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Publié par Frédéric Baillette

    En novembre 1829, des centaines de londoniens firent la queue et déboursèrent une demi-couronne pour voir « the inseparable siamese twins », Chang et Eng, alors âgés de dix-huit ans, réaliser d'étonnantes acrobaties, avant de disputer une singulière partie de volant, à L'Egyptian Hall de Piccadilly !

 

Chang Eng Siamese Twins badminton

The Siamese Youths. (AGED 18.)
 « As now Exhibited at the Egyptian Hall (Piccadilly). »
 « Lithog. by W. Day. 17 Gate Str. »
 Dimension : 18,1 x 11,5 cm
 © Wellcome Library - Disponible sur Wikimedia Commons Ici.

 

 

   Ces frères-siamois étaient reliés, au niveau du sternum, par une bande de chair (mi-cartilagineuse, mi-ligamentaire) de deux pouces de large, quatre de long et huit de circonférence (soit approximativement 5 - 10 et 20 cm).
    Dans les classifications des tératologues, Chang-Eng ou Chang and Eng, selon que l'accent soit mis sur le lien arrimant ces «frères-unis» [1], unis comme s'ils ne formaient qu'un («united together as one» [2]), ou que soient distinguées leurs personnalités, sont rangés dans la famille des « monstres doubles » dits autositaires (constitués de deux êtres possédant la capacité de vivre par eux-mêmes), et plus particulièrement de la sous-catégorie des xiphopages (reliés de l'apophyse xiphoïde — un cartilage situé à la partie inférieure du sternum —, jusqu'à l'ombilic) [3].
    Ces Indivisibles sont considérés comme « les plus célèbres jumeaux soudés de tous les temps » [4].
    Une multitude d'articles de presse et de comptes-rendus scientifiques accompagneront et construiront leur renommée internationale. Le succès de ce Singular Phenomena engendrera, jusqu'à nos jours, la publication de nombreux ouvrages et articles universitaires, de biographies et de romans. Aussi leur vie et aventures sont-elles extraordinairement documentées !

 

[1] «The United Brothers Chang-Eng. Singular Phenomena», titrait un prospectus invitant au spectacle.
[2] A Few particulars concerning Chang-Eng, the united Siamese brothers, New-York, J. M. Elliott, 1836, p. 14.
[3] Dans la classification de Geoffroy de Saint-Hilaire (1830), tous les monstres doubles, en forme de H, X ou de I, sont « désignés par des termes dont le suffixe est page (uni, formé de plusieurs parties) », le préfixe indiquant « le lieu d'adhésion entre les deux sujets ». Xipho signifiant qu'ils sont soudés par l'appendice xiphoïde. Voir Jean-Louis Fischer, Monstres. Histoire du corps et de ses défauts, Paris, Syros Alternatives, 1991, p. 94.
[4] Cf. Martin Monestier, Les Monstres. Le fabuleux univers des “oubliés de Dieu”, Paris, Tchou Éditeur, 1978.

Chang, & Eng - the Siamese Youths. Aged 18
 « The bodies of these twins, are by a wonderful caprice of nature united.
 They arriv'd in England the 19th Novr 1829 & were examined the 26th. by the first rate medical men 
»


 

Chang Eng Siamese Twins Badminton

Chang, & Eng - the Siamese Youths. Aged 18
« The bodies of these twins, are by a wonderful caprice of nature united.
They arriv'd in England the 19th Novr 1829 & were examined the 26th, by the first rate medical men
»
Gravure au trait et à l'eau forte, aquarelle. Coloured engraving by JLB (Thomas Lord Busby), 1829
 Dimensions 13,9 x 10,8 cm — © The British Museum - Disponible Ici

 Une autre version est également téléchargeable sur Wellcome Collection Ici et Wikimedia Commons Ici.

 


    Chang et Eng (parfois écrit Heng) sont nés le 11 mai 1811, au Royaume de Siam (devenue la Thaïlande, en 1939), d'où l'habitude d'appeler les jumeaux conjoints des frères siamois.
    Positionnés face à face à leur naissance, l'acquisition de la marche s'avéra compliquée. Lorsque Chang allait de l'avant, Eng devait marcher à reculons (et vice-versa). Aussi, « leur mère les obligea à faire travailler la bande de chair qui les retenaient soudés l'un à l'autre et, après bien des efforts, celle-ci se relâcha et ils purent se tenir côte à côte » [5].
      Cette élasticité progressivement acquise leur permis de s'asseoir côte-à-côte et de marcher de concert dans la même direction. Lorsque Chang avançait sa jambe droite, Eng avançait simultanément la gauche, puis les deux jambes intérieures s'élançaient. Au lit, toutefois, ils retrouvaient leur position fœtale et dormaient tournés l'un vers l'autre.
    Selon Martin Monestier, leurs parents «les nommèrent “droite et gauche” qui en chinois se dit heng et chang» [6] (p.291). Une information que nous n'avons pu corroborer...
    Sur les illustrations puis les photographies les représentant, Chang se trouve à gauche de l'image, donc à la droite de Eng. Chang était donc droitier et Eng gaucher. Les bras intérieurs étaient, la plupart du temps, positionnés l'un passant par-dessus une épaule, l'autre entourant une taille.

