Le Volant : un jeu à la mode de chez nous !
Au XVIIIème et XIXème siècle, en France, le jeu du volant était un divertissement aussi prisé dans les milieux populaires que bourgeois et aristocratiques, pratiqué tant à la ville qu'en province. Il était devenu en quelque sorte un jeu la mode, qui fit régulièrement des apparitions dans les gravures et les journaux de mode dont les publications se multiplièrent surtout à partir des années 1850.
En 1802, le jeu apparaît, sous la forme de parties de volant, dans deux images qui, même si elles reflètent une actualité vestimentaire, ne sont pas à proprement parler des illustrations de mode, mais des caricatures se moquant d'un certain style au Goût du jour, d'une mode excentrique qui n'était pas vraiment du goût de leurs éditeurs... Ces deux gravures, souvent reprises pour illustrer l'histoire du jeu du volant, retiendront plus particulièrement notre attention.
Dans les années 1810, raquettes et volants agrémenteront quelques estampes. Une présentant un costume d'enfant (où le volant fait une anecdotique apparition), et deux autres (plus connues) où le jeu donne vie à des silhouettes féminines présentant des toilettes parisiennes. Des costumes particulièrement classiques qui, cette fois-ci, avaient les faveurs de leur éditeur, l'abbé De La Mésengère, un lettré reconverti dans l'observation des modes contemporaines qui dirigea durant plus de trente ans le Journal des Modes et des Dames, l'une des toutes premières revues illustrées s'intéressant à la mode.
À partir des années 1850, et surtout dans les deux dernières décennies du XIXème, les instruments du jeu seront introduits dans l'image, occupant les mains de fillettes, voire de très jeunes enfants (mais jamais de garçons), de la bonne société. Ces petites filles modèles sont accompagnées par de belles demoiselles élancées, sylphides, aux élégantes toilettes qui, telles des mannequins, se promènent dans des parcs cossus, voire sur une plage (que l'on suppose) d'une station balnéaire huppée.
Rarement ces enfants de bonne famille sont représentés échangeant des volants (il faut dire que leur tenue et leurs fines bottines ne prêtent guère à l'exercice). Souvent en grappe, autour des grandes filles qui les chaperonnent, ils posent ou cheminent une raquette et un volant à la main.
Ces jouets sont relégués au rang d'accessoire, de garniture. Rappelant, par certains aspects, ceux avec lesquels poseront au tournant du XIXème siècle les enfants de la haute puis petite bourgeoisie et enfin du peuple, dans les ateliers photographiques spécialisés dans les portraits-cartes (voir «Portraits photographiques avec raquettes et volant (1860-1921)»).
Ce panorama qui rassemble de superbes illustrations se conclura au tout début des années 1920 par deux dernières apparitions du jeu du volant dans des revues de mode consacrant la libération vestimentaire du corps des enfants bourgeois, enfin débarrassés de leurs pesanteurs et de leurs corsetages. Une simplification, un allègement, qui sonne comme une «délivrance», autorise les mouvements et permet, aux enfants de la bourgeoisie, de s'égayer en jouant... au volant !
1802 – Amusement du Hameau de Chantilly
Source British Museum - également téléchargeable sur le site du Musée de la Ville de Paris.
1802 - Le Goût du jour – Caricature Parisienne – Amusement du Hameau de Chantilly – Édité par Aaron Martinez
Cette estampe fait partie d'une série publiée sous le Premier Empire et la Restauration, sous le titre Caricatures Parisiennes.
Le Hameau de Chantilly était un lieu d'agrément, constitué de quelques maisonnettes au toit de chaume et d'une guinguette, aménagé à partir de 1774 dans le parc du château de Chantilly. C'était un espace original de batifolage et de rendez-vous galants, où Incroyables et Merveilleuses, «jeunesse dorée en quête de légèreté et de plaisir» [1], venaient se divertir, tout en jouant (à en croire la caricature) au jeu du volant.
(Les deux qualificatifs les désignant venaient de leur habitude maniérée de manifester leur étonnement en ponctuant leurs phrases de superlatifs, tout était notamment pour eux merveilleux et incroyable.)
Le Goût du jour, correspond à la mode du moment. C'est sous ce titre moqueur qu'entre 1797 et les premières décennies du XIXème siècle, le libraire Aaron Martinez a édité une série de gravures satiriques, en parallèle à deux autres séries tout aussi caustiques : Le Suprême bon ton et le Musée Grotesque .
