Terrains en sablier, cintrés, rectangulaires...
Le «hour-glass court» (terrain en forme de sablier), encore appelé «waist court» (terrain cintré), est une singulière géométrie, totalement inconnue en France, qui a pourtant marqué les débuts Indo-britanniques du Badminton.
Aujourd’hui rangée au rayon des curiosités, cette «extravagance» toute anglo-saxonne est apparue dans les années 1870, alors que le badminton n'en était qu'à ses prémices. Bien qu’épiphénomène, cette franche découpe des courts au niveau du filet a accompagné l’essor du jeu durant quasiment un quart de siècle.
Adoptée en Angleterre à la fin du XIXème siècle, cette étonnante configuration fut, dans un premier temps, officiellement retenue par la Badminton Association (créée en 1893 pour fédérer les clubs existant et mettre un peu d’ordre dans la diversité des règlements locaux), avant d’être, en 1901, définitivement abandonnée et remplacée par le terrain strictement rectangulaire que nous connaissons.
Petit retour aux sources de cette «fantaisie» et des hypothèses avancées pour expliquer la présence d’un net rétrécissement de terrains en leur milieu. Un étranglement qui donnait au shape, d'un passe-temps très prisé des dames, une taille de guêpe… à l’instar de la silhouette féminine qui fut particulièrement en vogue à la fin du XVIIIème siècle [1] (et dont, mais c’est un autre sujet, les caricaturistes de l’époque se moquèrent en représentant ces dames, à la taille étroite et aux chapeaux démesurément emplumés, sous la forme de volants... Voir : «Miss… Shuttle-Cock : Croupe en liège, tête en plumes»).
Un premier schéma d’un terrain en forme de sablier, présentant deux encoches au niveau de poteaux positionnés à l’intérieur du terrain, apparaît en 1873. Ce document figure dans un article intitulé « Indian Badminton, or Lawn raquets », publié dans un dense ouvrage de plus de 780 pages : The Popular Recreator. A key to in-door and out-door amusements. Une somme qui présente un panel de distractions d’intérieur (billard, échecs, tours de magie, jeux de cartes, etc.) et/ou d’extérieur (pêche à la ligne, chasse au papillon, natation, canotage, croquet, cricket, escrime, etc.) et qui, dans le cas du badminton, présenté comme un jeu sur gazon (Lawn Racquets), s’appuie sur ce schéma [2] :
Fig. 1 : « The ground », in « Indian Badminton or Lawn Racquets »,
The Popular recreator. A key to in-door and out-door amusements,
Londres, Paris et New York, Cassell, Petter & Galpin, 1873, p. 324.
Ouvrage disponible sur « Internet Archive »
Si la largeur indiquée du terrain est de 19 pieds (5,80 m), la longueur du filet n’est plus que de 12 pieds (3,65 m), et le ground comporte des encoches prononcées aux niveaux des poteaux. Des découpes particulièrement acérées, de 3 pieds chacune – soit un peu plus de 90 cm.
À aucun moment l’anonyme auteur de l’article, qui relève les origines indo-britanniques de cet Indian Badminton, puis décrit ses principales règles, ne relève l’étrangeté de ces décrochements, ni ne révèle leur raison d’être. Nul besoin, sans doute, d’explications pour ce surprenant tracé dont les échancrures ne pouvaient interpeller les lecteurs de l’époque qui découvraient ce nouveau sport.
L’auteur de cette présentation informe seulement sur l’origine du jeu et son parcours à travers l’Empire britannique. Après avoir situé, légende oblige, sa naissance en Angleterre dans la résidence du Duc de Beaufort (à Badminton House), il souligne son importation et implantation dans les Indes britanniques où le jeu rencontra des conditions propices à son développement et où il fut joué sous différentes formes, variables en fonction des régions. Une diversité de règles que deux English gentlemen auraient collationnées et compilées, pour n’en retenir que le meilleur. Un choix que le célèbre M. James Lilly-white, de Cheltenham (sportsman surtout connu pour être un fin-connaisseur du cricket) vient de porter à la connaissance du public anglais. Un auditoire qui devrait être conquis par le retour au pays de cet agréable amusement aux règles «peu compliquées». Un passe-temps donc promis à une «considerable popularity» [3] .
Pour aller plus loin :
« Aux Origines indo-britanniques du Badminton »
(à paraître sur lavieduvolant.org)
Une deuxième version du terrain en sablier est fournie le 9 mai 1874 par le Harper’s Bazar, à la fin d’un long article présentant «The Game of Badmington [sic]», agrémenté d’une gravure mettant en scène deux couples jouant une partie, sur laquelle pourtant les poteaux (surtout celui du premier plan) apparaissent plantés sur les lignes latérales…
« The Game of Badmington » [sic], Harper’s Bazar, 9 mai 1874, p. 309.
Le diagramme figurant en fin d’article, lui, s'apparente au dit « sablier », quoique légèrement moins resserré que le précédent, avec un filet de 15 pieds de long contre 12 pour celui du Popular Recreator .
Si les dimensions du terrain affichées correspondent cette fois-ci à celles que nous connaissons (44 pieds de long sur 20 de large – 13,40 x 6,10 m), l’auteur du texte précise qu’elles peuvent être modifiées, pour s'adapter au nombre de joueurs (pouvant aller de 2 à 6, voire 8 – les parties de 4 contre 4 mixtes n’étaient alors pas rares).
Fig. 2 :« The Game of Badmington [sic] », Harper’s Bazar, 9 mai 1874, p. 310.
Source : Internet Archive
En 1903, un livre consacré aux règles de différents sports (publié à New York), consacre deux pages aux «Laws of Badminton as adopted by the Bath Badminton Club, Bath, England» [4], où figure un «Correct diagram of a Badminton court» :
Fig. 3 : Correct diagram of a Badminton court, « Lawns of Badminton »,
in Spalding’s Athletic Library, The Games of Lawn Hockey, Tether Ball […] Laws of Badminton […],
New York City, American Sports Publishing Company, 1903, p. 47.
Source : « Internet Archive »
Bine que la publication date de 1903, elle fait très certainement référence aux règles rédigées par le club de Bath en 1874. Le diagram publié daterait dont plutôt de cette époque.
Comme dans les précédents articles, aucune indication concernant la présence de ces décrochements (ici encore moins perceptibles), si ce n’est la précision rédigée en italique qui souligne la nécessité d’allonger les poteaux jusqu’au toit ou au plafond (!), et d’installer un filet d’arrêt latéral, à l’extérieur des poteaux, afin de voir si le volant passe à bien entre ceux-ci et non à l’extérieur… (nous reviendrons plus loin sur la nécessité de cet ajustement matériel) : «The post should extend to the roof or ceiling. A side or stop net outside the post will assist in determining whether the play is outside the posts or not.»