 

[5] Martin Monestier, op. cit., p. 291.
[6] Ibidem.

 

Chang Eng Siamese Twins

The Siamese Twins. Chang, and Eng - Aged 18
 Gravure à l'eau forte colorée — Vers 1843-1850 — Dimensions 18,9 x 17,5 cm
 © Wellcome Collection - Disponible Ici.

 

 

    Leur famille vivait sur un petit housseboat, une maison-flottante, à Maklong (ou Meklong), un village proche de Bangkok.
    À la mort de leur père, un pêcheur d'origine chinoise, emporté par le choléra alors qu'ils n'avaient que huit ans, ils se mirent à pêcher, travaillèrent dans une manufacture d'huile de noix de coco et élevèrent des canards dont ils revendaient les œufs. Quelques années plus tard, alors qu'ils pêchaient, ils furent repérés par un marchand britannique (Robert Hunter) qui les prit pour un insolite animal et flaira rapidement la bonne affaire. Bien déterminé avec son partenaire, Captain Abel Coffin (un commerçant en thé, sucre et guns), à emporter ces deux étranges jumeaux en Amérique («to the West»), il obtint le consentement de King Rama III qui régnait sur le Siam, pour que les deux garçons puissent quitter le pays. Les deux compères achetèrent ensuite Chun et In (leurs prénoms d'origine, ou prononciation en thaïlandais) à leur mère, pour 3 000 dollars (500 affirmèrent plus tard les jumeaux), dans une transaction s'apparentant à un achat d'esclaves. Ainsi, le 1er avril 1829, Chang et Eng signèrent un contrat stipulant qu'ils embarquaient pour l'Amérique et l'Europe de leur plein gré («free will and consent») et qu'ils pourraient retourner au Siam, au bout de quelques années (18 mois à 5 ans selon les auteurs...).
    Après une traversée de 138 jours, les Twins arrivèrent à Boston où, après avoir été «auscultés, palpés, photographiés et commentés par les médecins et autres hommes de science» [7], leur manager ou protector (James Webster Hale) les exhiba sous une tente, pour 50 cents le ticket d'entrée. L'attraction, portée par un déferlement de publicités, attira, durant huit semaines, des milliers de Bostoniens, curieux de voir un «monstre» de près. Le Frankenstein de Mary Shelley, qui avait connu un grand succès à Boston (sa 1ère publication date de 1818), avait très certainement alimenté les imaginations et stimulé le désir de profiter de cette unique occasion pour approcher un freak bien réel. 

 

[7] Robert Bogdan, «Les frères siamois Chang et Eng», in La Fabrique des Monstres. Les États-Unis et le Freak Show 1840-1940, Paris, Alma Éditeur, 2013, pp. 189.

 

© National Library of Medicine

    Après avoir été notamment exposés à New-York et Philadelphie, les « jumeaux accolés » reprirent la mer pour entamer une tournée en Angleterre et être présentés, au public londonien, dans l'Egyptian Hall Museum. Une salle d'exposition (connue des londoniens sous le nom de The Home of Mystery) dont l'architecture et le décorum reflétait la fascination des Britanniques pour l'Égypte ancienne (pharaons, sphinx, colonnes couvertes de hiéroglyphes, statues géantes d'Isis et Osiris, etc.).
    Bien que vêtus de sorte que le cordon de chair qui les unissait soit visible de tous et toutes, la presse insista sur le fait que cette
«merveilleuse monstruosité» n'offensait en rien «the delicacies of the most festidious femeles». Les deux frères, cheveux plaqués et tressés «in the Chinsese style», étaient respectueusement habillés, tels de parfaits gentlemen. Aussi, les plus craintives et délicates ladies ne sauraient être offusquées par l'exhibition de cette bizarrerie de la nature et pouvaient venir sans répulsion assister au spectacle vivant (live performance) offert par deux êtres, présentés comme affectueux, aimables et dociles.
    Loin des rebutantes monstruosités et difformités (exposées dans les sordides entresorts, ces cabanes où, pour quelques pièces, les badauds entraient voir un phénomène de foire, un Kesako ou un nondescript, puis en ressortaient dans la foulée), ces jeunes élégamment vêtus et bien élevés, capables de disputer des parties de dames et d'échecs, ni dégoûtants, ni désagréables, étaient très présentables. Ils étaient
«certainement l'un des plus extraordinaires monstres de la nature jamais vu»... et que même les dames pouvaient venir voir sans être effarouchées ou choquées.
    Leur show dura sept mois !