Bien que reflétant un look qui fait alors fureur, cette partie de volant «champêtre», entre un Incroyable, aisément reconnaissable, à ses «oreilles de chien» (cheveux rabattus le long des tempes) et à sa cravate «écrouellique» [2], et une Merveilleuse, à la tenue évaporée jugée inconvenante, comporte une charge moqueuse. La satire d'une jeunesse privilégiée, principalement royaliste, qui ne pense qu'à faire la fête. Jeunesse atteinte de dansomanie dont l'accoutrement scandalise [3].
Tout occupé à contempler les formes affriolantes révélées par la robe diaphane de la joueuse, le buveur attablé ne verse-t-il pas le contenu de son verre de vin sur ses genoux ? Et que penser de l'imposant volant au bouchon rouge vif gisant aux pieds du fringuant jeune homme...
[1] Cf. «Qui sont les "Incroyables" et les "Merveilleuses" de Paris ?», Vivre Paris, Octobre 2020.
Voir également : «Le Portrait des Incroyables» et «Les Merveilleuses» par Poirier Le Boiteux.
[2] Un col blanc noué autour du cou, «comme si leur objectif était de cacher les fistules associées à la maladie des écrouelles.» Cf. «Incroyables et Merveilleuses : quand les "r" n'étaient plus à la mode et les robes étaient... légères !», blog Amusidora.
[3] «Ils aimaient tellement la fête qu'on dit à l'époque qu'ils sont atteints de "dansomanie", une épidémie de danse !». Cf. «Qui sont les "Incroyables" et les "Merveilleuses" de Paris ?», Vivre Paris, Octobre 2020.
1802 – «Le Volant» – «Observations sur les modes et les usages de Paris»
Source de l'image : Gallica
La même année, le jeu du volant apparaît dans une gravure issue d'une série intitulée Le Bon Genre, composée de 115 planches, vendues à l'unité, publiées de 1800 à 1822. La série complète fut publiée en 1822, puis en 1827. Cette seconde édition s'ouvre par 25 pages de commentaires : «Observations sur les modes et les usages de Paris», où chaque commentaire renvoie à l'une des illustrations identifiée par un numéro d'ordre, avec entre parenthèses, la date de sa première publication.
Le volant est la 11ème gravure. Les quelques lignes qui lui sont consacrées rappelle les origines de la raquette (issues de l'évolution du jeu de paume vers un amollissement des mœurs) et, tout en nous révélant l'étendue de la pratique du jeu du volant, de l'aristocratie aux enfants du peuple, nous renseigne sur les différences de conception des raquettes en fonction du milieu social. :
Le recueil est disponible sur Gallica (site numérique de la Bibliothèque Nationale de France) : Observations sur les modes et les usages de Paris, pour servir d'explication aux 115 caricatures publiées sous le titre de Bon Genre, depuis le commencement du dix-neuvième siècle, Paris, 1827.
Il a été réédité un siècle plus tard en 1931, accompagné d'une préface de Léon Moussinac, sous le titre : Le Bon Genre. Réimpression du recueil de 1827, comprenant les "observations" et les 115 gravures, Paris, Éditions Albert Lévy. Également disponible sur Gallica.
Outre le jeu du volant, on trouve dans le volume de 1827 (et sa réédition de 1931), cinq autres illustrations où de jeunes gens jouent à des jeux d'enfants : La Main Chaude (n°12), Les Quatre Coins (n°14), Le Colin-Maillard (n°15), Leçon de Diable (Diabolo ) (n°55) et Le Cache-Cache (n°80).
Excepté la Leçon du Diable (où un élégant jeune homme enlace de ses bras une belle qu'il initie au maniement du diable), ce sont les 5 mêmes joueuses qui sont mises en scènes dans les quatre autres jeux (toilettes et coupes de cheveux similaires).
Le Bon Genre est l'une des trois séries humoristico-satiriques [1] éditées au début du XIXème siècle par Pierre de La Mésangère, un ancien abbé reconverti, sous la contrainte des évènements révolutionnaires, dans l'écriture et la Mode [2]. Il se présente lui-même comme un Historiographe de la Mode [3] qui, selon Annemarie Kleinert «observait et critiquait la société sur un ton satirique» [4].
Toutes les planches ont été éditées, comme mentionné au bas de la lithographie, au Bureau du Journal des Dames et des Modes, l'une des toutes premières revues de mode illustrée française, cofondée par le libraire parisien Jean-Baptiste Sellèque et Pierre de La Mésangère (qui en deviendra rapidement l'unique propriétaire suite au décès de son associé).
