Lapin Sautter à la sauce Helvète
Le « Lapin » dont il est question dans cette chronique est né 1886, à Hyères (dans le Sud de la France) pour Wikipédia, et selon d’autres « biographies », plutôt succinctes, en Suisse où il vécut effectivement une grande partie de sa vie et dont il possédait la nationalité.
Ce « badminton player » de la deuxième décennie du XXème siècle est également présenté sous différents noms. Dans son encyclopédie du badminton (une référence en la matière), Pat Davis le présente d’emblée comme «Comte Sautter de Beauregard». Ce qui laisse perplexe, car si un Compte Sautter de Beauregard de nationalité Suisse a bien existé, il s’agissait d’un affairiste Genevois (de la banque Lullin & Sautter), connu pour la création d’une compagnie coloniale à Sétif (en Algérie), né en 1826 et décédé en 1885.
Notre lapin serait-il un de ses descendants… un arrière-petit-fils ? Why not !
Ce qui est sûr c’est que son patronyme complet était Guy Alexandre Auguste Sautter, plus connu des historiens (anglais) du badminton sous le nom de Guy A. Sautter ou Guy Sautter, et sous le pseudonyme de «U. N. Lapin» (voir ci-après).
«Un Lapin» fut, dans l’avant et l’après Grande Guerre (14-18), une figure marquante du Badminton et l’un des principaux rivaux de Sir George Thomas (une autre pointure, qui deviendra Outre-Manche une légende [1]).
De 1908 à 1922, il apparaît ainsi à huit reprises dans des tournois de renoms où, bien que Suisse, il est répertorié comme jouant sous les couleurs de l’Angleterre...
Durant cette période, interrompue par la Première Guerre Mondiale, Sautter remporta trois fois, en 1911, 1913 et 1914, le Simple Homme du prestigieux All-England Badminton Championship (AEBC), qui est le plus ancien tournoi de badminton au monde (1ère édition 1899).
Il ne fit pas qu’y briller en Simple, puisqu’il remporta également, à deux reprises, le double Mixte : en 1910, avec l’Anglaise Penelope Dora Cundall (devenue plus tard Penelope Harvey) et en 1913, avec une autre compatriote, M.E. Mayston (plus tard Webster).
Après-guerre, il remontera sur la plus haute marche du podium de l'édition de 1922 du All-England, en Double Homme.
En France, Sautter participa, avec des succès variables, à trois éditions de l’Open de Dieppe (1er tournoi «continental» qui connut six éditions, entre 1908 et 1913) :
- En 1909 (17 et 18 décembre), il sera éliminé en quart par F. Chesterton qui s’imposera ensuite en finale face à Georges Thomas ;
- En 1910 (15-18 décembre), il perd en finale du Simple homme face à George Thomas (15-11/15-11). Avant de remporter le Double Homme, avec pour coéquipier le même Thomas ;
- Même scénario en 1911 (16-17 décembre), défaite en finale contre Thomas et Double homme adjugé toujours avec Thomas comme partenaire. À noter également sa victoire en mixte (le «Ladies' and Gentlemen's open Doubles») avec Miss Radeglia.
À lire de Jean-Pierre Guillain, «Dieppe, ville-phare du badminton d'Europe continentale (1898-1914)», Annales de Normandie, n°53, 2003, pp. 147-158
Illustration de «The French Championships» (compte-rendu du 2ème tournoi de Dieppe),
publié dans The Badminton Gazette, Janvier 1910, p. 8.
(G. A. Sautter est le 7ème joueur du rang du haut)
Sur les clichés, pris aux All-England, en 1911, 1913 et 1914, Sautter porte très certainement the All-England Blazer, avec sur la poitrine un écusson brodé d’une rose (la rose Tudor, emblème de l’Angleterre) et orné du sigle A.E.B.C.
Cette veste de toile verte, aux fines rayures rouges, blanches et bleues, était décernée à partir de 1904 aux champions qui décrochaient le titre de vainqueur du All-England.
Les joueurs de la représentation anglaise revêtaient «the England International Blazer», à la coupe identique mais de couleur rouge, agrémentée de rayures vert olive, blanches et bleutées (Source : National Badminton Museum).
