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Jeu du Volant, Chromo, non daté, collection particulière

Jeu du Volant, Chromo, non daté, collection particulière

    La fable qui suit a été publiée en 1869 par Raymond de Belfeuil. Elle conte l'irritation d'un colérique enfant, plus prompt à charger sa raquette de tous les maux qu'à remettre en question ses propres choix, pestant contre cette «maudite [qui] n'est bonne à rien», la jetant de dépit tout en souhaitant «qu'elle périsse» ! Et râlant contre l'imbécile volant, un incapable qui n'en fait qu'à sa tête, girouette affectée par le moindre zéphyr.
    Un constat toujours d'actualité dans les sports de raquettes où quelques énervés, emportés par leur courroux, ne manquent pas de sévèrement punir un instrument responsable de leurs déconvenues. Envoyant valdinguer ou fracassant ce fragile paratonnerre (ou plutôt para-colère) catalyseur de leur rogne. Tous omettant dans leur impétueuse rage que c'est uniquement eux qui l'animent et sont responsables de leurs échecs.
    La raquette constitue un prolongement du corps du joueur, une extension, une sorte de prothèse amovible (qu'il est toujours possible de mettre au rebus et de remplacer par une plus performante, ou perçue comme telle). C'est à cette excroissance, à ce prolongement corporel, que le perdant s'en prend. Pestant contre cette part de lui-même qui fait les frais de son insatisfaction et dont il se débarrasse dans un impulsif et arbitraire mouvement de mauvaise humeur. Une injustice que relève Raymond de Belfeuil  :

« Dans la plaine un enfant jouait à la raquette,
Avec un beau volant qu'abattait fort souvent
Le vent.
De colère il les jette,
En s'écriant : "Ah ! maudite raquette !
Puisqu'elle n'est bonne à rien,
Avec ce sot volant je veux qu'elle périsse !"
Un vieillard qui passait lui dit : "Ce n'est pas bien !
Vous commettez une injustice ;
Votre raquette n'a pas tort ;
Le coupable c'est vous qui restez dans la plaine,
Pendant qu'Éole se déchaîne ;
Il faut jouer chez soi quand il vente si fort."

Nous sommes sans pitié pour les travers des autres,
Et trop indulgents pour les nôtres ;
La Fontaine l'a dit, et le fait est certain :
On se voit d'un œil qu'on ne voit son prochain.
»

Raymond de Belfeuil,
Fables, précédées d'une étude sur la fable et les fabulistes, par Oscar de Poli,
Paris, Charles Douniol, Librairie Éditeur, 1869, pp. 102-103. Source Gallica.BnF


    Dans sa moralité, De Belfeuil fait référence à la fable de Jean de La Fontaine : La Besace (1668) qui prend pour thème l'homme fort pour voir les défauts des autres mais aveugle aux siens. Le fabuliste y dénonçait l'orgueil de ses contemporains prompts à voir le vice uniquement chez autrui.
    Dans cette fable Jupiter demande tour à tour à des animaux anatomiquement disparates, allant du singe à la fourmi, en passant par l'éléphant et la la baleine, de faire «comparaison de leurs beautés». Si chacun se déclare satisfait, si ce n'est fier, de son apparence, tous se montrent critiques (voire moqueurs) à l'égard de l'allure du suivant. Un exercice dans lequel l'espèce humaine excellerait : « Car tout ce que nous sommes, / Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, / Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : / On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain ». (La Besace, Fables de La Fontaine avec les dessins de Gustave Doré, Tome Premier, Paris, L. Hachette et Cie, 1867, p. 18. Source Gallica.BnF)

     Ces deux fables sont une énième version de la parabole christique de la paille et de la poutre, comme rapportée dans l'évangile de St-Luc : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ! »

    En 1822, dans une précédente fable moralisante, Le volant et l'enfant, M. Le Franc blâmait ces enfants excessivement sûrs d'eux, infatués de leur personne, qui trouvent toujours excuse à leurs erreurs. S'ils se loupent ce ne saurait être de leur faute, mais celle d'un fâcheux contre-jour, d'un volant ou d'une raquette inadaptée...

« Le Volant et l'Enfant » (1822)
M. Le Franc

« Il est bien que l'enfance entreprenne et qu'elle ose ;
Mais en tout l'excès n'est pas bon.

Monsieur Fanfan sait prendre un papillon,
Et croît n'ignorer nulle chose ;
A l'entendre surtout c'est au jeu de Volant

Qu'il est savant.

— Voyons un peu cette haute science,
Dit le grand-oncle, fin joueur.

Une salle est choisie ; en place chaque acteur,
Et la partie enfin commence.
Au premier coup le Volant est à bas :
C'est qu'il faut être prêt ; Fanfan ne l'était pas ;
Au second le jour l'incommode.
— Changeons. — Même succès. — D'après votre méthode
J'ai voulu jouer, voyez-vous ;
Je le ferai, s'il vous plaît, à ma mode,
Et je suis sûr de tous mes coups.
— Oh ! pour cela liberté tout entière.
Mais quoi, l'oiseau-bouchon n'en va pas moins à terre !
— Convenez-en, il est trop fort aussi
Pour aller comme il faut ici. —
Au liège épais un plus léger succède.
La raquette est bien lourde à présent. — Qu'on me cède
Celle-ci. — Quoi ? — La vôtre, et je vais vous lasser.
— La voici. — De son mieux il guette
Le Volant, qui s'en vient passer
Au beau milieu de sa raquette.
Il regarde, ô surprise ! et ne voit au cerceau
Pas un cordeau.
— Quoi ! c'est avec ce bois... — Hé oui vraiment ! Écoute :
De son talent joueur qui doute
Ne donne pas dans le panneau. »
 

«L'Enfant et la Raquette» - une fable de Raymond de Belfeuil (1869)

«Fable 12. Le Volant et l'Enfant», M. Le Franc, in Armand Gouffé (1775-1845),
Les Jeux des Jeunes Garçons, Paris, Librairie Nepveu, 1822, pp. 44-45.
Source : Gallica-BnF

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