C'est une satire feutrée, plaisante, plutôt qu'acerbe. Le Journal des Dames ayant pour principe d'éviter tout excès et de respecter les règles de la bienséance, afin de ne pas choquer son public et de «veiller au respect des bonnes mœurs».
Les illustrations publiées sous le titre Le Bon Genre moquaient gentiment les modes et les mœurs (parfois considérées ridicules) de l'époque. Si la formule le Bon Genre est alors synonyme de bon goût et est associée à l'élégance française dont Paris est le moteur, elle est ici employée ironiquement.
Une causticité qui n'était pas du goût de toutes les lectrices.
Ainsi, en février 1802 (année de publication de l'illustration «Le Volant»), des provinciales adressèrent une lettre au Rédacteur du Journal des Dames, lui reprochant la complaisance d’«un Journal qui par son titre semble destiné à l’amusement d’un sexe dont les Français font leur idole et auquel ils attachent du bonheur, soit un recueil de traits satyriques contre lui, et qu’il n’y soit parlé des femmes, des Parisiennes particulièrement, que pour les critiquer et déverser sur elles l’ironie la plus mordante.» [5]
Le tableau de ces joueuses de volant (comme ceux de La Main Chaude, des Quatre-coins, etc. qui lui font suite) renferme une critique implicite de «cette jeunesse sémillante mais vuide [sic] de sens, qui prétend donner le ton à toute la société», comme l'écrivait De La Mésangère dans l'éditorial du Journal des Dames et des Modes du 19 février 1802 [6] .
Tuniques à la Psyché et à la Terpsichore
Les tuniques portées sont caractéristiques du style Empire. Les jeunes filles puisent alors dans l’art antique, gréco-romain, pour s’inventer une apparence totalement nouvelle et distinctive. Les robes «longues, légères et traînantes» se caractérisent par une taille accentuée d’une ceinture, positionnée très haut, immédiatement sous le buste, affinant et allongeant les silhouettes. Les corsages ajustés, le décolleté bas, mettent en valeur le buste, le maximalisent.
Les manches des robes d’après-midi sont «courtes», laissant les avant-bras nus !
Les corps (et les esprits) se libèrent, enfin respirent. Finit corsets à baleines, tailles de guêpe comprimant, jupes de dessous, «paniers» ou faux-culs (donnant aux dames ainsi accoutrées la forme d’un Volant ! Voir sur ce même blog : «Miss... Shuttle-Cock : Croupe en liège, tête en plumes»). Ils s’allègent aussi, voire se dévoilent, plus ou moins partiellement. Les tissus sont généralement de mousselines blanches ou finement colorées, souvent transparents «de la cheville à juste en dessous du corsage». Longues, amples sous le buste et légères, ces robes à l’athénienne donnaient une impression de fraîcheur et de fluidité, voire de nudité.
«Le nec plus ultra, observe Annemarie Kleinert, était de montrer le plus de nudité possible sans être nu.» [7]
La jeunesse aristocratique craignant d’apparaître ouvertement riche dans une période encore profondément marquée par La Terreur abandonne tout signe ostentatoire de richesse et «s’invente un nouveau Code du Bon Ton pour marquer sa singularité» (Amusidora).
Une tenue que n'appréciait nullement De La Mésangère, car «ôt[ant] tout voile à la pudeur». En adoptant « un vêtement analogue aux mœurs du jour. La république n’avait pas encore proclamé, que le beau sexe étoit revêtu de la tunique romaine et du cothurne grec. Mais […] si les anciens corsets portoient quelque atteinte à la santé des femmes, du moins ne blessoient-ils pas la morale ; au lieu que cette mode qui montre à découvert la moitié des charmes d’un belle, altère le physique de celle qui s’y soumet et corrompt les mœurs du jeune curieux qui la contemple.» [8]
Aussi, en avril 1802 (30 Germinal de l’an 10), le rédacteur du Journal des Dames et des Modes se réjouira-t-il des «petites modifications [que les femmes] ont fait subir aux modes antiques. Déjà les robes sont généralement moins décolletées, les femmes honnêtes ont décidément abandonné la parure indécente aux nymphes des galeries du Palais. […] Et l’on se rappelle même avoir vu le peuple […] chasser des promenades publiques des femmes dont le costume blessoit toutes les convenances de la pudeur.» Le costume emprunté à la Grèce, adapté à un «pays où le ciel est toujours serein», est messéant « au climat de la France qui, presque toujours variable, les rendoient victimes chaque instant de leur goût pour un vêtement qui ne pouvoit les protéger contre les injures de l’air.» [9]
Ces tuniques grecques à la Terpsichore (muse de la danse, vive, enjouée), faites de « gaze transparence à travers laquelle on aperçoit Vénus», auxquellles s’ajoutent des souliers Chinois, ressemblent « plutôt à une mascarade qu’à une parure élégante » [10]!
