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Publié par Frédéric Baillette

    Le Dougledyas, encore appelé le Douglas, voire le Doug, est une forme de tennis-badminton qui «se joue avec la raquette de tennis et une sorte de volant extrêmement rapide en guise de balle» [1] !
    Ce très épisodique et localisé amusement serait passé totalement inaperçu, s’il n’avait pas été imaginé par l’acteur américain et producteur de films Douglas Fairbanks et pratiqué (au moins une fois) par une bande de copains dont Charlie Chaplin faisait partie.
    Surnommé The First King of Holywood, Douglas Fairbanks fut une star adulée, «fringante et éblouissante», qui incarna une Amérique «forte, confiante, héroïque, souriante et conquérante». Il interpréta nombre de films de cape et d’épée muets et quelques films parlants. Il est notamment connu des cinéphiles pour avoir été le rôle-titre du Signe de Zorro (1920), avoir joué D’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires (1921) et Robin des Bois (1922). Il fut également un énergique entrepreneur, qui en 1919 fonda (entre-autres avec Charlie Chaplin) The United Artist (les Artistes Associés), un studio de production qui «révolutionna Hollywood» (voir le documentaire auto-biographique de 3mn, I'm Douglas Fairbanks, disponible sur imdb.com).

 

Dougledyas Douglas Fairbanks Charlie Chaplin Badminton
Le Théâtre, 1er mai 1923


    Aussi, le Dougledyas retint-il uniquement l’attention de la presse s’intéressant au monde du cinéma et à ses acteurs les plus en vue.
    La plupart des articles reprirent deux photographies, très certainement prises aux Pickford-Fairbanks Studios, lieu de tournage situé à Los Angeles (Californie), où Douglas avait fait tracer un court.
    On les trouve notamment reproduites, en juillet 1923, dans un numéro de la revue Cinéa intitulé «Nos sports favoris par nos vedettes» [2].

    Sur le premier cliché, Douglas Fairbanks (à droite) présente «le nouvel engin du jeu» avec Charlie Chaplin (à l’extrême gauche) et Cornelius Vanderbilt (au centre). Il s’agit, plus précisément, de Cornelius Vanderbilt IV, rejeton d’une famille qui avait fait fortune dans le transport maritime et ferroviaire. Préférant le journalisme, il est connu pour avoir lancé trois journaux (à Los Angeles, San Francisco et Miami) qui tous firent rapidement faillite [3].
 

Dougledyas Douglas Fairbanks Charlie Chaplin Vanderbilt
Cinéa, n° 96, 15 juillet 1923

.
    Sur le second cliché le même trio de joyeux drilles pose grattant la «mandoline», accompagnés notamment de Raoul Walsh (acteur et futur réalisateur de films d’action) et Jack Pickford (acteur connu pour ses frasques et une vie quelque peu fantasque et dissolue).
 

Cinéa, n° 96, 15 juillet 1923

 

    Un instantané moins connu, illustrant un article du Miroir des Sports de mai 1923 consacré au «roi des comiques», montre Charlie Chaplin et un Cornelius Vanderbilt tout sourire, disputant une partie de Dougledyas. Elle est précédée d’une présentation laconique, faisant allusion à l’ancien jeu du volant (et non au badminton) : «Un jeu nouveau où la balle est remplacée par un bouchon garni de plumes et qui doit rappeler d’assez près le classique “volant” des pensionnaires» [4] (en référence à la pratique courante du jeu du volant dans les pensionnats et autres institutions pour jeunes filles, au XIXème et encore dans le premier quart du XXème siècle et au-delà).
 

Dougledyas Douglas Fairbanks Charlie Chaplin
Le Miroir des Sports, 17 mai 1923

 

    La légende accompagnant la publication de l’original de ce cliché, par le site «Discovering Chaplin», précise que, dans cette partie de «“Doug” (short for “Dougledyas”)», les raquettes s’apparentent à la fois au tennis et au badminton (ce qui n’est pas évident, au vu de celles tenues en main) et que les joueurs pouvaient également utiliser leur corps pour frapper le birdie (le volant) : «And you could also use your body to hit the birdie instead of the racket» [5]. Ce qui semble plausible, le jeu n’étant sans doute pas exempt d’une part de burlesque !
Voir sur YouTube les facéties de Charlot jouant au tennis, une vignette extraite de The Star Boarder - avril 1914 (titre français, Charlot aime la patronne) :
 

Charlot s'exercant au tennis dans The Star Boarder (Charlot aime la patronne, 1914)

 
   Il est, par ailleurs, indiqué que le jeu qui adoptait des règles similaires à celles du tennis pouvait se jouer à trois (ce qui expliquerait que six joueurs aient posé ce jour-là avec leurs «guitares»).