Dans sa 9ème édition, en 1875, l’Encyclopædia Britannica publiera un article (signé H. J., pour Henry Jones [5]) sur le «Badminton», actant ainsi la reconnaissance officielle du jeu par la Faculté, là aussi accompagné d’un plan du terrain :
Fig. 4 : «Diagram illustrating the Game of Badminton», article «Badminton»,
in Encyclopædia Britannica, 1875, 9ème edition, Vol. III, p. 228.
Source : archive.org
Si le tracé du cours est celui d’un rectangle qu’aucune entaille ne vient échancrer, les poteaux sont placés à l’intérieur et à une distance de 15 pieds l’un de l’autre (soit un décalage de 2,5 pieds – 75 cm —, par rapport aux lignes latérales – la largeur du court étant ici de 20 pieds). La longueur du terrain, de 40 pieds sur le plan, pouvant être réduite jusqu’à 30 pieds, en fonction de l’espace disponible et du dynamisme des joueurs : «According to the space at command and the activity of the players» (comme précisé dans le corps de l’article).
L'absence, sur ce diagram, de lignes indiquant un cassure au niveau des poteaux renforce l’opinion de Dave Jacobs pour qui les tracés apparaissant sur tous les plans ne représenteraient nullement les limites du terrain en cet endroit, mais plutôt signaleraient les haubans maintenant les poteaux… (ou leurs trépieds – voir plus loin) : « This supports the idea that the 'nick' shown in earlier diagrams was not intended to represent the court boundaries, but rather showed where the supporting ropes were to be placed. » [6]
Une analyse que nous ne partageons pas. En effet, ces marquages au sol proches des poteaux sont notamment visibles, certes pas aussi nettement que souhaité, sur une photographie prise en 1877 d’une partie jouée (en extérieur) dans un suburban garden :
The hour-glass shape of the court is just visible», 1877.
In Bernard Adams, The Badminton Story, 1980, p. 30. «A four-a-side game in an English suburban garden.
En 1876, the hour-glass shaped court figure dans une brochure consacrée aux règles du New Games of Tennis and Badminton. Aucun franc décrochement, les poteaux sont positionnés sur des lignes latérales ne présentant aucune brusque rupture. Ici, le plan prend nettement l'aspect d'un sablier dont les lignes de fond (baselines) sont de 20 pieds et la partie la plus resserrée, le goulot où est installé le filet, de 15 pieds.
Fig. 5 : New Games of Tennis and Badminton, 1876.
Source de l’image : Dave Jacobs, «Origins of the Sport of Badminton»,
chapitre c : « The Booklet of 1876», Worldbadminton.com.
Ce plan figure à l’identique dans le rules book accompagnant l’un des rares coffrets portatif du jeu, un set complet de «Game of badminton» proposé à la vente vers 1875 :
The Game of Badminton, vers 1875
Source de l’image : jimstennis.com
Ce même schéma apparaît dans un petit livret intitulé The Anglo-Indian Game of Badminton. Un document (non daté) reproduit dans le magazine World Badminton de février 1976, à qui il a été communiqué par un lecteur de Dublin.
Pour Dave Jacobs qui cite cet article, ce document se révèle quelque peu décevant. Il ne contiendrait que très peu de règles effectives du jeu et renfermerait des «contradictions». Si le court a assurément la forme d’un hour-glass, «les écarts entre les dimensions du schéma et celles du texte jettent le doute sur l'exactitude des deux. Il se peut, note-t-il, que celui qui a rédigé ce livret ait mélangé le badminton avec le tennis sur gazon, dont les premières versions utilisaient certainement un terrain en forme de sablier.» [7]
Si les plans de terrains indéniablement en forme en sablier sont peu nombreux (les premiers étant plutôt cintrés – waist court), cette coupe est nettement visible sur deux illustrations publiées dans la presse américaine des années 1890.
Sur une première gravure, éditée en avril 1891 par le Harper’s Weekly, les lignes du terrain situé au premier plan convergent bien en se rapprochant du filet, alors même que le poteau est d’évidence positionné à l’extérieur du terrain. À observer attentivement l’image, on remarquera qu’il est de même pour le tracé du terrain situé à gauche :
« The Midwinter Game of Badminton — Drawn by T. de Thulstrup »,
Harper’s Weekly, 4 avril 1891, p. 246
Sur une seconde illustration, publiée dans le New-York Daily Tribune en 1896, les poteaux sont, cette fois-ci, installés à la pointe du sablier formée par les deux terrains. Le texte souligne que la longueur du filet (11 pieds 6 pouces) étant nettement inférieure à la largeur de fond du court (16 pieds) : les lignes du terrain se rétrécissent en son centre : «The lines of the court are consequently narrowed toward the centre to that width».
À noter, la hauteur des poteaux supportant le filet. Une caractéristique sur laquelle nous reviendrons plus loin.
« A Badminton Tournament at the Berkeley Armory », in « Played only in Lent »,
New-York Daily Tribune, 15 mars 1896
Source : Chronicling America. Historic American Newspapers
L’article qu’illustre ce dessin publie par ailleurs le plan d’un usual badminton court en sablier, avec, autre étrangeté, des demi-cercles indiquant des zones où le serveur et le receveur devaient se positionner lors de la mise en jeu du volant : «The corners of the inner court marked off with curved lines are the spots where the servers stand» !
Il est possible que cette originalité, à notre connaissance, totalement absente des règlements britanniques, soit issue des règles mises en place en Inde, en 1874, au club de badminton d’Ahmedabad dont se serait inspiré le Badminton Club de New York à sa création, en 1878 [8] .
« Dimensions of the usual Badminton Court »,
in « Played only in Lent »,
New-York Daily Tribune, 15 mars 1896
Source : Chronicling America. Historic American Newspapers
Un vue similaire, «a bird’s-eye view of the court», est publiée dans The Sun du 5 mars 1891, avec, sous le filet, une étroite bande ne semblant pas faire partie du terrain, et la présence des mêmes demi-cercles utilisés lors du service : «The service shall be from the “service corner“, the server and receiver each standing with both feet within their respective quadrants until the shuttlecock is struck.» [9] (La même explication est donnée dans l’article que Caspar W. Whitney consacre au Badminton dans le Harper’s Weekly du 4 avril 1891, p. 250)
« An old East Indian Game », The Sun, 15 mars 1891, p. 16.