Choux et Coëffure à la Titus
Pour jouer au volant, les Belles, ces Merveilleuses «faisant les non-frileuses» [11], ont déposé leurs immenses schall de cachemire, délaissé leurs éventails et leurs réticules (ces, faute de poches, indispensables petits sacs). Elles jouent têtes nues. Plus d’encombrant chapeaux, ni de lourdes perruques, mais des «choux» (ainsi nommé par les coiffeurs, le chou est «une touffe de cheveux, dont chaque mèche forme crochet» [12] ) et des coupes (ou des perruques [13] ) allégées dites «à la Titus».
Des coupes qui rappelaient celle de Titus Junius Brutus, fils du consul Lucius Junius Brutus, légendaire fondateur de la République romaine vers 509 av. J.C. (et non celle de l’Empereur romain Titus qui dirigea l’Empire de 79 à 81 après J.-C. Faudrait-pas confondre les Titus !).
Cette mode capillaire est apparue à la Révolution Française à la suite d’une reprise de la tragédie de Voltaire, Brutus (1ère représentation en 1730). La pièce raconte la condamnation à mort de Titus Junius, accusé de conspiration, par son père Brutus. La mise en scène de sa décapitation entre alors en résonance avec les exécutions de masse par la guillotine.
Lors de la représentation d’ouverture (le 17 novembre 1790) à la Comédie-Française «c’est le chaos dans le théâtre lorsque l’acteur qui joue Brutus s’écrie :“Dieux ! Donnez-nous la mort plutôt que l’esclavage !”» [14] .
La nuque dégagée rappelle celle des condamnés montant à l’échafaud, avant de se faire raccourcir par le dit rasoir national. La Titus est ainsi également appelée coupe «à la sacrifice» ou «à la victime».
La coiffure devient très en vogue sous la Révolution, puis le Directoire et l’Empire.
Une coupe aimable, comme la qualifie en 1810 le coiffeur J. N. Palette dans son «éloge de la plus jolie, de la plus agréable, de la plus galante de toutes les coiffures […] depuis que le monde existe» !
La Titus est la favorite du moment. Elle «donne, augmente, centuple la beauté ; […] c’est un présent des cieux ; c’est un trésor» !
Coupe délicieuse, plus gracieuse et moins embarrassante «qu’une longue chevelure flottante [qui] couvre sans agrément le col, les épaules, la taille et d’autres charmes encore ; […] gêne les mouvements et enlève la grâce» [15] .
Cheveux courts d’égale longueur devant et derrière, la coupe est ornée de «boucles flottantes auxquelles le moindre mouvement donne du jeu,[…] anim[ant] la figure la plus froide». Ces frisures permettent, par ailleurs, de couvrir ou tempérer, les imperfections d’un visage.Elles pallient alors à deux défauts ou disgrâces : un front trop large ou ravagé par la petite vérole et des tempes trop découvertes... Tout en laissant «voir ce qui est avantageux ; c’est alors qu’on peut dire qu’une femme à la Titus est une rose épanouie» !
Si, la coiffure à la Titus se généralise, c'est au grand dam de La Mésangère qu'elle hérisse.
En juillet 1802, Le Journal des Dames et des Modes, dont il est le principal (sinon l'unique) contributeur, n’apprécie guère les têtes «tondues à la Titus» [16]. En avril de la même année, ce sont les «têtes salement tondues à la Titus» [17] , puis en septembre ces «vomitives chevelures à la Titus» [18] que stigmatise le journal dans les explications accompagnant les gravures qu'il publie.
En avril et en juillet 1802, cette chevelure est qualifiée de «mode bizarre» [19], puis de «vilaine mode» et d’«indigente coëffure [sic]» [20] , alors que «le nombre de têtes tondues tout de bon, à la Titus, est très-considérable» [21], ou encore que «la manie de se faire tondre à la Titus a gagné la classe des demi-élégantes» [22].
Ces charmantes et allègres jeunes filles, représentées telles des «divinités enchanteresses», jouant à des jeux puérils, le volant, puis sur les planches qui suivirent, publiées dans la foulée (Main chaude, Quatre-Coins, Colin-Maillard, Cache-Cache), ne sont-elles pas tournées en ridicule...?
