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Publié par Frédéric Baillette

    Au XIXème siècle, à Noël, les enfants sages pouvaient découvrir suspendues aux sapins des raquettes (pour jouer au volant) et, à leurs pieds, une Lanterne Magique ! Cet instrument d’optique, divertissant et instructif, leur permettait de projeter, sur un mur ou un drap, des images fixes ou animées, et de voir, par exemple, s'exercer une joueuse de volant ! (Comme nous le découvrirons plus loin)

    Cet objet de curiosité, qui peut être considéré comme le tout premier projecteur à diapositives, se composait d’une boîte en fer-blanc, dans laquelle le « projectionniste » plaçait une source lumineuse, une flamme (bougie, mèche trempée dans de l’esprit-de-vin ou de l’huile d’olive, lampe à huile ou à pétrole, plus tard remplacé par de l’hydrogène puis par la « fée électrique »). Ce caisson était coiffé d’une cheminée permettant l’évacuation des fumées qui accentuaient l’atmosphère inquiétante, quasi sépulcrale, de projections réalisées dans le noir absolu, pour que l’illusion soit parfaite.

    À l’intérieur un jeu de lentilles renvoyait une image amplifiée et renversée des vues insérées (il importait donc de les positionner à l’envers pour qu'elles soient correctement projetées).

    Les images destinées à la projection étaient peintes artisanalement sur des plaques de verre avec des couleurs éclatantes et translucides (à la manière des vitraux d’églises) pour être glissées dans un passe-vues.

    L’une des premières plaques animées connue est celle d’un squelette «qui ôte son crâne de ses épaules et l’y replace ». Ces « danses macabres », mettant en mouvement des squelettes déglingués, éparpillant leurs os, deviendront un classique des lanternes magiques.

    Ainsi, le plus souvent à la nuit tombée, dans des salles plongées dans une profonde obscurité, les spectateurs, enveloppés de ténèbres et d’ombres inquiétantes, assistaient fascinés à des « projections lumineuses » de choses parfois « étranges », qui pouvaient tout autant enchanter que semer l’effroi dans un public alors particulièrement réceptif au surnaturel et imprégné d'occultisme.

    Les sujets projetés étaient d’une grande variété. « Un véritable kaléidoscope d’images d’épouvantes ou diaboliques, licencieuses ou religieuses, politiques ou scientifiques, [pouvant] émerveiller ou faire trembler les spectateurs », note Gilles Krémer [1].
    Si les premières projections collectives réalisées par des « lanternistes » (qui, selon Laurent Mannoni, remonteraient au XVIIème siècle [2]) suscitaient nombre de frayeurs, c'est qu'à leur début les lanternes à projections furent très certainement utilisées, « à des fins occultes, par des prêtres et des mages, à qui elles conférai[ent] un pouvoir de persuasion [...]. Elles servaient à étayer des campagnes de conversion, [en impressionnant] celui qui doute, celui qui vit dans le péché, celui qui ne croit pas encore. » Les images projetées dans des lieux claustrals, comme des couvents, apparaissaient surnaturelles à des spectateurs incultes.
   « Au début, la lanterne se veut être une fenêtre ouverte sur l'au-delà ». Dissimulée dans un élément du décors (comme un prie-Dieu), elle convoquait diables et démons en renvoyant des peintures de squelettes, de monstres, de spectres recouverts de linceuls, de damnés brûlant dans les flammes de l'enfer... Des visions « horribles et effrayantes pour ceux qui ignorent comment elles se produisent ». D'autant plus terrifiantes qu'elles pouvaient être projetées sur des volutes de fumée opaques qui les transformaient « en véritable vision d'apocalypse ».
    À la fin du XVIIIème siècle, le fantasmagore de Robertson, outre de recourir à des formes fantomatiques, ressuscitait les morts en projetant des portraits de défunts, et semait l'effroi en accompagnant ces visions lugubres d'effets sonores et de musiques d'ambiances.. [3].
   Aussi à leurs début, ces Lanternes furent baptisées « lanternes de peur » [4].

    Les « surnaturelles apparitions multicolores », ces images souvent vacillantes, impressionnèrent d'ailleurs le jeune Proust qui, dès l’ouverture de À la recherche du temps perdu (1954), évoquera les angoisses nocturnes suscitées par cette supposée « distraction » !

 

    Au cours du XVIIIème siècle, ces « cassettes des illusions » [4] se diffusèrent rapidement. Des colporteurs « montreurs de lanterne magique », sortes de projectionnistes ambulants, « parcourent [alors] les routes avec un lanterne sur le dos et s’arrêtent dans les villages et les villes pour présenter leur appareil spectaculaire. “Lanterne magique !” crient-ils. Enfants et adultes accourent, fascinés par cette espèce d’attraction foraine. » [5]
    Ces « montreurs d’images », qui, souvent accompagnés d’une orgue de barbarie, organisaient des séances publiques ou privées, jusque dans les campagnes les plus reculées, vont progressivement disparaître, victimes du succès que connaissent, à partir des années 1800-1840, les « lanternes-jouets » [6], largement diffusées par les magasins pour enfants.

