Y'a du Volant au balcon !
Surplombant ce généreux balcon, un visage solaire, extatique, lumineux, panaché d’une luxuriante crinière, une chevelure déliée, « déchevelée ».
Album de Janry (Philippe Vandevelde et Jean-Richard Geurts)
Le Petit Spirou, n° 7 : Demande à ton père !
Éditions Dupuis, 1997
et venir m’étendre au pied des belles. »
Antoine de Rivarol (1753-1801)
« Heureux qui peut monter sans bruit
Sur l’arbre qui porte ce fruit. »
Anonyme, L’Éloge des Tétons, 1775.
Une fois la sensuelle nudité optiquement embrassée, ce n'est plus l’index du Petit Spirou, mais son appel à l’aide qui réoriente l'attention, la déporte vers un gringalet, un personnage sec et austère, empressé de sortir de l’image, sourd à la demande du gamin.
Cette couverture d’une BD pour enfants, qui flirte avec l’érotisme et emprunte à la caricature anticléricale [2], met en scène deux figures antithétiques : un corps libéré, rayonnant, tout en chairs redondantes, et un corps apeuré, grisâtre, étiolé, avec entre les deux, comme boussole, l’ingénuité enfantine, celui qui à mal ne saurait penser.
Corps épanoui, ouvert, accueillant, offert.
Corps aux charmes époustouflants, s’avançant en fendant l’air, tel une figure de proue protectrice, exposée aux brises câlines, prête à affronter les plus terribles tempêtes.
Une Vénus callipyge aux « volumes étonnants » (Brassens), une académie aux galbes épurés, aux courbes fermes et soyeuses. Ève gironde, toute en rondeurs, aux pommes d’amour à croquer !
Le cureton se carapate, s’éclipse devant l’impudique, l’insolente et démoniaque Splendeur ! Suivant le conseil prodigué en 1675 par l’abbé Boileau (le frère du poète) : « Il y a toujours du péril à considérer attentivement une belle gorge nue » ! [4]
D’un côté l’embrasement, l’abondance, la plénitude, la fraîcheur, une sensualité toute printanière, bourgeonnante, annonce d'une disponibilité sexuelle – de l’autre, l’obscurantisme moyenâgeux, le refus apeuré du Sexe, l’inquiétude, l’anxiété, l’effroi devant la Femme, cette « active alliée du Malin. “Femme tu es la porte du Diable. C’est toi qui as touché à l’arbre de Satan et qui la première a violé la loi divine“, s’écriait déjà Tertullien au IIIème siècle, dans son De cultu feminarum. »
Diabolicus Sinus Mammarum
Au centre, l’enfant-orchestre, celui qui fait causer l’image : le Petit Spirou, hissé sur ses pointes de pieds, qui voudrait bien grandir, mais s’avoue impuissant à récupérer lui-même un volant-phallique, bien calé dans « une des zones les plus séduisantes du corps de la femme » (dixit le site Multiesthétique – plateforme sur la médecine et la chirurgie esthétique). Un entre-seins, ou Sinus mammarum (sillon inter-mammaire), dont l’expansive et prégnante présence, la loquacité, a longtemps posé souci aux hommes d’église.
Au XIVème siècle, les prédicateurs promettaient ainsi la damnation éternelle aux « espoitrinées » qui faisaient étalage de leurs « impudiques mamelles ». La pendaison par leurs « infâmes tétons » était l’un des châtiments expiatoires qui attendait les lubriques pécheresses… [6]
En 1635, le chanoine, Jean Polman, publia un ouvrage dans lequel il fustigeait les effrontées, les sans vergogne, qui font étalage de leurs « poitrines ouvertes » et vont « à tétins nus ».
Avisez donc mes Dames, si vous voulez que votre poitrine désormais soit la retraite du diable ; que votre sein soit la couche de Satan ; que vos mamelles servent d’oreillers aux Démons ; que vos tétins servent d’allumettes à ces boutefeux d’enfer. » [7]
Illustration de la couverture de l'ouvrage du Prêtre Parisien Pierre Juvernay
Discours particulier contre les femmes desbrailléess de ce temps, 1637
Source Gallica-BnF : ICI
Le volant qui a atterri entre les moelleux oreillers de cette super-nourrice n’est-il pas monté au Paradis ? Retour au temps béni, sécurisant, des attentions maternantes et cajolantes, du dorlotage (protection et tendresse).