«La caricature, écrit (très certainement) La Mésengère, dans le Journal des Dames et des Modes du 31 mai 1802, a quelquefois un but moral, et elle peut épouvanter le ridicule» ! [23]
Vers 1810 - Costume d'enfant
Source de l'image : album Modes de Paris. Costumes d'enfans.
Disponible sur Gallica (site numérique de la Bibliothèque Nationale de France).
Vers 1810 – Modes de Paris. Costume d'enfant – n° 1 (Casquette en Feutre. Veste, Gilet et Pentalon en Drap.)
Cette délicieuse estampe fait partie d'une «suite complète» regroupée dans un album dédié aux costumes d'enfants.
Les planches gravées et colorisées qui y figurent (numérotées de 1 à 24) étaient vendues à l'unité : «30 Centimes la feuille, en couleur». Cette série sans nom d'auteur (peut-être D.S. Bosio ou Boilly) est annoncée comme «très rare» par ses commentateurs.
Les enfants figurant sur les images sont très jeunes, croqués dans les tous premiers âges de l'enfance. Certains assis, ne se tiennent pas encore debout et d'autres réalisent leurs premiers pas, même s'ils peuvent être dessinés dans des attitudes dynamiques avec en mains des jouets de leur âge.
Les costumes représentés datent de l'époque du 1er Empire.
D'après les lacunaires informations trouvées, la série aurait été publiée et leur finalisation supervisée, là aussi, par De La Mésengère. C'est du moins ce qui ressort du commentaire accompagnant la légende d'une succession de trois esquisses publiées par Annemarie Kleinert dans son ouvrage «Le Journal des Dames et des Modes» ou la conquête de l'Europe féminine, 1797-1839 (Paris, Institut Historique Allemand, Stuttgard Jan Thorbecke, Verlag, 2001, p. 361) :
1813 et 1820 : Costumes Parisiens
Les deux gravures qui suivent ont été respectivement publiées en 1813 et 1820 dans le Journal des Dames et des Dames, dirigé par de De La Mésangère, sous le titre Costumes parisiens. La première qui porte le n° 1335, a été reprise dans le Volume 14 de la collection : Costumes parisiens de la fin du XVIIIème siècle et du commencement du XIXème. Elle en est la 35ème illustration.
La seconde, éditée 7 ans plus tard, porte le n° 1918. Elle a été initialement publiée dans le Journal des Dames et des Modes, n° 43 du 5 août 1820, puis dans le Volume 20 de Costumes parisiens de la fin du XVIIIème siècle et du commencement du XIXème, 18ème illustration.
Décrit comme un homme d’affaire avisé, «qui avait la manie des belles illustrations», l'abbé de La Mésangère avait transformé le Journal des Dames et des Modes «en la meilleure chronique de l’élégance de son époque et en l’un des magazines littéraires les plus prisés de France et du monde civils» [24].
Comme annoncé lors de sa lancée, fin mars 1797, dans un prospectus publicitaire, le Journal avait pour vocation et ambition de s'adresser «aux jolies femmes de Paris et des départements», ce «sexe le plus aimable».
Annemarie Kleinert observe qu’au XVIIIème, «la société parisienne avait […] l'habitude que les abbés soient les arbitres de l’élégance dans les salons mondains. Sous l'Ancien Régime et au début de la Révolution, les jeunes femmes désireuses de plaire avaient souvent choisi comme juges en matière de mode des ecclésiastiques qui s'habillaient avec recherche.» [25]
Au travers de gravures, et des commentaires détaillant les toilettes portées, de la coiffure jusqu’aux bottines, Le Journal des Dames se fit l’écho au quotidien de la mode du jour, de la «manière de se mettre» à Paris. Il détaillait les costumes qui avaient la faveur du moment, relevant les nuances, les enjolivements, les caprices, les extravagances qui les accompagnaient.
Le Journal des Dames et des Modes, note Léon Moussinac en 1931, concernait «une clientèle choisie, c’est-à-dire prise parmi cette partie de la société toujours oisive, et en majorité féminine, frivole et hardie, soucieuse de plaire, aimant le plaisir ou tuant l’ennui, et qui suit de plus près les jeux de l’amour que ceux de la politique ou ceux de la guerre, laissés à d’autres».
Le recueil de 1827, intitulé Le Bon Genre, réunit les planches publiées de 1801 à 1822, mettant en scène des sujets «plaisants» et «variés», flattant «les caprices, les égarements, la fantaisie des jolies coquettes et de leurs servants parisiens».