    Le 25 mai 1923, dans sa rubrique «On dit que…», le journal L’Intransigeant se fera l’écho amusé d’un «nouveau jeu qui tient à la fois du badmington [sic] et du tennis» et qui ne valait «vraiment pas la peine» d’avoir été inventé [6] :
 

Dougledyas Douglas Fairbanks Charlie Chaplin
L'Intransigeant, 25 mai 1923. Source Retronews

    En juillet de la même année, Le Petit Provençal signalera le Dougledyas dans un entre-filet de sa rubrique «Au Bout du film» :

Dougledyas
Le Petit Provençal, 5 juillet 1923, p. 5 – Source Retronews

 

    On trouve encore une dernière mention de cet amusement en 1931, dans Match le plus grand hebdomadaire sportif illustré») qui consacre un article à Douglas Fairbanks, décrit comme «le plus sportif des athlètes de cinéma», aux «appétits corporels» insatiables. À tel point «qu’il lui fallait un autre jeu plus mouvementé, plus violent [que le golf]» : «“son” jeu» baptisé le «Douglas, […] pour bien en signaler l’origine».
    Le magazine le présentait ainsi : «Le Douglas procède à la fois du tennis et du badminton. Il se joue sur un court dont le filet est haut, dans le genre du filet de paume [soit la hauteur d’un filet de tennis] ; les balles sont plus courtes et empennées ; les raquettes ont le manche plus long. Pour que la balle dépasse le filet, il faut la frapper très violemment, car l’empennage est tel qu’il ralentit considérablement la course ascendante ; par contre, la chute est très rapide. Le Douglas exige donc une dépense considérable de vigueur et une belle rapidité pour jouer la balle avant qu’elle ne touche le sol. Il offre la particularité d’être réservé à une élite physique, sous peine d’incapacité du renvoi de la moindre balle [7]

    Douglas Fairbanks était effectivement un athlète complet, un sportif touche-à-tout. On le voit ainsi dans un documentaire s'adonner avec aisance à différentes disciplines sportives : course de haies, barre fixe, saut en hauteur, lancer de poids et de javelot, et franchir en saut à la perche une barre dépassant largement les trois mètres, tout ceci en pantalon de flanelle et chemisette, et avec un matériel suranné (Voir Annexe 1).
    En 1931, il fut la vedette d'une comédie réalisée par Claude Autant-Lara, L'Athlète Incomplet (Local Boy Makes Good, en version originale), où il incarne Fred, un jeune étudiant se ventant, auprès de ses béguins, d'exploits sportifs, contraint de faire semblant d'être un sportif de haut niveau pour ne pas perdre le prestige dont il s'était auréolé.
 

affiche Film L'Athlète Incomplet Douglas Firbanks
L'Athlète Incomplet, 1932, affiche réalisée par Roland Coudon – Disponible sur Gallica.BnF


    Le Dougledyas fut très certainement un divertissement circonscrit à l’entourage immédiat de Douglas Fairbanks. Peut-être un jeu juste pour de rire, relevant du gag, et qui sans la notoriété internationale de son «inventeur», associée à celle de ses complices, serait resté totalement inconnu.

    Quant à l’origine de son appellation Dougledyas, elle reste pour nous une énigme. On y retrouve certes la racine Dougle, «diminutif» amical de Douglas. Mais que penser du «suffixe» Dyas ? Il est possible qu’il ait été retenu pour sa consonance hispanisante, comme un clin d’œil au tout premier rôle de héros-justicier joué par Fairbanks, Zorro, de son vrai nom Don Diego de la Vega, d’origine mexicaine… [8]
 

1927 : Volant-Tennis au Patronage
    En janvier 1927, La Vie au Patronage, une revue d’obédience catholique proposa aux jeunes garçons fréquentant les patronages un nouveau jeu : le Volant-Tennis.

    Placés sous un saint patron, les patronages ecclésiastiques offraient aux jeunes (largement issus de milieux populaires) qu’ils accueillaient et encadraient durant leurs temps de loisir des activités éducatives faisant la part belle aux jeux. Des animations ludiques et sportives qui alternaient avec une éducation chrétienne. Une mission résumée par leur devise : «Ici on joue, ici on prie».