Pourtant, quasiment au même moment, plusieurs journaux américains, publiaient les plans de terrains uniquement cintrés, comme, par exemple, celui-ci extrait du Seattle Post-Intelligencer du 31 mai 1891 (les hachures, sans doute ajoutées au crayon par un lecteur, indiquant que les volant tombant dans cette zone lors du service sont comptés faute. Ces hachures n'apparaissent pas sur les schémas identiques notamment publiés par The Richmond Dispatch du 31 mai 1891, le Weeling Register du 31 mai 1891 ou encore de The Telegram Herald du 3 juin 1981) :
« Plan of a Badminton Court »,
in « The Net and Racket. Badminton Has not Driven Tennis From Favor »,
The Seattle Post-Intelligencer, 31 mai 1891, p. 9.
Source : Chronicling America. Historic American Newspapers
Tennis sur gazon (Lawn Tennis) et terrain en sablier
La forme s’apparentant singulièrement à un sablier se retrouvait à la même époque en «tennis».
En 1874, un officier britannique, le Major Walter Clopton Wingfield (1833-1912 ?), un «ancien de l’armée des Indes», proposa une version de tennis en plein air qu’il baptisa Sphairistiké ou Lawn Tennis. Sphairistiké signifiant «art de la balle» en grec ancien, la spéristique étant l'art des exercices avec la balle, activité fortement conseillée par les médecins de l'antiquité.
Wingfield conçut, fit breveter (le 23 février 1874), et commercialisa un coffret contenant tous les instruments du jeu (poteaux, filet, maillet, raquettes, balles en caoutchouc, etc.), accompagné d’un manuel d’instruction : The Game of Sphairistiké or Lawn Tennis où il donne au terrain la forme d’un sablier :
Fig. 6 : « The New Patent Game, Sphairistiké or Lawn Tennis »
Plusieurs publicités de ce type sont parues à la même époque dans différents journaux
(comme dans The Sporting Gazette du 18 avril 1874, p. 358)
Cette illustration est également téléchargeable sur Wikipedia.org
L’historien du sport Guy Bonhomme note que ce jeu «reçu un accueil favorable dans la presse [qui le présenta comme] une adaptation intelligente du jeu de paume». En Angleterre, depuis le XIIIème siècle, le jeu de paume était appelé «tennis», avec différentes orthographes : «tenetz», «teneys», «tenyse» ou encore «tennyse». Des appelations «que l'on peut rapprocher de l'impératif français "tenez" qui aurait à l'époque servi de signal pour prévenir l'adversaire avant de servir» [10].
Le Sphairistiké, dont les règles sont plutôt confuses (les joueurs étant conviés à les interpréter librement), est une adaptation du jeu de paume pour gazon. Comme à la paume, l’engagement s’effectue à partir d’une zone délimitée (en forme de losange – indiquée par la lettre G sur l’illustration) et uniquement d’un seul côté du terrain, qui, de fait, est asymétrique (les joueurs changeant de camp lorsque leur tour vient de servir, tout comme à la paume). Selon les indications énoncées par le Major, la balle devait rebondir dans un des deux rectangles situés au fond du court (et non près du filet, comme ce sera ensuite rapidement le cas).
Selon Guy Bonhomme, le resserrement au nouveau du filet «repose sur des raisons essentiellement pratiques : les filets latéraux [voir figures 9, 10 et 11], qui délimitent le jeu, servent aussi à maintenir les poteaux et à tendre le filet central sans qu’il soit besoin d’autres piquets, gênants et disgracieux» [11]. Une explication peu convaincante…, quelque peu tirée par les filets !
On retrouve cette forme en sablier dans un article du Field daté du 18 juin 1875, intitulé «Tennis» et signé Cavendish (pseudonyme d’Henry Jones, voir note 5). Le terrain est désormais parfaitement symétrique, la zone de service en losange a disparu. Les joueurs n’ont plus à changer systématiquement de côté lorsque vient leur tour de servir.
Fig. 7 : Cavendish, « Lawn tennis and the M.C.C Laws », The Field, 19 juin 1875, p. 626.
En 1880, dans l’article consacré au Lawn Tennis, The Sportman’s Year-Book, publie un diagramme d’un court de Lawn tennis tel que proposé par Walter Wingfield en 1873 (p. 189 – ouvrage disponible en intégralité sur hathitrust.org) :
Fig. 8 :The Sportman’s Year-Book, 1880, p. 189.
La forme en sablier, bien que moins perceptible, est reproduite sur l’étiquette collée à l’intérieur du couvercle d’un coffret datant des années 1875-1876, intitulé : The Cassiobury Games of badminton and Garden Tennis, qui propose en ensemble économique permettant d’installer dans son jardin à la fois un terrain de badminton et de tennis.
Fig. 9 : « The Cassiobury Games of badminton and Garden Tennis » ,
Étiquette, Dim. 47,8 x 31 cm, imprimée par Dean and Son of 160 Fleet Street, London
Le match de tennis (un double mixte) est joué sur un terrain qui présente une forme en sablier. Le filet (certes bien haut – tout comme celui de badminton) est doté de filets à «ailes» («is complete with wing nets»), peut-être pour éviter que les joueurs ne se prennent les pieds dans les cordes stabilisant les poteaux.
Notons que sur le terrain de badminton, les poteaux sont placés sur les lignes et leurs haubans fixés à l’extérieur d’un terrain parfaitement rectangulaire…
Fig. 10 : « The Cassiobury Games of badminton and Garden Tennis » (detail)
Ci-dessous, cliché daté de 1875 d’un hourglass layout (ou Wingfiedl layout ) installé à Charterhouse School (Godalming, Surrey). Le filet est en bois, ce qui n’était guère courant.
En tennis, le court en sablier sera abandonné en 1877, à l’occasion du tournoi de Wimbledon, et remplacé par un court rectangulaire.
Pourtant un amusant dessin d’un terrain de Lawn tennis dissymétrique, tel qu’imaginé par Wingfied, figure toujours en 1883 dans un ouvrage illustré, présentant plusieurs sports, édité sous le titre : Lawn Tennis, Croquet, Troco, Racquets […], par Ward Lock & Cie, Salisbury Square (Londres).
Le service s’effectue d’une zone délimitée par un losange, et d’impressionnants filets enserrent littéralement ce terrain privé :
Fig. 11. Lawn Tennis, Croquet, Racquets, &c, Ward Lock & Co, Salisbury Square (Londres), 1883.