Sous le Consulat et l’Empire, Napoléon qui appréciait Le Journal des Dames («peut-être en partie à cause de l’importance de l’iconographie») recommandait, aux dames de son entourage, la lecture d’un magazine qu’il considérait comme le Moniteur officiel de la mode [26] .
1830 - Toilette de Campagne
Cette partie de volant engagée entre deux provinciales a été publiée dans La Mode, Revue des modes, Galerie des mœurs, Album des salons, Tome 4, p. 134.
Accompagné de ce descriptif :
Fondé en 1829, par Émile de Girardin, ce journal de la mode et de la littérature (qui accueillit des contributions de Hugo et de Balzac) allait rapidement connaître le succès et détrôner le Journal des Dames et des modes de La Mésangère.
Dans son Histoire du Journal La Mode (Paris, 1861), le Vicomte E. de Grenville écrit que cette revue « refléta [...] les tendances élégantes et aristocratiques de la plus exquise société qui fut alors en Europe».
Élégances enfantines et jeu du volant
À partir de la seconde moitié du XIXème siècle et la naissance de plusieurs revues et journaux de mode, ce sont des fillettes en habits de sortie qui se promènent avec de grandes et belles demoiselles dans des espaces aristocratiques, pour faire la promotion de vêtements où les enfants sont aussi concernés.
La raquette surtout, plus anecdotiquement le volant, devient un accessoire de mode et donc un élément de distinction, un marqueur d'appartenance sociale.
Les lieux de pratiques instauraient déjà une séparation. La rue et le pas de porte pour les petites gens, les Cosette, les squares et les jardins publics, pour les mondaines.
Les raquettes des enfants qui accompagnaient les jolies demoiselles devaient nécessairement se distinguer des raquettes du peuple.
Tout comme l'ombrelle, le parapluie racé, la pochette, les gants ou encore l'éventail, la raquette est promue au rang de garniture et d'ustensile de mode. C'est un «détail» à soigner.
Le volant lui ne fait qu'harmoniser son plumage aux couleurs de la raquette. Il doit se fait coquet. Le tout formant un harmonieux ensemble confortant «le bon ton et l'élégance parisienne».
On peut ainsi lire en août 1892 dans un article sur La Mode, publié dans la revue Le XIXème Siècle, constatant que dans les garden parties le jeu du volant «a repris toute sa vogue d'antan» :
«On fait des raquettes très fantaisistes, avec manches recouvertes de soie brodée, de peluche unie, sur laquelle s'enroule une devise quelconque. Le bois du cadre de la raquette est en bois précieux ; le volant, bleu, rose, rouge, mauve, etc. est assorti à la couleur de la garniture du manche.»
Dans Le Moniteur de la Mode (1843-1913 - un journal qui connaîtra jusqu'à sept éditions étrangères : allemande, anglaise, américaine, russe, espagnole, italienne et portugaise), les petites filles sont souvent représentées avec cerceaux, cordes, jeu des Grâces, filets à papillons, raquettes et volants.
Elles sautent à la corde, jouent tranquillement aux quilles, font une ronde avec leur grande-sœur, promènent leur poupée dans une mini-poussette, font de la balançoire,
Les garçonnets, eux, tapent dans un ballon, chevauchent un vélocipède à pédales, jouent aux quilles, etc.
Source de l'image : The History Blog ou Rijksmuseum
Source de l'image : Rijksmuseum
Source de l'image : Rijksmuseum
Source de l'image : rijksmuseum
La plupart du temps, raquettes et volants (tous comme les instruments des autres jeux de leur âge) sont simplement tenus à la main par des fillettes promenant avec leur grande sœur ou leur jeune gouvernante, dans le parc d'une riche demeure.
Source numérique de l'image : Gallica-BnF
Source numérique de l'image : Gallica-BnF
Il arrive que les élégantes s'occupent de très jeunes enfants :
Source numérique de l'image : Gallica BnF
En 1882, Le Moniteur de La mode représente deux adolescentes (des sœurs jumelles) raquettes en main, l'une d'elles tenant délicatement dans sa main gantée un superbe volant :
En 1903, exceptionnellement, ce sont deux jeunes filles chapeautées qui posent en bord de plage avec des raquettes et un immaculé volant, assortis à la blanche toilette de la demoiselle de droite.
On notera qu'un bout de «filet» apparaît en arrière-plan sur la gauche de l'image.
