu’au pied du rêveur, un volant vagabond, buissonnier (truant shuttlecock) poursuivit par un carillon de rires (A peal of laughter). Des nymphes dont les joyeux éclats vont déclencher la fuite éperdue des amoureux transis, godelureaux de pacotille !

À lire aussi sur ce blog :
- « Les Jeux de l'Amour et du Volant »
- « Le volant d'amour des Mongs »
- « Le volant aux nues de la poésie »

Remerciements à Jean-Jacques Bergeret (membre de la Commission Culture à la FFBaD) pour l’aide à la traduction et à la compréhension du poème d’Alfred Perceval de Graves.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article