Cette récompense vestimentaire offerte aux vainqueurs des All-England ainsi que ce vêtement de cérémonie disparurent en 1970, avec l’arrivée du survêtement… [2]
Sautter, UN (poseur de) Lapin !
Pour cacher à ses employeurs qu’il préférait jouer au badminton, plutôt que de se consacrer à ses études de gérant d’hôtel, Guy Sautter participa à des tournois sous le «nom-de-guerre» de «un lapin» [3] ou de «U.N. Lapin» ! C’est sous ce pseudonyme humoristique (peut-être un pied de nez à ses études en hôtellerie) qu’il s’est inscrit aux All-England en 1913 puis en 1914.
C’est d’ailleurs sous ce nom qu’il est identifié dans les légendes des photographies publiées par la presse britannique qui se fit l’écho de ses victoires.
C’est ainsi qu’en 1913 «Mr. "U.N. Lapin"» remporta (avec M. E. Mayston) le double mixte (voir illustration ci-dessus, publiée dans The Sphere du 8 mars 1913) et que l’année suivante, le même Lapin, remporta le Gentlemen’s Singles (cf. ci-dessous la photo du «holder and winner», publiée dans The Illustrated Sporting and Dramatic News du 4 mars 1914).
Du fait de l'utilisation de ce nom d'emprunt, certaines performances de Sautter sont peut-être passées inaperçues (c’est du moins ce qu'avancent certains historiens)…
Smash « round-the-head »
Sautter était réputé pour être un attaquant explosif, «an impetuous attacker» [4], smashant dans toutes les positions. «Sautter smashed finely throughout», observe le rédacteur de The Badminton Gazette dans son compte-rendu du Tournoi de Dieppe de décembre 1909 (publié dans le numéro de janvier 1910).
Le Lapin était tout particulièrement redouté pour son «smash autour de la tête» : «round-the-head smash». Un geste d’attaque novateur qu’il fut l’un des premiers, si ce n’est le premier, à utiliser en compétition !
Le smash autour de la tête (smash en coup droit sur un dégagé côté revers) est l’un des coups les plus difficiles à maîtriser. Il implique de coordonner une rotation du corps avec un saut en ciseaux pour immédiatement se repositionner. Ci-dessous une des premières décomposition de cette frappe, datée de la fin des années soixante :
Décomposition d'un «Round the head smash», fin 1960
Source images : Pat Davis, Badminton Complete,
Londres, Kaye and Ward, 1968, pp. 10-13
Au cours des années de guerre, Sautter vécut à Monte-Carlo. Soupçonné par les autorités allemandes de soutenir la Résistance, il fut, selon Pat Davis [5] emprisonné et sans doute interrogé.
Après-guerre, bien qu’affaibli par des années de privation, il participa, en Irlande, à un tournoi de simple (sans doute The Irish Championships) où, lors de la finale, il prit cette fois-ci le dessus sur George Alan Thomas.
En 1922, les deux compétiteurs se retrouveront en finale des All-England. Une édition, dans laquelle, selon Pat Davis, Sautter s’était engagé dans l’espoir de remporter un trophée particulièrement convoité, celui récompensant le joueur qui alignait quatre victoires ! Mais pas au mieux de sa forme, Sautter s’inclinera face à Thomas.
Il s’adjurera toutefois le double homme avec l’Irlandais Franck Devlin.
De retour en Suisse, il se consacrera avec succès au Lawn-Tennis, et représentera la Suisse à la Coupe Davis de 1923 (date de la première participation du pays à cette compétition internationale).
Sautter décédera (en Angleterre) le 29 octobre 1961, à l’âge de 75 ans.
Remerciements à Jean-Jacques Bergeret (Membre de la Commission Culture de la FFBaD) pour son aide précieuse dans la recherche de documents (textes et images).
[1] Geoff Hinder, «Sir George Thomas – A Legend as a Player, Administrator and Gentleman», National Badminton Museum - Thomas remporta les All-England en 1920, 1921, 1922 et 1923).
[2] Cf. Pat Davis, The Encyclopedia of badminton, Londres, Robert Hale, 1987, p. 19.
[3] Ibidem .
[4] «Sauter was an impetuous attacker, famous for his round the head smash» (Site Badminton England).
[5] Pat Davis, The Encyclopedia of badminton, Londres, Robert Hale, 1987, p. 137.