Ce petit ouvrage est attribué à Captain Rawdon Crawley ou à George Frederick Pardon,
par abeBooks.com qui le mettait en vente.
On trouve également une image, où le serveur (à gauche) sert les deux pieds à l’intérieur d’un losange, en introduction de Lawn-tennis and Badminton, publié en 1879 par Julian Marshall (bien que l’auteur n’y fasse la moindre allusion dans sa description du jeu). Malgré l’absence de filets latéraux et un tracé au sol superficiel, le terrain apparaît bien comme dissymétrique et légèrement en sablier.
Fig. 12 : « Description of the Game », in Julian Marshall, Lawn-tennis and Badminton , 1879, p. 3.
Aux origines du «hourglass shaped court», «The court, like ladies, had a waist» !
Un article du site Badminton England, consacré à Mr George William Vidal (l’un des pionniers du développement du badminton dans les années 1870), donne une première explication de la provenance de la configuration en sablier, en se référant à un texte paru dans Lawn Tennis and Badminton du 6 mars 1907, qu'il republie en intégralité.
Le 10 juillet 1873 aurait été disputé à Sattara (dans l’ouest de l’inde), le premier match jamais joué sur un terrain couvert, spécialement tracé pour l’occasion (une rencontre à laquelle participa G. W. Vidal).
L’unique entrée du local étant située en son milieu et la totalité de la largeur étant nécessaire pour l’installation d’un terrain, le poteau proche de la porte avait dû être déplacé vers l’intérieur du court afin de permettre l'accès à ce lieu exigu… Par souci de symétrie le poteau opposé fut donc aussi décalé à l’identique.
C’est ainsi que, pour des commodités de circulation et des contraintes d’espace, le tracé de cet historique terrain prit la forme d’un sablier !
Une forme qui aurait ensuite été reproduite...
« In 1877, he joined the Indian Civil Service, and ultimately held office as Chief Secretary to the Government of Bombay and as an additional Member of the Legislative Council. It is interesting to note that he played at Sattara, Bombay Presidency, on July 10 1873, in the first game of Badminton ever played in Western India (the cradle of the present Association game), and the first ever played anywhere in a covered court specially built for the purpose. This historical court, owing to the only entrance being in the middle and the whole width being required for the court, was responsible for the hour glass shape or ‘waisted’ court which was copied elsewhere, both for Badminton and early lawn tennis, like the buttress in the Eton Fives Courts. The net post, next the door – to avoid cutting the narrow entrance door in half – had to be moved inwards, and the post on the opposite side had to be moved in for symmetry, whence the hour glass . » Lawn Tennis and Badminton du 6 mars 1907, cité in « G.W. Vidal », Site Badminton England. |
Une explication similaire est formulée par Pat Davis dans son Guinness Book of Badminton (1983). Cette disposition des poteaux proviendrait de Karachi, où un court in-door avait été installé dans une ancienne caserne (old barracks), disposant tout juste de la place nécessaire pour son traçage. Or, les deux portes battantes (swing doors) de ce local étaient situées sur les lignes de côté. Afin d’éviter tout danger et des interruptions intempestives du jeu, cette fâcheuse particularité du lieu conduisit à réaliser deux renfoncements au niveau des poteaux.
Un aménagement qui réduisit la ligne de service de 1,2 m (4 pieds) par rapport à celle de fond de court.
En Inde, cette forme particulière était, semble-t-il, connue pour être «the court, like ladies, had a waist», en référence à la taille alors cintrée des toilettes des dames, resserrées, voire comprimées, à la ceinture !
« Not surprising, most of such courts were out of doors. But the hour-glass shape court may well be attributed to the game played in Karachi in an old barracks only slightly wider than a court. In it there were swing doors opening onto the side-lines. To avoid danger or interruption of play, the side-line was angled in to join a short service line 4ft 1.2m shorter than the base-line. "In India", it was said "the court, like ladies, had a waist". » Pat Davis, The Guinness Book of Badminton, |
Dans un court texte s’intéressant à l’apparition du badminton à Poona (situé dans l’ouest de l’Inde, à 70km de Sattara), Sudipta Biswas indique que le jeu se jouait parfois dans des salles paroissiales dont les portes étaient laissées grande ouvertes pour permettre à l’air (frais) de circuler. Le court prenait alors la forme d’un hourglass…
« Sometimes, the game was played indoors, in church halls meant for community gatherinas. Since the doors of the hall opened inwards (they were kept open to let the air in, which helped increase shuttle speed and flight), the shape of the court resembled an hourglass ! » Sudipta Biswas, « Poona where badminton was invented », |
Une autre explication (souvent reprise) est avancée par Betty Uber dans le chapitre qu’elle consacre à l’histoire du jeu dans That Badminton Racket, publié en 1950. Selon elle, l’origine de cette « ridicule » absurdité proviendrait de la configuration de la salle de Badminton House où le jeu aurait été introduit par des invités du Duc de Beaufort. Une salle qui disposait de deux grandes portes latérales s’ouvrant vers l’intérieur. De fait, le terrain dont les lignes de fond occupaient toute la largeur de la pièce se rétrécissait nécessairement au niveau filet afin de permettre de circuler sans déranger les joueurs :
Betty Uber, That Badminton racket,
« Chapiter II : The History of badminton: 1870-1914 »,
Hutchinson's Library of Sports and Pastimes, 1950, p. 18.
Cette hypothèse (avec quelques prudences) figure dans l’Encyclopédie du badminton rédigée en 1987 par Pat Davis. Vers 1850, un fil à franchir aurait été fixé depuis la poignée d’une porte battante jusqu’au foyer de la cheminée : «Reputedly the game was first played as such in the spacious entrance hall (c.1850). The “net” was probably a string from door-handle to marble fireplace. The former opened inward andmay have been responsible for the original hourglass-shaped court.» [12]
Cette explication apparaît tout à fait plausible à Geoff Hinder (du National Badminton Museum) qui observe que dans The North Hall (mythique salle de Badminton House où le badminton serait né), les deux piliers de l'imposante porte d'entrée, tout comme ceux de l'âtre encadrant la cheminée qui lui fait face, font saillie, réduisant notablement la largeur de la pièce en son milieu. Le terrain en sablier trouverait bien-là son origine...
Des poteaux rallongés, dotés d’un croisillon ou de trépieds
Dans un article consacré à Muriel Lucas, disponible sur le site du National Badminton Museum, Geoff Hinder publie une photographie où cette légende des All-England (10 titres nationaux en Double Dame, un record toujours d’actualité) joue en extérieur avec son jeune frère (Guy Lucas) et un couple d’amis, sur un terrain dont la configuration est identifiée comme ayant sa «taille» en sablier : «They are using the hourglass/waist court». Les trépieds des poteaux, effectivement positionnés à l’intérieur du terrain, supportent un filet d’une longueur inférieure à la largeur du terrain [13].