Le badminton qui timidement commence à s'implanter dans quelques stations balnéaires au tournant du XXème siècle a-t-il inspiré le dessinateur ? Bien que la hauteur de ce filet rappelle plus celui du tennis...
Source de l'image : rijksmuseum
On trouve dans un des numéros du Journal des Dames et des Demoiselles, deux grandes demoiselles en toilettes s'adonnant au jeu du volant !
Cette illustration qui nous a été adressée par Jean-Jacques Bergeret (membre de la Commission Culture à la FFBaD et collectionneur d'objets anciens relatifs à l'histoire du badminton) reste à dater précisément.
Il arrive que certaines fillettes soient représentées en «action», jouant une partie, ou recevant un volant, comme sur ces trois illustrations :
De grandes sœurs peuvent être représentées tenant, elles aussi, une raquette en main, indiquant que durant cette balade, elles s'occuperont de leur cadette et échangeront (peu-être) avec elle quelques volants :
Image publiée dans Journal des Dames et des Demoiselles. Guide complet de tous les Travaux de Dames. Littérature choisie [...], Gravures de modes noires et coloriées à l'aquarelle [...] par MM Jules David et Préval, Bruxelles, Bruylant-Christophe & Compagnie Éditeurs, 1855-1886.
Lien directe vers l'image, en cliquant ICI.
Source de l'image : Collection S.P. Lohia
Source de l'image : Metropolitan Museum of Art, New York
Source de l'image : Rijksmuseum
Source de l'image : Rijksmuseum
En août 1919, le magazine américain Vogue publie un numéro spécial sur la mode pour enfants, avec en couverture la superbe image d'une fillette et d'un garçonnet 100% made in France, jouant avec un superbe volant bleu-blanc-rouge, assorti aux couleurs de leurs vêtements :
Cette couverture est attribuée à l'américaine Helen Dryden (1882-1972).
Elle est notamment disponible sur Wikimedia Commons.
À l'intérieur du numéro, quatre pages décortiquent les nouveaux vêtements (bien sûr totalement différents de ceux figurant en couverture) portés à Paris par les enfants qui, accompagnés de leurs nurses et gouvernantes, jouent sous les arbres des Champs Élysées ou encore dans l'aristocratique Parc Monceau.
La rédactrice de l'article «The simplified Child is now the mode in Paris» a été frappée par le changement vestimentaire de la jeunesse française de la capitale. Désormais les petits parisiens s'amusent vêtus de simples costumes. Les petites filles portent des robes courtes au-dessus des genoux, des robes légères faciles à mettre et à enlever. Elles vont nue tête ou les cheveux retenus par un simple bandeau
Alors qu'autrefois les filles ressemblaient à des poupées animées (animated dolls), avec leurs grands chapeaux, leurs robes de dentelles barrées par une large ceinture, leurs gants, leurs bottines et leurs chaussettes blanches, sans parler des chaînes et autres pendentifs, des bracelets et des bagues ! Aussi se contentaient-elles de marcher tranquillement, «pleinement conscientes que leurs vêtements étaient faits pour être regardés et non pour jouer» («They walked sedately with full conciouness that their clothes were made to be looked at, not played in»).
Même constat pour les garçons, serrés et guindés dans des travestissements des costumes de leurs aînés.
Tous ces enfants, garçons et filles, «n'étaient que de petites gravures de mode» qui ne gambadaient que rarement...
Aujourd'hui, les vêtements amples et simples en permettant une liberté de mouvement, qu'exigeaient les muscles grandissant des petits bourgeois, ont introduit plus de gaité. Et les jardins du Luxembourg en sont plus animés !
1920 – Manteau pour bien jouer au volant !
Source de l'illustration, édition français du magazine Vogue du 15 novembre 1920, p. 48 (Gallica-BnF).
Commentaire accompagnant cette photographie de «manteaux pour les jeux de plein air», prise en studio (le volant est sans doute accroché à la tenture) :
https://www.lavieduvolant.org/2022/08/une-joueuse-de-volant-remporte-la-plus-belle-des-annonces.html
1950 – Plaisir de France – jeu du volant ou badminton...?
Pour en savoir un peu plus sur cette affiche publicitaire réalisée en 1950 pour un magasin spécialisé dans la lingerie, les dentelles, mais aussi les vêtements pour enfants, une illustration quelque peu psychédélique avec laquelle nous conclurons ce panorama, se reporter à : «Une joueuse de volant remporte la plus belle des annonces !»
