Flore et Alexandre Babar jouent au volant

En 1934, Jean de Brunhoff (1899-1937) est en manque d'inspiration. En trois ans, il a enchaîné les trois albums qui marquent le début des aventures de Babar, le Roi éléphant (Histoire de Babar, le petit éléphant, en1931, Le Voyage de Babar, 1932 et Le Roi Babar en 1933). Des publications en couleurs, d'un format exceptionnellement grand (37 x 30 cm), imprimées sur un papier de qualité et qui, bien que fort chères et « hors de portée de la majorité des familles », comme le note Noël Jouenne, vont immédiatement rencontrer un succès qui ira grandissant. Leur poésie et leur originalité séduisent. Le pachyderme humanisé, l'animal-héros aux manières soignées, plaît autant aux petits qu'à des parents qui les bercent des exploits d'un Roi patient, curieux, inventif et toujours à l'écoute des autres.

Pour profiter de cet engouement et pallier à un vide créatif (passager), le père de Babar décide d'éditer un abécédaire ludique, l'A.B.C. de Babar, qui propose aux enfants sages (aidés de maman et papa) d'enrichir leur vocabulaire en s'amusant à chercher, dans des doubles-pages superbement illustrées, « toutes les choses dont le nom commence par » une lettre déclinée en majuscule et minuscule romaine, puis artistiquement calligraphiée avec des pleins et des déliés d'une extrême finesse

Deux mots commençant par un U et vingt par un V sont ainsi à trouver dans cette image où figure une partie de Air Badminton sur gazon ! Ne reste plus qu'à les repérer, en se triturant un peu les méninges...

Jean de Brunhoff, A.B.C. de Babar, 1934 - © Gallica BnF

L'élégant souverain, repérable à son Veston vert tendre, vient de se marier avec sa cousine Céleste qui lui donnera quatre beaux enfants : Pom, Flore, Alexandre et enfin Isabelle ! Pour leur bonheur, et celui de ses sujets, Babar, roi-bâtisseur, planifie et fonde Célesteville, une cité moderne, ville imaginaire en symbiose avec son environnement.

Une utopie inspirée d'architectes animés, en ce début de XXème siècle, de la « volonté de réduire l'opposition ville-campagne », des bâtisseurs idéalistes rêvant d'une ville futuriste constituée de cités-jardins, d'une urbanisation en harmonie avec la nature, garantissant un air sain source d'oxygénation, de régénération et de santé physique. Une cité dotée d'espaces de Verdures où se divertir et se fortifier en s'adonnant aux exercices du corps.

« La ville et la campagne, écrivait l'urbaniste britannique Ebenezer Howard, doivent être mariées et de cette joyeuse union jaillira un nouvel espoir, une nouvelle vie, une nouvelle civilisation. » (cf. Laurent Grison). Babar s'emploie à cette tâche en proposant une vision bucolique d'une "banlieue" heureuse, une banlieue-jardin (un nouveau concept théorisé par des urbanistes soucieux de rapprocher la campagne des villes), emplie de Vergers, réconciliant l'homme et la nature. Des Vaches paissent paisiblement aux abords d'un Viaduc où passe une Voie ferrée, signe d'expansion d'une modernité reliant villes et campagnes. L'Usine (ici de Vermicelles) a été déplacée à la campagne, son toit équipé de larges Vitres permet un éclairage optimum des ateliers, le soleil peut entrer par ce Vitrage et réchauffer les ouvriers. Le bâtiment est située au pied d'un joli Village, bordé de Vignobles. Les polluantes Vapeurs sont ainsi rejetées loin des grandes villes industrielles et de leurs bidonvilles, ces zones criminogènes où s'entassent des « classes laborieuses » perçues comme « dangereuses »...

C'est une contrée paisible où les enfants jouent en toute sécurité au Volant, sous la bienveillance d'une maréchaussée en Uniformes d'apparat. Les éléphanteaux du couple royal, Flore en robe à Volants et Alexandre, infatigable touche-à-tout, ne risquent pas de se faire renverser par un de ces nouveaux bolides, ces Voitures qui roulent « à tombeau ouvert » (les accidents de la route commençaient à faire des ravages). Ici, la vitesse est (déjà) limitée à 20km/h, comme aujourd'hui aux abords de nos écoles...

Un paysage idyllique où Babar et Célestine qui porte un léger Voile (une Voilette) vont passer un week-end en amoureux, chargés de grosses Valises. Un coin de paradis, un havre de paix, où s'offrir une maison de campagne, un pied-à-terre, comme cette maisonnette aux Volets Verts : « Villa à vendre [avec] vue unique » sur une parcelle de Vigne...

Solution !

Bibliographie :
- Isabelle Nières-Chevrel, Au Pays de Babar. Les albums de Jean de Brunhoff, Presses Universitaires de Rennes, 2017. Lire l'entretien réalisé leparatonnerre.fr en juillet 2020, en cliquant ICI.
- Isabelle Nières-Chevrel, « Les albums de jean de Brunhoff : usages de la couleur », Strenæ. Recherches sur les livres et objets culturels de l'enfance, texte Intégral en ligne, en cliquant ICI.

- Noël Jouenne, « L'Histoire de Babar, le petit éléphant ».
- Laurent Grison, « La ville selon Babar : espace urbain et ville-moderne dans les années 1930 ».
- Michel Abescat, « Babar, un éléphant au classicisme trompeur », mis en ligne le 20 décembre 2017.
- Jean de Brunhoff, A.B.C. de Babar, Paris, Éditions du Jardin des Mondes, groupe de publications Condé Nast, 1934. Téléchargeable sur le site de la BnF, Galica en cliquant ICI.
- François Sureau, L'Or du temps, Paris, Gallimard, 2020, chapitre consacré à Babar.

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