 

Chang Eng Siamese Twins Badminton

Siamese Twins, Daniel Maclise, Aquarelle, non datée — 35,5 x 21 cm
 © Victoria and Albert Museum, Londres,  Disponible Ici

 

 

    Après une séquence de questions-réponses à même de satisfaire la curiosité du public (un échange où Chang se montra le plus vif d'esprit et apparu comme «the natural leader»), les deux frères réalisèrent des acrobaties qui médusèrent l'assistance : sauts périlleux en tandem («somersaults in tandem»), backflips, et autres surprenantes agilités. Si, aux États-Unis, The Two avaient fait sensation en soulevant et transportant un homme corpulent de 280 livres (alors qu'ils n'en pesaient chacun que 100), à Londres ils ravirent l'assistance en ajoutant à leur spectacle une partie de battledore and shuttlecock, un amusement alors fort prisé de la société anglaise (et connu en France sous le nom de jeu du volant).
    Armés de «miniature racket» (des «battoirs» constitués de parchemin et sur certaines illustrations de raquettes «cordées»), ils firent aller et venir un volant, offrant un plaisant spectacle, fait de vivacité et de dextérité. Les jumeaux, en raison du ligament qui les reliait tenaient leurs raquettes à une distance de 4-5 pouces (soit 1,25 m). Les échanges, entre le droitier (Chang) et le gaucher (Eng), étaient de fait très rapides. On peut en effet imaginer que les deux frères jonglaient entre-eux, faisant aller et venir le volant d'une raquette à l'autre, mais il est également envisageable qu'ils échangèrent des volants avec des membres du public (à un contre «deux»). Quoi qu'il en soit, les United Twins démontrèrent une agilité, une harmonie et une virtuosité dont la presse se fit l'écho, comparant les deux jumeaux à un couple de valseurs : «In this ordinary movements they ressemble two persons waltzing... without being in the least digusting or unpleasant, like almost all monstruosities, these youths are certainly freaks of nature that has ever witnessed.» 
[8]

    Ainsi trouve-t-on plusieurs représentations (gravures, dessins, aquarelles et un tableau, la plupart réalisés fin 1929 - début 1930), représentant Chang et Eng, avec des battledores (tenus ou posés) et un shuttlecock, tombé au sol, placé sur une table, ou voltigeant, après que l'un d'eux (en l'occurrence Chang) l'ait frappé. Ce qui laisse à penser qu'ils ont peut-être aussi échangé quelques volants avec des spectateurs... 

 

[8] Cité par John Woolf, The Wonders : Lifting the Curtain on the Freak Show, Circus and Victorian Age, note 221, 2019.

 

Chang Eng Siamese Twins

The Siamese Twins
"first discovered while fishing on the banks of the Siam River by Mr R. Hunter
 Pubd. Decr. 1829, by Harrison Isaacs, Charles Stt. Soho
"
 Dimensions : 27,7 x 20,4 cm — © The British Museum Ici.

 


   La parfaite coordination et l'aisance de deux corps étroitement joints, comme enchaînés l'un à l'autre, surprenait. Leur entente, leur synchronie gestuelle, était telle qu'ils semblaient mus par une même impulsion et ne former qu'un seul et même corps, agissant avec autant de facilité que le commun des mortels.
    Malgré leur handicap, Chang and Eng n'avaient besoin d'aucune assistance extérieure pour accomplir tous les actes du quotidien. Ils se révélaient parfaitement autonomes. Les observateurs soulignaient qu'ils étaient capables de courir rapidement sur une courte distance, de marcher, si nécessaire, plusieurs kilomètres et de fort bien nager [9] !
    Les prouesses de ces «Frères Phénomènes» firent sensation. Ils épataient la galerie, et le tout Londres se pressa pour constater «the wonderful union of their bodies» ! [10]
    Comme l'observe Robert Bogdan dans La Fabrique des Monstres : «Si les jumeaux siamois fascinent à ce point, c'est parce que les spectateurs se demandent comment ils parviennent à marcher, s'asseoir, mener une vie normale. [...] La mise en scène de Chang et Eng répond à ces questions. Ils ne sont pas des acrobates professionnels, mais leurs prouesses émerveillent le public qui les juge handicapés.» 
[11]

 

[9] «They can run very fast for a short distance, and have sometimes walked eight or ten miles when they have something to interest them : they also can swin very well for a short distance.» Cf. A Few particulars concerning Chang-Eng, the united Siamese brothers, New-York, J. M. Elliott, 1836, p. 13.
[10] A Few particular [...], op. cit, p. 12.
[11] Robert Bogdan, «Les frères siamois Chang et Eng», op. cit., p. 188.