 

Le montreur ambulant de lanterne magique
Costumes de Paris à travers les siècles, Paris Moderne, n° 8 (120), F. Roy, éditeur
Source : Albert Balasse, « Lanterne magique Ernst Plan », Le Compendium


   « Les peintres, les artisans et fabricants conçoivent des systèmes d'animation complexes afin de faire bouger les images. Les plaques de verre mécanisées, les peintures et les couleurs de plus en plus soignées donnent à la lanterne magique un pouvoir énorme. » [7]

    Au XIXème siècle, les lanternes magiques seront produites industriellement pour être commercialisées. Dès lors « le bourgeois peut organiser lui-même ses séances familiales avec l’appareil qu’il s’est procuré » [8].
 

 

 

    Pour animer l’image, leurs artisans recouraient à des subterfuges. Un « art trompeur », ou « art magique », considéré comme constituant les premiers pas du trucage, inaugurant les astuces qui seront reprises par le cinématographe et notamment Georges Méliès, maître en illusions.
    Ces trucages optiques se trouvent en germe sur les « plaques à systèmes », encore appelées « plaques animées » [9] ou « mécanisées », car dotées d’un mécanisme, d’une entourloupe pour donner à partir d’une image fixe l’impression d’un mouvement, ou d’un changement d’état, simulant, grâce à des caches rudimentaires, des apparitions ou des disparitions/réapparitions de certains éléments.

    Comme ci-dessous, où l’inversion des têtes est obtenue en superposant à l’image initiale (à gauche, qui reste fixe durant la projection), une plaque de verre sur laquelle ne sont peintes, mais inversées, uniquement les têtes du maître d’hôtel et du cochon. Un simple glissé de cette plaque, et, surprise, les rôles sont inversés, à la plus grande joie du public qui s’extasie de cette magie, un « truc » dont il ne connait pas les ficelles !
 

 

    Deux autres systèmes d’« animation d’une image lumineuse sur un écran », en l’occurrence des joueuses jonglant inlassablement avec des volants colorés, assortis à leur toilettes.
 

Plaque à système (1840-1850)
    De fines lames en laiton, judicieusement découpées, actionnées par des tirettes, venaient se placer devant certaines parties de l’image projeté et ainsi les invisibilisaient tout en en découvrant d’autres…
 

 

 

Plaque à système — © Pascal Bernon, collectionneur

 

    Sur cette plaque à système, explique Pascal Bernon (collectionneur à qui nous devons ces clichés), « le mécanisme est constitué de feuilles de laiton assemblées entre elles grâce à de minuscules axes. L'ensemble du système est vissé en 4 points sur un cadre en bois et est actionné de haut en bas par un bras. Le mouvement est ainsi plus fluide et permet une meilleure illusion lors de la projection.
   
Si dans l’illustration suivante [voir ci-après, « plaque à va-et-vient »] , la peinture réalisée à la main est assez grossière, la représentation est ici aussi beaucoup plus fine, au point que le cordage a été peint exactement comme dans la réalité, chaque corde passant une fois dessus, une fois dessous.
   
Cette grande qualité de peinture était habituelle à l'époque et comme certaines plaques pouvaient avoir jusqu'à 3 systèmes différents (jusqu'à 20 axes + 10 vis + un ou 2 systèmes coulissants), cela permettait de projeter de véritables petites séquences animées. »
 

Plaque à système (vues alternativement projetées) — © Pascal Bernon, collectionneur

 

    Voir également, en fin d’article, les illustrations d’une plaque à système quasiment identique à celle-ci.


Plaque à va-et-vient pour lanterne magique, 1875-1880 :
 

© Pascal Bernon, collectionneur


    Cette vue est composée d’une seule image, sur laquelle sont peintes deux positions de la raquette et du volant.
    Projetée sur un écran cette image mixte, figurant une silhouette immobile, va comme par enchantement inlassablement se mettre à jongler !

    L’impression de mouvement est obtenue en faisant coulisser transversalement (dans un mouvement alternatif de va-et-vient), une plaque de verre mobile sur laquelle sont incrustées deux tâches noires (voir ci-dessous). Ces caches transforment l’image, tantôt en éclipsant, tantôt en découvrant, le volant et le bras tenant la raquette ! Donnant à voir tour à tour bras et volant en position basse, puis en position haute.


    En fonction de l’habileté de l’opérateur, il devait être possible de varier la cadence des rebonds, de ralentir ou d’accélérer la cadence de jonglage, en obturant alternativement plus ou moins rapidement les deux positions…
 

Plaque à va-et-vient - © Pascal Bernon, collectionneur

 

    Le choix des images projetées nous renseigne sur les jeux cycliques (plus faciles à animer) les plus parlants pour des enfants de l’époque et donc par eux régulièrement pratiqués, On trouve ainsi des plaques à système, proposant du saut à la corde, du bilboquet, de la balançoire ou encore du cerf-volant.