Fig. 13 : La scène se déroule dans la demeure familiale de Dunmore House (dans le Devon).
Cette installation d’un tel court installé à demeure, abrité du vent par la maison et les arbres environnants,
expliquerait l’excellent niveau atteint par Muriel Lucas (de face, en fond de court) !
Source : National Badminton Museum, « The First Great All-England Champion – Muriel Lucas »
Une image similaire, de meilleure qualité, ouvre l’article Badminton, publié en 1903 par Muriel Lucas, dans l’ouvrage de F. G. Aflalo, The Sports of the World, 1903 :
Fig. 14 : Muriel Lucas, « Badminton », in F. G. Aflalo,
The Sports of the World , 1903, p. 240.
On observera que ces poteaux sont rallongés, d’une cinquantaine de centimètres, par rapport à la hauteur du filet.
La raison d’être de cet allongement est fournie, en mars 1952, par le n° 5 de la Badminton Gazette (The official organ of the Badminton Association of England ), dans sa rubrique «Did You Know That… Answers and Comments», en réponse à l'interrogation d'un lecteur portant sur l’ancienne hauteur exigée pour les poteaux qui devaient être de 12 pieds (soit 3,60 m – donc deux fois plus haut que les actuels…) : «Once upon a time the Laws of Badminton required that the net posts should be 12 feet in height off the floor ?» (p. 131)
L’explication est donnée par les rédacteurs de la Gazette à la page 158 : avant que ne soit officiellement adoptée la forme rectangulaire en 1901 (voir plus loin), la forme en sablier prévalait. Les terrains étaient, en leur centre, plus étroits d'1,20 m (quatre pieds). Les volants passant à l’extérieur des poteaux étaient donc comptés faute, quand bien même ils retombaient dans le camp adverse. Aussi, pour éviter toute erreur de jugement (et d’éventuels désaccords), les poteaux étaient prolongés de sept pieds, soit de plus de deux mètres, au-dessus du filet !
« Did You Know That… Answers and Comments »,
in The Badminton Gazette (The official organ of the Badminton Association of England),
vol. XXXIII, n° 5, mars 1952, p. 158.
Ces prolongements qui, pour Pat Davis, rappellent des poteaux de Rugby en miniature («like miniature Rugby posts») [14] ne sont pas sans analogie avec les «mires» (ou «antennes») utilisées en volley-ball pour s’assurer que le ballon est bien passé à l’intérieur du terrain : entre les mires ! Un accessoire aujourd’hui incontournable qui n’a fait son apparition, en volley, qu’en 1970.
On trouve dans un article japonais retraçant l’histoire du badminton la reproduction d’une illustration donnant des indications sur la structure et les dimensions des poteaux de badminton d’alors. La longueur mentionnée de l’extension, réalisée par des tiges de fer («Iron rod»), est de six pieds («six feet long») – soit quasiment deux mètres :
Fig. 15 - Source : Kazuma Araragi,
« Clarifying the Game of Badminton When it was Formalized
as a Modern Sport in Approximately 1893 ».
Article téléchargeable au format pdf, en cliquant ICI.
Ce prolongement des poteaux (que l’on trouve à des degrés divers sur plusieurs représentations) est particulièrement éloquent. Il apporte la confirmation qu’à ses débuts la forme dite en sablier, ou plutôt «cintrée» était courante, si ce n’est la norme. Sinon quel intérêt à prolonger des poteaux… ?
Par ailleurs, les poteaux, devant être suffisamment stables pour maintenir le filet droit, disposaient de solides croisillons. Des embases qui pourraient être à l’origine du terrain «cintré», ou tout au moins expliquerait la persistance à conserver ce tracé quand bien même les poteaux seraient placés à cheval sur les lignes latérales. Une précaution mise en place afin d’éviter que les joueurs ne se blessent en tentant de récupérer un volant tombant dans l’espace proche de ces supports. Il était indispensable de délimiter au sol, par un tracé spécifique, ces zones à risque qui ne pouvaient faire partie du terrain.
Une autre hypothèse serait que, faute de suffisamment d’espace disponible dans certains locaux, cette disposition des poteaux permettait de faciliter les circulations en libérant un espace suffisant avec les murs latéraux, permettant ainsi aux joueurs de changer de côté sans être obligés de passer sous le filet… [15] Cet argument semble d’ailleurs avoir été avancé par différents clubs pour conserver l’ hour-glass court, lors des débats animés qui, en 1900, ont suivi la proposition d’opter pour un terrain rectangulaire (voir plus loin).
Terrains rectangulaires et poteaux sur les lignes
Si l’on trouve plusieurs schémas et quelques photographies de terrains cintrés, cela ne signifie nullement que ce tracé était le seul utilisé.
Sur d’aussi rares photographies de parties d’Indian Badminton, disputées en extérieur, et sur quelques dessins d’époque, aucun décrochement n’apparaît :
Partie de badminton disputée en Inde. Illustration extraite de Bernard Adams,
The Badminton Story, 1980, p.29. Sans autre référence que la date de 1878.
Si les poteaux sont positionnés sur les lignes latérales, c’est sans doute qu’en extérieur il était possible de les enfoncer profondément.
C’est d’ailleurs ce qu’explicite ce rare schéma, paru le 11 octobre 1873 dans The Field, indiquant comment poteaux et filet devaient être montés :
Fig. 16 - « Pastimes. The Game of Badminton », The Field, 11 octobre 1873, p. 371.
L’illustration est empruntée à un «little pamphlet» publié par le Major Forbes, S.C, intitulé A handbook of Badminton, with Rules for Playing the Game, qu’un correspondant en poste en Inde a adressé à la rédaction du Field. Il s’agirait du plus ancien «set of rules» (ensemble de règles) connu et très certainement diffusé, au moins, dans le Bengale. La distance entre les poteaux étant de 20 pieds, indique que le terrain n’était très certainement pas resserré en son centre.
Ce que confirme le livret, dont le journal publie l’intégralité, où est indiqué qu’une fois les terrains impeccablement tracés, les poteaux doivent être installés de chaque côté, au milieu des lignes latérales, au ras de leur bord extérieur. Chaque poteau, d’une section de 3 pouces carrés et de 9,5 pieds de longs, pointu et renforcé à sa base d’un embout en fer, doit être enfoncé dans le sol de 2,5 pieds (comme mentionné sur le schéma). Chacun est maintenu par un hauban, fixé à un piquet fermement enfoncé dans le sol, afin d’éviter que le filet ne s’incurve en son milieu.