Mais c’est également un volant phallique, qui rappelle les pénis-ailés de la mythologie romaine. Des amulettes protectrices, des Fascinus (qui arrêtent l'attention et fascinent), incarnations dressées du pénis divin, symboles de fertilité masculine. Un zizi aérien, porte-bonheur, ici planté entre deux majestueux roploplos, comme positionné pour une « fantaisie amoureuse ». Des « amours tétonnières » que les sexologues « désignent sous le nom savant de cinépimastie »… (du grec ciné – relatif au mouvement – et mastie – relatif aux seins…) [11].
Shuttlecock, Short film, Writer/Director Mélanie M. Jones, Crazy8s Film Society, 2018
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C’est une femme toute-puissance, sans peur et sans reproche, qui n’a besoin d’aucune armure.
Une femme amplifiée, hyper-sexualisée, aux formes hypertrophiées, à en devenir étouffantes…
Corps de femme aux « charmes abondants », « nature à la chair généreuse, dessinée pour des siestes mouvementées » (Christian Montaignac) [12].
Soit relever le défi, en se montrant capable d’autant d’amour, en faisant preuve d’un élan vital tout aussi puissant.
Car ce que fuit, l’homme « diminué », le timoré ou coincé, le faiblard, c’est bien le rapport sexuel, la passion charnelle, l’accouplement fécondant. Incapable d’y faire face, dans l'impossibilité d'apporter une réponse à la hauteur du désir qui s’avance.
En tous cas, le volant et ces seins hospitaliers, restent pour lui inaccessibles, malgré ses efforts pour se grandir… (tout comme le sont les revues pour adultes, toujours placées sur les plus hauts rayonnages).
La « poupée » aux seins gonflés et érectiles est une femme conquérante, fantasmatiquement insatiable, et dévorante. Ne trouve-t-on pas dans nombre de mythes et de légendes « des femmes d’une fascinante beauté qui attirent les hommes pour les manger avidement » ? [13]. Ne serait-elle pas l’imago (comme disent les psychanalystes) de la mère castratrice, réactivant « fantasme du démembrement » et de dévoration ?
N’a-t-elle pas chipé à l’enfant son petit volant ? Le dépossédant de son joujou préféré qui, face à ces protubérances, ne semble pas faire le poids… Un accessoire dont la « mère nourricière » s’est emparée et dont l’enfant ne sait si elle va le lui restituer, d’autant qu’il ne peut compter sur la vaillance de son père pour l’aider à le récupérer.
Ce père angoissé, qui se défile, n’a-t-il pas déjà perdu la partie (ses parties ? – le célibat imposé aux prêtres est une castration symbolique).
N’y-a-t-il pas dans cette image la mise en scène de l’angoisse de la disparition du pénis, un pénis-volant qui jusqu’à présent faisait corps avec l'enfant qui l’animait selon son bon plaisir. Objet désormais détaché, menacé d’engloutissement, d'absorption par cette gorge déployée ? N’est-il pas tombé dans un délicieux traquenard ? « Les seins sont toujours de dangereux coupe-gorge » ! [14]
Cette déesse de l’amour (à la libido galopante), cette mère des déesses, ne s’est-elle pas emparée « du phallus fantasmé par l’enfant », tout comme « ces mères phalliques de la mythologie […] castratrices par leur puissance et leur pouvoir de fascination » ? [15]
Petit Spirou finira-t-il par récupérer son coquin de volant ? Affaire à suivre...
La Solution, en image, en toute fin d'article...
Notes :
[1] Pour un large inventaire des noms donnés au sexe de la femme, se reporter à Pierre Guiraud, Dictionnaire érotique, Paris, Payot, 1993, p. 34-38 (1ère édition 1978).
[2] Voir, par exemple, Guillaume Doisy et Jean-Bernard Lalaux, À bas la calotte ! La caricature anticléricale et la Séparation des Églises et de l’État, Paris, Éditions Alternatives, 2005.
[3] Romi, Mythologie du sein, Pais, Jean-Jacques Pauvert, 1965, p. 34.