    Au début du XIXème siècle, des bandes de figures fixes proposaient également à la projection un éventail de jeux concernant plus spécifiquement les garçons : corde, colin-maillard, balle, cerceau, main-chaude, balançoire à bascule (« tape-cul ») et jeu du volant. Des jeux d’extérieur qui concernaient et intéressaient alors les deux sexes. Des amusements nullement perçus comme ne convenant qu’aux demoiselles, ce que nombre d’entre eux ne tarderont pas à devenir…
 

 

Vers 1844, Figures pour Lanternes Magiques - Source Gallica.bnf
Texte manuscrit figurant au bas de la page :
« Je Certifie que le présent Exemplaire est la représentation fidèle d'une planche en Cuivre
dont je fus propriétaire. Batignolles, le 9 janvier 1844
»

 

Une vidéos pour aller plus loin :
« Histoire de la lanterne magique », Musée Suisse de l’appareil photographique, 1993

Remerciements à Pascal Bernon, collectionneur d'une multitude d'objets jalonnant l'histoire du badminton et du jeu du volant, et expert en la matière, à qui nous devons les plaques animées du jeu du volant illustrant l'article, ainsi que nombre de précisions sur leurs techniques d'utilisation.

 

Éléments bibliographques :
- « Histoire de la lanterne magique », Lanterna Magica, La Cinémathèque Française.
- Inventaire des Collections, Lanterne magique et fantasmagorie, Paris, Conservatoire National des Arts et Métiers, Musée National des Techniques, 1990.
- « Les plaques animées », Lanterna Magica, La Cinémathèque Française.
- F. Bonhoure et J. Mage, L’Enseignement par Projections lumineuses à l’usage des écoles primaires , 1895-96 (1ère édition 1892). Source : Gallica-bnf.
- Krémer Gilles, « La lanterne magique, ancêtre du cinéma et instrument de connaissance », octobre 2017, Gallica.bnf.
- Saucier Robert, « De la lanterne magique à la télévision : oscillations des discours et des usages sociaux », in Communication. Information médias théories, vol. 11, n° 2, automne 1990, pp. 36-68.
- Moigno (M. l’Abbé), L’Art des projections, Paris, Gauthier-Villars, 1872. Consultable en ligne et téléchargeable sur le site de RTH-Bibliothek, Zürich.
- Mannoni Laurent, « Christian Huygens et la “Lanterne de peur” – L’apparition de la lanterne magique au XVIIe siècle », 1895, Revue d’Histoire du Cinéma, n° 11, 1991, pp. 49-78.
- Zahn Johann, Oculus artificialis teledioptricus, sive Telescopium, ex abditis rerum naturalium et artificialium principiis protratum […], 1702 (2ème édition). Source Gallica.bnf

 

Plaque animée peinte à la main, Jeu du volant vers 1850
© Collection François Binétruy

 


[1] Gilles Krémer, « La lanterne magique, ancêtre du cinéma et instrument de connaissance », octobre 2017, Gallica.bnf.
[2] Laurent Mannoni, « Christian Huygens et la “Lanterne de peur” – L’apparition de la lanterne magique au XVIIe siècle », 1895, Revue d’Histoire du Cinéma, n° 11, 1991, pp. 49-78.
[3] Inventaire des Collections, Lanterne magique et fantasmagorie, Paris, Conservatoire National des Arts et Métiers, Musée National des Techniques, 1990, p. 9, 17 et chapitre « Le fantasmagore Etienne-Gaspard Robertson », pp. 19-24.
[4] Selon Laurent Mannoni, op. cit., c’est le conseiller, ingénieur et géomètre de Louis XIV, Pierre Petit (1598-1677) qui, très impressionné par une séance de projection, la baptisa ainsi.
[5] Outre « lanterne de peur », la lanterne magique fut tour à tour appelée « “lanterne mégalographique”, “lanterne thaumaturgique” (du grec thauma qui signifie “miracle, prodige“ et urgein qui signifie “produire, opérer”, ou bien encore “casette des illusions ». Gilles Krémer, « La lanterne magique, ancêtre du cinéma et instrument de connaissance », octobre 2017, Gallica.bnf.
[6] Robert Saucier, « De la lanterne magique à la télévision : oscillations des discours et des usages sociaux », in Communication. Information médias théories, vol. 11, n° 2, automne 1990, p. 45.
[7] Cameramuseum, « La lanterne magique par monts et par vaux ».
[8] « Plaques XVIIIe siècle », Lanterna Magica, La Cinémathèque Française.
[9] Robert Saucier, op. cit. , p. 45
[10] « Les plaques animées », Lanterna Magica, La Cinémathèque Française.

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