« As soon as the trenches are completed and the ground perfectly marked out, the posts and net are put up in the following manner. […] At the center points on each side of the outer boundary of the neutral ground, and just touching its outer edge, are fixed the two posts […]. Each post is 3 inches square and 9,5 feet long, of which 2,5 feet are fixed firmly into the ground, and 7 feet remain above ground. The posts should be pointed at the bottom, and shod with iron tips […]. The posts should be kept straight and perpendicular by means of guy ropes (one to each post, as shown in Fig. 2 by h h), fastened to couple of tent pegs driven firmly into the ground-otherwise the net is apt to dip in the middle. » The Field, 11 octobre 1873, |
Une toute première représentation, tri-dimentionnelle, pour décrire le jeu est publiée dans un article sobrement intitulé Badminton, paru le 3 février 1873 dans The Times of India :
Fig. 17 -« Badminton », The Times of India, 3 février 1873, p. 3.
Sur le schéma, les poteaux sont placés sur les lignes latérales, la distance les séparant (about twelve feet) est celle de la largeur du terrain.
Le diagram n’est là que pour donner une idée de l’espace et du déroulement du jeu. Les dimensions indiquées ne le sont qu’à titre d’exemple. Le rédacteur souligne que «the distances are not arbitrary» et qu’elles doivent être adaptées en fonction de l’espace disponible et du nombre de joueurs, bien qu’elles soient considérées comme suffisantes pour jouer à 4 ou 8 («those given above are reckoned sufficient for four or eight players»). Lors d’une partie à 4 contre 4, les deux gentlemen se positionnaient derrière les ladies («and play back»).
Des tracés de terrains tout aussi rectangulaires, émanant également de lecteurs séjournant en Inde, ont été publiés en 1873 dans différentes éditions du Field.
Le premier le 11 octobre 1873, dans l’article précité, contenant les règles de Calcutta rédigées par le Major Forbes – qui, selon The Field, serait plus précisément le Major Henry Twisden Forbes, du Bengal Staff Corps (S.C),
Dans sa préface ce militaire souligne que si les dimensions qu’il propose (28 pieds de long sur 20 de large) sont inférieures à celles généralement en vigueur, c’est dans un souci d’équilibre, lorsque les ladies jouent contre des hommes. Cette réduction de la profondeur du court permettait de tempérer les attaques masculines. C’est pour cette même raison que la hauteur du filet proposée est, elle, légèrement supérieure à la «normale». Ainsi, les frappes masculines, trop fortes et puissantes, avaient plus de chance de terminer dans le filet ou de sortir des limites du terrain… Pour ce gentleman, le Badminton est un jeu destiné aux dames. Il mérite d’être considéré comme «a kind of “Ladies’ Rackets”», aussi ses règles doivent-elles être pensées en leur faveur [16] !
Fig. 18 - « Pastimes. The Game of Badminton », The Field , 11 octobre 1873, p. 371.
Sur ce schéma, la zone avant de 4 pieds (1, 20m) est considéré comme une zone neutre (Neutral Ground). C’est donc une sorte de «rivière» que le volant devait, sans doute, franchir lors du jeu pour être considéré comme valable.
À noter que les poteaux (p.) sont indiqués par des rectangles noirs situés à l’extérieur du terrain… sur les touches !
En complément de cette présentation émanant de Calcutta, The Field du 10 août 1873 publie la lettre d’unecorrespondante de Nagpore, signée Ladies Racket’s, comportant un second schéma rectangulaire d’un court de 30 pieds sur 15 de large (avec une zone avant cette fois-ci de 6 pieds - 1, 83 m).
Fig. 19 - « Pastimes. The Game of Badminton », The Field , 11 octobre 1873, p. 371.
Une figure basique qui ne comporte aucune encoche au niveau des poteaux et où le filet occupe toute la largeur.
Toutefois, la semaine suivante, dans son édition du 18 octobre 1873, The Field publie une lettre adressée par un lecteur de Murree (dans le Penjab, Nord de l’Inde) où cette fois-ci figure un plan comportant deux «entailles». Ce schéma d’un terrain cintré proviendrait d’un fascicule rassemblant les 21 règles suivies à Simla (aujourd’hui Shimla) et adoptées à Murree.
Fig. 20 - «Badminton Rules, Simla, as Adopted at Murree», The Field, 18 octobre 1873, p. 409.
Sur ce terrain de 39 pieds sur 20 de large, les poteaux sont placés à 2,5 pieds à l'intérieur de chaque ligne latérale. Le filet d’une longueur de 15 pieds n’occupe donc plus toute la largeur du court (20 pieds).
Pour Dave Jacobs, cette configuration serait à l’origine de l’appellation hourglass court. Une singularité qu’il explique par des raisons pratiques : «Il semble très probable que les poteaux soient installés à l'intérieur du terrain uniquement pour des raisons pratiques d'installation des haubans pour soutenir les poteaux du filet » [17].
À la fin de l’article, est indiquée l’adresse d’un certain Mr. James Lillywhite, au 3, Queen’s Circus, Cheltenham (dans le Gloucestershire), où il est possible de se procurer «a printed four-page card» donnant une description et les règles du jeu, avec un plan au sol très semblable à celui de Murree.
Sur un dessin daté de 1883, les poteaux et des haubans apparaissent bien fixés à l’intérieur du terrain, alors qu’il était d’évidence possible de les installer sur ses bordure ? «Preuve» que le terrain cintré était aussi bien retenu en intérieur qu’en extérieur…
Fig. 21 - 1883 - Source : Bernard Adams, The Badminton Story, 1980, p. 29.
Toutefois, une illustration publiée quelques années au paravent, en 1879, dans Lawn-tennis and Badminton de Julian Marshall, montre, elle, des poteaux haubanés vers l’extérieur. Mais là aussi ce n’est qu’une illustration, donc sujette à la perception de l’activité par son auteur et à la connaissance réelle ou imaginée qu’il en avait :
« Badminton », in Julian Marshall, Lawn-tennis and Badminton, 1879, p. 31.
Quoiqu’il en soit, le terrain cintré était bien une forme de terrain, si ce n’est la forme de terrain, qui était utilisée en Angleterre dans le dernier quart de XXème siècle. Une forme que The Badminton Association avait retenue pour l’organisation des premières rencontres interclubs, mais qu’elle n’allait pas tarder à abandonner.