[4] Cité par Dominique Gros (docteur), Le Sein dévoilé, Paris, Éditions de la Seine, 1988 (1ère édition, Stock, 1987), p. 27. « La vue d’un beau sein n’est pas moins dangereuse pour nous que celle d’un Basilic », déclare encore l’Abbé Boileau dans son ouvrage : De l’abus des nudités de gorge, Paris, 2ème édition, 1677. Disponible sur Gallica-BnF, en cliquant Ici.
[5] Cf. Roland Villeneuve, Dictionnaire du Diable, Paris, Pierre Bordas et Fils, 1989, pp. 148-149 (article « Femme »).
[6] Cf. Dominique Gros, Le Sein dévoilé, Paris, Éditions de la Seine, 1988 (1ère édition, Paris, Stock, 1987), p. 27.
[7] Jean Polman, Le Chancre ou Couvre-sein féminin, 1635, p. 18 et pp. 58-549. Consultable sur Gallica-BnF, en cliquant Ici.
[8] Ibidem, p. 85.
[9] Pierre Juvernay, Discours particulier contre les femmes désbraillées de ce temps, Paris, Imprimerie de Pierre Le-Myr, 1637, p.41 et 47. Disponible sur Gallica-BnF : Ici.
[10] Ibidem, p. 76.
[11] Voir article « Cinépimastie », in Martin Monestier, Les Seins. Encyclopédie historique et bizarre des gorges, mamelles, poitrines, pis et autres tétons. Des origines à nos jours, Paris, Le Cherche Midi Éditeur, 2001, p. 76.
[12] Christian Montaignac, Le Corps blanc d'une amoureuse. Nouvelles de bord de mer, Éditions Romain Pagès, p. 139.
[13] Béatrice Marbeau-Cleirens, Les Mères imaginées. Horreur et vénération, Paris, Les Belles Lettres, collection « Confluents psychanalytiques », 1988, p. 276.
[14] Anonyme, cité par Martin Monestier, op. cit., p. 349.
[15] Béatrice Marbeau-Cleirens, op. cit, p. 277.
- Dottin-Orsini Mireille, Cette femme qu’ils disent fatale, Paris, Grasset, 1993.
- Du Commun Jean Pierre Nicolas, L’Éloge des Tétons, ouvrage curieux, galant et badin, composé pour les divertissements des dames. Avec plusieurs pièces amusantes, 2ème édition, 1775. Disponible sur Gallica-BnF., en cliquant Ici.
Les seins, les grands oubliés de la « dynamique de réappropriation du corps féminin dans ses dimensions les plus intimes […] alors qu’ils condensent toutes les grandes problématiques sexistes et patriarcales » (Interview réalisé par Marlène Thomas pour le journal Libération, « Les seins des femmes, dans toute leur diversité et leur beauté, ont été niés et invisibilisés », 11-12 juillet 2020)
- Juvernay Pierre, Discours particulier contre les femmes désbraillées de ce temps, Paris, Imprimerie de Pierre Le-Myr, 1637. Disponible sur Gallica-BnF : Ici.
Réédité en 1640 sous le titre Discours particulier contre les filles et femmes mondaines, découvrant leur sein, et portant des moustaches, 4ème édition. Disponible sur Gallica-BnF Ici.
- Lederer Wolfgang (Dr), Gynophobia ou la peur des femmes (traduit de l’américain par Monique Manin), Paris, Payot, 1970 (1ère édition, The fear of women, New-York, 1968)
- Marbeau-Cleirens Béatrice, Les Mères imaginées. Horreur et vénération, Paris, Les Belles Lettres, collection « Confluents psychanalytiques », 1988.
- Monestier Martin, Les Seins. Encyclopédie historique et bizarre des gorges, mamelles, poitrines, pis et autres tétons. Des origines à nos jours, Paris, Le Cherche Midi Editeur, 2001.
- Prose Francine, Finley Karen, Simic Charles, La Vie des seins, Éditions Marval, 1998.
- Witkowski Gustave-Joseph-Alphonse, Tetoniana. Les seins à l’Église, Paris, Éditions A. Maloine, 1907, Disponible sur Gallica-BbF, en cliquant Ici.
- Yalom Marilyn, Le Sein. Une histoire, Paris, Galaade éditions, 2010. Titre original The History of the Breast, 1997).
Album de Tome et Janry (Philippe Vandevelde et Jean-Richard Geurts)
Le Petit Spirou, n° 7 : Demande à ton père !
Éditions Dupuis, 1997, p. 1