    Ce volant-tennis n’était nullement inspiré du badminton, alors encore peu connu et pratiqué en France, mais de fait du tennis et, accessoirement, du volley-ball (qui, comme nous le verrons dans un article à venir, a lui été inventé en s'inspirant du badminton !).
    Si les dimensions du court, à tracer sur «un sol à peu près horizontal et plat, [comme] un coin de prairie», avoisinent celles du badminton : 12 m sur 6 m, la hauteur du filet («à la rigueur une ficelle suffit») de 2,30 m s’approche de celles du volley-ball (officiellement 2, 43 pour les hommes et 2,24 pour les dames).
    Quant au matériel utilisé, il n’est autre que celui servant habituellement pour jouer au traditionnel jeu du volant (qui était encore pratiqué par les jeunes enfants et plus particulièrement par les fillettes) : «Des raquettes quelconques, même des raquettes d’enfants, pourvu qu’elles soient un peu résistantes, et avec le volant ordinaire des petites filles» !

 

    Le volley était un «jeu» bien connu des patronages qui disposaient souvent d’un terrain en extérieur. Ses règles détaillées avaient été publiées dans deux précédents numéros de La Vie au Patronage revue (en 1920 et 1921) [9], avant d’être éditées sous forme de manuel par Les Éditions de La Vie au Patronage. Ce jeu d’extension aurait, selon l’un des rédacteurs de la revue, des bienfaits certains pour «revivifier la race», puisqu’il «redresse les tailles déviées en fortifiant les masses musculaires dorso-lombaires» [10] !
    Par ailleurs, le jeu du volant, considéré comme un jeu tranquille, faisait partie des «Distractions du Patronage» [11] bien que principalement pratiqué dans les Patronages pour filles [12] .

    La Vie au Patronage ne fera que très ponctuellement référence au badminton, en 1928 et 1931, au travers de pages proposant de commander divers articles à ses «Services commerciaux» (dont, entre autres, des raquettes pour jouer au volant et des raquettes de badminton) [13] (voir document en Annexe 3).

     Si au service le volant devait être frappé de «bas en haut» et doit «arrive[r] dans le rectangle diagonalement opposé», il s’effectue, tout comme au tennis, en se positionnant derrière la ligne de fond (appelée «ligne de base»). Certes l’annonce des scores ne s’effectue pas exactement comme au tennis (15-0, 30-15, etc.), mais, tout comme au tennis, il faut pour gagner un jeu «inscrire au moins 4 points», et une «partie se compose de 2 “sets” de six jeux, avec une belle, s’il y a lieu». Au final, comme le note l’auteur du Volant-Tennis : «On voit que sauf l’obligation du ”service en dessous”, la règle du volant-tennis est identique à celle du tennis.» [14] (voir règlement complet du Volant-Tennis en Annexe 2).


1942 : Ephémère renaissance du volant Tennis (pour adultes)
    Une vingtaine d’années plus tard apparaitra très ponctuellement, en France, une pratique quasi identique destinée aux sportifs adultes : le «volant Tennis» (ou volant-tennis, avec un trait d'union).
    En 1942, la Fédération Française de Lawn Tennis (FFLT) proposera ainsi à ses membres de troquer les balles de tennis (devenues une denrée rare en ce début de second conflit mondial) par des volants pour continuer de s’exercer à leur sport favori.
    Au travers d’une publicité accompagnée d’un imposant volant aux nombreuses plumes (positionné tel un obus fondant sur son objectif), un solide volant qui toutefois «ne remplace pas la balle de tennis» (comme précisé dans le texte accompagnant l’annonce), la revue Smash [15] se fit l’écho de cette nouveauté qui se joue «strictement de volée», en suivant tout simplement les règles du tennis. À l’exception du service qui «se fait en frappant le volant de bas en haut en dessous du niveau de la ceinture».
    À noter, sur ce document, le v minuscule de volant et le T majuscule de Tennis mettant l'accent sur sa prédominance, le volant apparaissant comme un palliatif tout temporaire... Un substitut dont il faut se contenter face à la pénurie de balles, le caoutchouc étant devenu une rareté (voir de Paul Bernier : «Tennis et rationnement», sur la pénurie de balle tennis au Québec durant la Seconde Guerre mondiale).
 