1901 : Abandon du terrain cintré (abolition of the «waist»)
Selon un article publié dans le numéro 7 de novembre 1900 de Lawn Tennis and Croquet and Badminton (notamment cité par Kazuma Araragi [18] ), en 1894, le passage à un terrain rectangulaire était déjà fortement demandé par plusieurs clubs influents. Mais face aux réticences de certains, The Badminton Association décida de conserver le terrain cintré.
La controverse fut relancée en 1899 par M. Vidal (secrétaire-trésorier de l’Association) qui proposa qu’en cas d’accord entre les clubs le terrain rectangulaire puisse être autorisé. Si cette modification du règlement fut jugée irréalisable et retirée, il fut toutefois décidé, lors de l’Assemblée Générale d’avril 1900, que tous les clubs testeraient les terrains rectangulaires pour statuer ensuite sur ce «remplacement aussi radical» («so radical a change»), proposé par le Major-Général G. R. Shakespear.
Les clubs eurent ainsi la possibilité «de faire un essai complet et pratique du terrain rectangulaire avant de prendre une décision finale» («giving the fullest opportunity to each unit of the Association for making a full and practical trial of the rectangular court before pronouncing a final decision»).
Le terrain rectangulaire fit l’unanimité. Une très large majorité des joueurs le préférant au terrain cintré, le «"waisted" court».
Dans son numéro du 6 décembre 1901, la revue Lawn Tennis, rend compte (pp. 463-464) de l’Assemblée Générale annuellement de The Badminton Association, qui s'est tenue à Londres le 12 avril pour principalement examiner et statuer sur les amendements portant sur la forme et les dimensions des terrains. Lors de cette réunion, où étaient présents 15 délégués de clubs (dix ayant donné procuration), le remplacement définitif du terrain «cintré», jusque-là adopté par la Badminton Association, par un terrain rectangulaire a été actée, par 23 voix contre 2.
Une notification stipulait que les poteaux pouvaient être désormais placés soit sur les lignes latérales, soit à l’extérieur de ces lignes à une distance n’excédant pas deux pieds (0,60 cm).
La longueur du filet fut également revue. La proposition du Général Shakespear de le porter à 24 pieds (7,30m) ne fut pas retenue, les participants estimant que l’adoption de l’obligation d’utiliser un filet plus long pourrait s’avérer être un sérieux obstacle pour les clubs jouant dans des bâtiments ne dépassant pas 20 pieds de large [19] .
De fait, les prolongements des poteaux au de-delà de la hauteur du filet («the vertical lines above the posts») devenait inutiles, le terrain rectangulaire supprimant toute désaccord sur le passage d’un volant à l’intérieur ou à l’extérieur des poteaux.
Extrait de « The Badminton Association », « The most important business of the meeting was the consideration of the amendments relating to the shape and dimensions of the courts. In the preceding year Gen. G. R. Shakespear had definitely proposed to substitute a rectangular court for the" waisted " court hitherto adopted by the Association. At that time, however, the sense of the meeting was clearly expressed that so radical a change should not be introduced without giving the fullest opportunity to each unit of the Association for making a full and practical trial of the rectangular court before pronouncing a final decision. The history of this question, the arguments pro and con, and the probable effects of the proposed amendments were discussed very fully in our issue of Nov. 7, 1900, and need not be repeated. It is sufficient to observe that the interval for reflection afforded by the action taken by the meeting of last year has now resulted in practical unanimity amongst Badminton players generally that the rectangular court is in every way preferable to the "waisted" court. We were not, therefore, surprised to learn that the main proposition was (with some slight modifications, to be presently noticed) adopted by a majority of 23 to 2 votes. The modifications referred to consist in the addition of a note to the diagram (A) providing that the posts may be placed either on the side boundary lines or at any distance not exceeding two feet outside the said lines, and a consequent amendment of Law 2 to the effect that the net shall be from 20 to 24 ft. in length, according to the position of the posts. General Shakespear's amendments contemplated a net of a fixed length of 24 feet. It was felt that the passing of a rigid law compelling the use of the longer net might prove a serious obstacle to clubs playing in buildings not exceeding 20 feet in width, and that so long as the net extends the full width of the court, viz., 20 feet, it was immaterial whether the posts were placed on or outside the side boundary lines. […] Several minor amendments of the laws, which were rendered necessary by the abolition of the "waist," were carried as a matter of course. The essential feature of the rectangular court is that it becomes unnecessary to define the vertical lines above the posts, and that all disputes as to whether a shuttle passes inside or outside the posts are avoided, the only material point being whether, if not returned, it falls within or without the boundary lines of the courts. » |
Conclusion
Trois formes de terrain de badminton ont préexisté à celle qui sera officiellement retenue par The Badminton Association en 1901 :
- Une forme strictement rectangulaire aux dimensions variables, principalement utilisée en extérieur (et en Inde) où de robustes poteaux pouvaient être profondément enfoncés dans le sol et munis d’un unique hauban solidement fixé vers l’extérieur du terrain ;
- Une forme s’apparentant nettement à un sablier, s’inspirant de la configuration en sablier imaginée par le Major Wingfield pour le Lawn tennis (une forme primitive de tennis sur gazon s’apparentant au jeu de longue paume). Un shape qui ne semble pas avoir été utilisé en Angleterre, mais plutôt en Amérique où l’on en trouve plusieurs représentations dans des journaux publiés dans la dernière décennie du XXème siècle. Que ce soit sous forme de schémas, sur lesquels apparaissent également des quarts de cercles où devaient se positionner serveurs et receveurs lors des mises en jeu du volant. Ou que ce soit sur des illustrations accompagnant des articles s’intéressant notamment au développement du club de New York ;
- Une forme «cintrée», à la taille de guêpe («The court, like ladies, had a waist»), souvent abusivement qualifiée de «terrain en sablier». Un resserrement souvent expliqué par la présence, dans des espaces clos et très restreints (de la largeur d’un terrain), d’une porte latérale (ouvrant vers l’intérieur), située au niveau d'au moins un des poteaux… Une incongruité qui contraignait à le positionner à l’intérieur du terrain, afin de permettre l'ouverture de cet accès et de fluidifier les passages sans déranger le bon déroulement de la partie. Un ajustement amenant, par souci d’équilibre, à placer à l'identique le second poteau, donnant ainsi au terrain cet insolite gabarit avec deux coupures triangulaires au niveau du filet.
