Volley-Shuttle (1922)
Le 17 septembre 1922, l'hebdomadaire britannique le Sunday Pictorial (qui, en 1963, deviendra le Sunday Mirror), présente en trois images la démonstration d'un nouveau jeu pour l’hiver, un winter game se jouant avec un volant et pouvant se pratiquer dans un jardinet, ou dans une salle à manger : le Volley-Shuttle.
De l’anglais to volley : attraper à la volée (ou volleyer) et de Shuttle : littéralement navette (en référence aux aller-retours de la navette des tisserands), à l’origine de shuttlecock, cette navette aux plumes de volatiles (cock) que nous nommons volant et que les anglo-saxons appellent aussi, plus affectueusement, birdie.
Un amusement qu’une des toutes premières publicités, parue en 1923 dans le Sunderland Daily Echo and Shipping Gazette, annoncera comme offrant aux passionnés de tennis l’occasion de continuer à parfaire leur «coup d’œil» en période hivernale. Un jeu agréable, devenant passionnant au fur et à mesure que l’on s’y investi et que l’on en découvre toutes les scientifiques subtilités…
«The new interesting and scientific game of the season. All Tennis players will find it the surest training for the eye and the game that has been wanted for the winter play. The most healthy and enjoyable indoor game ever invented. The skill is based on the regulation size of the volley Bat, Shuttle, and Court, and the more it is played the more scientific the game becomes. Therefore the player never tires of it, and the game is always interesting and exciting.» Voir en Annexe, la reproduction de ce document, |
Le dit scientific game se joue avec un filet placé à hauteur d’yeux, des volants bien plus petits que les volants de badminton («a miniature shuttlecock») et des raquettes plus courtes, présentant un tamis en bois particulièrement réduit. Voir ci-dessous C. Sprey-Smith (entraîneur de tennis alors réputé), peut-être l'inventeur du jeu (ou tout au moins son zélateur attitré), comparant les instruments du Volley-Shuttle avec ceux utilisés en badminton :
Le Volley-Shuttle s’inspire, en effet, du badminton («based on badminton»). Un badminton adapté à des espaces restreints, pouvant se jouer à la fois dans un small garden et, plus surprenant et intriguant (à la vue de la hauteur du filet), dans un «dining-room» (une salle à manger)…
La réponse, à ce qui au premier abord apparaît comme une bizarrerie, se trouve dans la série d’encarts publicitaires, parus de 1923 à 1926 dans le Sunderland Daily Echo and Shipping Gazette [1]. Ce quotidien, fondé par des politiciens et des businessmen, proposent, en effet, trois sets de Volley-Shuttle dont deux à fixer à une table («for attaching to Table») ! Ces deux premiers ensembles (dont le second est de «qualité supérieure») comprennent deux «volley Bats» (raquettes), des «volley Shuttles» (des volants), un filet, mais surtout une paire de poteaux articulés pour table («Jointed Posts for table») accompagnés de «Metal Clamps» pour les y fixer. Le Volley Shuttle pouvait donc aussi (et peut-être même surtout) se pratiquer en adaptant le filet à une table !
Le troisième set est destiné à des petits espaces (d'intérieur ou gazonnés) : «Small Hall or Lawn». Il correspond au jeu figuré par la photographie du Sunday Pictorial, avec des «Metal Bases» pour fixer les poteaux et des lignes («Court Markers») pour délimiter le terrain. Un terrain dont les dimensions nous sont inconnues (faute d’avoir découvert une quelconque notice explicitant le jeu). Mais un terrain qui, si l’on se fie aux tracés du dessin placé en en-tête des annonces (voir ci-dessous), est plus large que la longueur du filet. Un positionnement qui n’est pas sans rappeler les premiers terrains de badminton, dit terrains «cintrés» (waist court) ou encore «en sablier» (hour-glass court), où les poteaux étaient positionnés à l’intérieur du terrain et présentaient (comme ici) une extension. Un prolongement, sorte d’antennes (comme aujourd’hui les « mires » en volley-ball), permettant de visualiser si le volant avait convenablement franchi le filet. Les volants passant à l’extérieur de ces repères étant comptées faute.
Voir sur ce même blog :
«Terrains en sablier, cintrés, rectangulaires»
Ainsi, le Volley-Shuttle se déclinait-il en deux versions, jouées avec des instruments et un filet identiques. Un filet de la largeur d’une table de salle à manger, ce qui explique le faible écartement des poteaux d'extérieur…
Les deux premières sets, «for attaching to Table», sont concomitants des premières apparitions de volants, à côté de balles, dans des coffrets de Tennis de table (ou Tennis de salon), vendus en France (et sans doute outre-Manche), permettant ainsi de jouer soit au «ping-pong», soit avec des volants... Elle préfigure le Table Badminton, cette tentative, toute britannique des années trente, de transposer le badminton à l’espace intérieur, en y jouant sur la table à manger ! (voir «1930-1940 : Table Badminton ou “Badminton on the Dining-Table”», article à paraître)
Source : Page Facebook Collection Sports de Raquette – © Rémi Vivet
À noter qu’une publication française, sans doute datant de 1922 (mais dont nous n’avons pu trouver ni le support, ni précisément la date de parution) présenta, sans le nommer, le Volley-Shuttle comme «le jeu à la mode pour l’hiver prochain»… lui prédisant la même vogue que le ping-pong…
La photographie illustrant cet entre-filets, d’évidence prise le même jour que celle publiée par le Sunday Pictorial, est celle qui, stylisée, accompagne les annonces publicitaires parues dans le Sunderland Daily Echo and Shipping Gazette et quelques autres journaux de la même époque [2].
Il semble bien que le Volley-Shuttle n’ait connu qu’un très bref et limité succès (nos recherches pour dénicher un quelconque coffret du jeu chez des antiquaires est, pour l'instant, restée infructueuse).
On ne trouve que peu de traces de son existence. La dernière mention que nous en ayons repérée figure dans le Sunderland Daily Echo du 9 janvier 1926. Désormais, l’annonce, toujours accompagnée de la même illustration, propose les trois coffrets, d’un jeu qualifié de Famous, à moitié prix («to clear at Half-Price») par rapport à son «usual price». Comme une ultime tentative pour se débarrasser des invendus…
Prochain volet de cette série sur les jeux et sports inspirés par le badminton :
«Dougledyas (1923) et Volant-Tennis (1942)»
Remerciements à :
Bruno Lafitte et Jean-Jacques Bergeret (respectivement, responsable et membre de la Commission Culture de la FFBaD) pour leur précieuse aide à la recherche d’illustrations et de documents originaux.
Première publicité pour trois sets de Volley Shuttle
parue dans le Sunderland Daily Echo and Shipping Gazette
du 26 avril 1923