[1] Les deux autres séries figurent sous les titres : Modes et Manières du Jour (1798-1808) et Incroyables et Merveilleuses (1810-1818).
[2] À 32 ans, pour subsister à ses besoins, suite à la fermeture du lycée religieux de La Flèche (où il enseignait la philosophie et les belles-lettres) par la Révolution, l'érudit ecclésiastique, grand amateur de belles-lettres, se reconvertit dans l'écriture de plusieurs ouvrages savants et dans l'observation des Modes contemporaines. Doté de goût et d'un «instinct de l'habillement», ce curieux de tout s'intéressait à tout ce qui relevait du «bon goût».
[3] «Réponse au citoyen Mordiphile», in Le Journal des Dames et des Modes, n° 40, 20 Germinal, an 10 (10 avril 1802), p. 314 .
[4] Cf. Annemarie Kleinert, « Le Journal des Dames et des Modes » ou la conquête de l'Europe féminine, 1797-1839, Paris, Institut Historique Allemand, Stuttgard Jan Thorbecke, Verlag, 2001, p. 100.
[5] Émilie B…. Sophie L.… Adèle F…. etc…., «Au Rédacteur », Journal des Dames et des Modes, n°28, 20 Pluviose, an 10 [9 février 1802], p. 218 .
[6] «Les Indiscrets», in Journal des Dames et des Modes, n° 30, 30 Pluviôse, an 10 (19 février 1803), p. 1.
[7] Annemarie Kleinert, «Le Journal des Dames et des Modes» ou la conquête de l’Europe féminine, 1797-1839, Paris, Institut Historique Allemand, Stuttgart Jan Thorbecke Verlag, 2001.
[8] «Sur les femmes qui se mettent en homme», Le Journal des Dames et des Modes , 15 Germinal, an 10 [5 avril 1802], p. 1.
[9] «Quelques Observation», Journal des Dames et des Modes, n° 42, 30 Germinal, an 10 [20 avril 1802], p. 329.
[10] Le Journal des Dames et des Modes, n° 41, 25 germinal, an 10 [15 avril 1802], p. 327.
[11] Poirier (poème de), «Les Merveilleuses».
[12] «Explications de la gravure, N°374», in Le Journal des Dames et des Modes , n°38, 10 Germinal, an 10 (31 mars 1802), p. 304.
[13] «Ces perruques, d’ailleurs très légères, ont le mérite de loger, sans faire trop de volume, les plus longues chevelures et d’imiter jusqu’à occasionner des méprises, toutes les hachûres [sic], les aspérités, les accidents bizarres d’une titufication réelle.» «Explication de la Gravure, N°380», Le Journal des Dames et des Modes, n° 43, 5 Floréal, an 10 [25 avril 1802], p. 344.
[14] Shannon Selin (blog de) «Coiffure à la Titus».
[15] «Éloge de la Coiffure à la Titus, par J.-N. Palette, coiffeur. (1810)», in Paul Lacroix Jacob, Recueil curieux de pièces originales rares ou inédites, en prose et en vers, sur le costume et les révolutions de la mode en France : pour servir d’appendice aux Costumes historiques de ka France, Paris, Administration de la Librairie, 1852, pp. 287-294. Disponible sur Internet Archive.
[16] «Explication de la Gravure, n° 384», Le Journal des Dames et des Modes, n° 45, 25 Messidor, an 10 [14 juillet 1802], p. 368.
[17] «Explication de la Gravure, n° 399», Le Journal des Dames et des Modes, n° 59, 30 Germinal, an 10 [20 avril 1802], p. 472.
[18] «Explication de la Gravure, n° 399», Le Journal des Dames et des Modes, n° 69, 15 Fructidor, an 10 [02 septembre 1802], p. 552.
[19] «Explication de la Gravure, n° 379», Le Journal des Dames et des Modes, n° 42, 30 Germinal, an 10 [20 avril 1802], p. 336.
[20] «Explication de la Gravure, n° 402», Le Journal des Dames et des Modes, n° 62, 10 Thermidor, an 10 [29 juillet 1802], p. 496.
[21] «Explication de la Gravure, n° 402», Le Journal des Dames et des Modes, n° 62, 10 Thermidor, an 10 [29 juillet 1802], p. 496.
[22] «Explication de la Gravure, n° 385», Le Journal des Dames et des Modes, n° 47, 25 Floréal, an 10 [15 mai 1802], p. 376.
[23] Journal des Dames et des Modes, n° 38, 10 Germinal, an 10 (31 mai 1802), p. 302.