Des décrochements qui découleraient plus certainement de l’utilisation en intérieur, puis en extérieur, de poteaux présentant une embase en croisillon (fig. 15), puis commercialisés avec un trépied (fig. 13 et 14). Un encombrement nécessitant d’introduire une cassure en V dans les lignes latérales afin de matérialiser une zone à risque ne pouvant faire partie du terrain…
L’apparition de poteaux moins intrusifs, n’empiétant plus sur les terrains, pouvant être placés sur les lignes sans constituer un obstacle aux déplacements proches, l'installation de terrains dans des salles plus spacieuses et la nécessité d’uniformiser les pratiques existantes, ont conduit à la disparition des hourglass grounds au profit des rectangular grounds, plébiscités par la majorité des joueurs. Cette suppression de la forme cintrée a certainement eu des répercussions sur les trajectoires des volants, les tactiques et les placements des joueurs en double. Avec un terrain rétréci en son centre, il était impossible de réaliser, à partir des bordures du court, des retours aux trajectoires impeccablement droites, le volant passant alors à l’extérieur des poteaux… des renvois tendus devenus désormais possibles avec le terrain rectangulaire…
Remerciements :
- à Jean-Jacques Bergeret, membre de la Commission Culture (FFBad) et de la Badminton Word Federation (BWF), pour sa relecture attentive du texte, ses corrections et son aide précieuse à la recherche de documents anglophones, ainsi qu'à leur bonne compréhension ;
- à Geoff Hinder du National Badminton Museum of England, membre de la BWF (Badminton World Federation), pour la précision apportée quant à l'agencement du North Hall de Badminton House qui pourrait être une explcations de la forme en sablier des premiers terrains de badminton.
[1] Aujourd’hui la silhouette en forme de sablier, dite hourglass shape (ou encore «en huit») est revenue à la mode. Elle serait «l’une des plus enviée» des plastiques corporelles par les femmes. Le recours à une musculation spécifique et régulière doit permettre de se rapprocher de cette morphologie «si convoitée» : développement du buste (épaules, pectoraux), raffermissement de la zone abdominale (affinement de la taille), et, in fine, galbage des fessiers.
[2] «Indian Badminton, or Lawn raquets», in The Popular Recreator a Key to In-door and Out-door Amusements, Cassell, Petter & Galpin, Londo, Paris & New York, 1873, pp. 324-325. Disponible sur Internet Archive.
[3] «Indian Badminton or Lawn Racquets», in The Popular Recreator. A key to in-door and out-door amusements, Londres, Paris et New York, Cassell, Petter & Galpin, 1873, p. 324.
[4] «Laws of Badminton as adopted by the Bath Badminton Club, Bath, England», in Athletic Library, The Games of Lawn Hockey, Tether Ball […] Laws of Badminton […], New York City, American Sports Publishing Company, pp. 46-49.
[5] Sportsman, membre du comité de rédaction du Field, Henry Jones est connu pour ses ouvrages sur les jeux de cartes. Il est également auteur d’articles et de manuels sur les règles de différents sports, et membre du MCC (Maryelone Cricket Club) qui rédigea les premières règles du tennis sur gazon (lawn tennis), adoptées au premier tournoi de Wimbledon.
En 1876, il publia sous le pseudonyme de Cavendish un livret intitulé : The Game of Lawn Tennis (with autorized laws) and Badminton, London, De La Rue and Co.
[6] David Jacobs, «Badminton’s big chance muffed !», in «Origins of the Sport of Badminton», Worldbadminton.org.
[7] Dave Jacobs, «Origins of the Sport of Badminton», chapitre c : «The Booklet of 1876», Worldbadminton.com.
«But discrepancies between the dimensions on the diagram and those in the text shed doubt on the accuracy of both. It may be that whoever put this booklet together mixed Badminton up with Lawn Tennis, early versions of which certainly did use an hour-glass shaped court . For example, the diagram shows the service line to be 14 feet from the net, with the back line 7 feet further back. The text on the other hand says “ the front lines five feet from the poles, the rear lines being nine feet further back”.»
[8] «The first rules of The Badminton Club of the City of New York were copied from those of the Ahmedabad Badminton Club of India as played in 1874», «History of The Badminton Club of theCity of New York».
[9] «An old East Indian Game», The Sun, 15 mars 1891, p. 16.
[10] Guy Bonhomme, De la Paume au tennis, Gallimard, Paris, Collection Découvertes, n° 112, 1991, p. 53 et p. 14.
[11] Ibidem, pp. 53-58.
[12] Pat Davis, The Encyclopedia of Badminton, Robert Hale, Londres, 1987, p. 14.
[13] Geoff Hinder, «The First Great All-England Champion – Muriel Lucas», National Badminton Museum.
[14] Pat Davis, The Encyclopaedia of Badminton, Robert Hale, Londres, 1987, p. 72 («Hour-glass court»).
[15] Information révélée Kazuma Araragi, «Clarifying the Game of Badminton When it was Formalized as a Modern Sport in Approximately 1893». Article téléchargeable au format pdf en cliquant ICI.
[16] «I should remark that I am aware that the size of the courts and of the ground laid down in this Handbook is very different to that which is generally in force. This arrangement was originally adopted with the view of making the game as fair as possible for ladies when playing against gentlemen, so as to neutralize the greater strength and force with which the latter usually play. It has been tried, and with success; and has been greatly approved of by such ladies as have played in these courts. By making the ground and the courts smaller than is generally done, and by placing the top of the net to 5,5 feet from the ground, a great check is placed upon the hard and cutting hitting of gentlemen (especially those who are good racket-players), as they are very apt either to hit the net or to send the shuttlecock out of bounds; and as Badminton is especially intended to be a game for ladies, every advantage in this respect ought to be given to them in playing it. There is, however, no difficulty in making the courts and neutral ground an у size that may be found most suitable and pleasant, after actual experience and trial, as the size of the ground in no way affects the general principles of the game, or the rules in force in playing it.»
The Field, 11 octobre 1873, « Pastimes. The Game of Badminton », p. 371.
[17] «It seems very probable that the posts are set inside the court only for the practical reason of installing the guy-ropes to support the net posts.» Dave Jacobs, «More letters from India 1873», in Origins of the Sport of Badminton, Worldbadminton.com.
[18] Kazuma Araragi, op. cit., p. 51.
[19] «The Badminton Association», in Lawn Tennis, 6 novembre 1901, pp. 463-464 : «It was felt that the passing of a rigid law compelling the use of the longer net might prove a serious obstacle to clubs playing in buildings not exceeding 20 feet in width, and that so long as the net extends the full width of the court, viz, 20 feet, it was immaterial whether the posts were placed on or outside the side boundary lines.»