Volant-Tennis
Smash, n°9, avril-mai 1942, p. 8


    Dans sa remarquable thèse sur l’Histoire du badminton en France, Julie Grall envisage cette éphémère tentative comme une stratégie commerciale de la maison Prulière Sport «pour écouler ses produits et ses volants de badminton en prétextant qu’il s’agit d’une innovation» [16].
    Toutefois, bien que le volant illustrant la publicité «ressemble parfaitement à celui utilisé en badminton» (excepté le nombre important de plumes), il semble que Prulière Sport ait produit un volant (plus trapu, avec un bouchon singulièrement mastoc) spécialement conçu pour jouer au Volant-tennis (mais un peu moins plumé que sur l’illustration). Un volant spécifique qui diffère par sa robustesse des volants de badminton d’alors, vendu (peut-être à l’unité ?) dans une boîte spécifique et dont, le collectionneur, Pascal Bernon, possède un exemplaire :
 

Volant-Tennis
Volant-Tennis – © Pascal Bernon (collectionneur)


    Cette proposition de s'entraîner, par défaut, avec un volant tourna rapidement court. Le Volant-Tennis reste un épiphénomène dont très peu de traces existent, ce qui n’est pas le cas du fly-ball, un jeu de raquettes et de volant apparu en 1937, auquel nous consacrerons le prochain volet de cette série sur les jeux sportifs inspirés du badminton, ou utilisant des volants.

Précédent jeu présenté : le Volley-Shuttle (1922)

   Remerciements à :
    - Jean-Jacques Bergeret, pour sa relecture attentive, ses conseils avisés et son aide à l'affinage des traductions ;
    - Bruno Lafitte (responsable commission culture à la FFBaD), pour son aide toujours précieuse dans la recherche de documents et d'illustrations originales ;
    - ainsi qu'au Tenniseum (musée du tennis de Roland Garros) pour l'illustration du Volant-Tennis publiée dans la revue Smash.

 


[1] «Nos sports favoris par nos vedettes», Cinéa, n° 96, 15 juillet 1923. Disponible sur le site cineressources.net.
[2] Ibidem.
[3] Cf. Cornelius Vanderbilt IV (1898-1974).
[4] «Charlie Chaplin pratique les sports par goût et par nécessité», in Le Miroir des Sports, 17 mai 1923, p. 319.
[5] Jessica, «Charlie & Cornelius Vanderbilt, Jr. playing "Doug" at the Fairbanks Studio, April 1923», Site Discovering Chaplin, 9 avril 2016.
[6] L’Intransigeant, 25 mai 1923, p. 2 (rubrique «Nos Échos. On dit que…»). Source Retronews.
[7] «Match est allé voir “Zorro”», Match. Le plus grand hebdomadaire sportif illustré, 1er décembre 1931, p. 3. Source Retonews.
[8] À moins que l’un des protagonistes ne soit féru de latin et de grec ancien, «dyas» renvoyant au nombre deux…
[9] «Règles du Jeu de Volley-Ball», La Vie au Patronage, n° 10, 15 octobre 1920, pp. 628-629. Rééditée le 1er janvier 1921, pp. 309-310.
[10] Dr Maurice Boigey, «Les Jeux et l’Éducation physique», in La Vie au Patronage, 1er janvier 1922, p. 54.
[11] «Distractions du Patronage», in La Vie du Patronage, 1er janvier 1922, p. 769.
[12] Voir par exemple, «Éducation physique et jeux», in La Vie au Patronage, juillet-août 1935, p. 127.
[13] Cf. La Vie au Patronage, 1er septembre 1928, p. XIV et 1er juin 1931, p. 450.
[14] «Le Volant-Tennis», La Vie au Patronage, 1er janvier 927, pp. 432-433.
[15] Smash, n° 9, avril-mai 1942, p. 8.
[16] Julie Grall, Histoire du badminton en France (fin XIXe siècle – 1979) : Pratiques et représentations, Thèse de doctorat STAPS, Université de Rennes 2, 2018, pp. 229-230.

 

ANNEXE 1 : Douglas Fairbanks, un athlète hors pair, touche à tout

Douglas Fairbanks, ce grand héros de films de cape et d'épée, a charmé des millions de cinéphiles avec sa vigueur athlétique, ses airs de jeune premier et son charisme étincelant.

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