 

Chang Eng Siamese Twins

Il Gemelli Siamesi —  © Wellcome Collection, Londres. Consultable Ici

 

 

     Les (nombreux) médecins, qui examinèrent Chang et Eng et dissertèrent sur leur «cas», affirmèrent qu'ils constituaient l'une des plus extraordinaires erreurs de la nature (Lusus Naturæ) de double living child jamais vu. Ces déclarations qui confirmaient l'authenticité de leur anomalie anatomique, furent reprises dans les prospectus faisant la promotion de cette véridique attraction que représentait l'exhibition de The Siamese Twins, cette Double monstruosities.
     Les spectateurs étaient assurés de n'être ni bernés, ni escroqués.
     Comme le note, en 1850, Hon. J. N. Moreheid : «The public might be assured that the exhibition was in no respect deceptive» [12]. Ces freaks étaient bien réels et naturels. Leur particularité physique était attestée par les plus hautes sommités médicales. Rien à voir avec les «freaks artificiels» (tels que les saltimbanques aux corps couverts de tatouages, ou ces excentriques aux pilosités profuses se laissant démesurément pousser cheveux et barbes). Ils n'étaient pas non plus des dissimulateurs, des «freaks factices», recourant à des trucages pour tromper leur monde.
 


[12] Hon. J. N. Moreheid, Lives, adventures, anecdotes, amusements, and domestic habits of the Siamese Twins : one of the greatest wonders of the present time, being two perfectly formed persons, whose bodies, by a singular caprice of nature are united together as one, Printed and Published by E. E. Barclay, 1850, p. 11.
Une précision que l'on trouvait déjà, en novembre 1829, dans l'annonce de l'arrivée de Chang & Eng à l'Egyptian Hall. Les deux jeunes hommes «were submitted to the examination of the most eminent professors of Surgery and Medicine of the Metropolis [...], the public may be assured that the projected exhibition of these remarkable and interesting youths is in no respect deceptive ; and further, that there is nothing whatever offensive to delicacy in the said exhibition.» Cf. A Few particulars concerning Chang-Eng, the united Siamese brothers, New-York, J. M. Elliott, op. cit., 1836, p. 14.

 

Chang Eng Siamese Twins Badminton

Portrait de Chang and Eng, The Siamese Twins, 1830, by Irvine
Huile sur toile, 60 x 52 cm — © The Hunterian Museum / Royal College of Surgeous of England, Londres — Cf. Ici.

 

    L'exhibition-spectacle à laquelle se prêtaient The Siamese Twins passionnait d'autant les foules qu'elle était au croisement de deux formes de divertissement alors appréciés, les Freak shows et les Ethnic shows (human zoos et autres expositions ethniques, dont le tout Londres devint particulièrement friand).
    Ces «jumeaux fusionnés» étaient à la fois des «caprices de la nature», des «monstres» affligés d'une malformation congénitale, et des spécimens de races humaines non-occidentales. Leur étude combinait discours médicaux, exotiques (le Siam était alors un pays relativement inconnu) et raciaux, anormalité physique et normalité sociale (ils étaient des «monstres respectables», des «respectable freaks»). Leur intérêt pour les échecs et le jeu de dames, mais aussi leur aptitude à jouer au volant, montrait qu'ils adoptaient avec plaisir des divertissements populaires particulièrement appréciés des anglais.
    La combinaison de leur particularité anatomique et de leurs caractéristiques raciales en faisait des curiosités particulièrement rentables, proposant un spectacle à la fois insolite et exotique pour des Anglais qui, au début du XIXème siècle, appréciaient les expositions d'objets et d'humains authentiquement asiatiques.

    Le jour de leur vingt et unième anniversaire, ayant atteint l'âge de leur majorité, The Two mirent fin à leur contrat et décidèrent de gérer eux-mêmes leur carrière, mettant à profit la fascination du public pour les altérités difformes, et devinrent, comme d'autres freaks, des célébrités mondiales, «les plus célèbres siamois de tous les temps» (Martin Monestier).
    Les importantes sommes d'argent récoltées leur permirent de s'installer en Caroline du Nord, où ils menèrent une vie prospère de propriétaires terriens (disposant d'une trentaine d'esclaves). Ils devinrent de «bons bourgeois américains», adoptèrent le patronyme de Bunker (emprunté à une famille new-yorkaise pour la remercier de les avoir gentiment accueillis, vers 1832), obtinrent la nationalité américaine et convolèrent, en 1843, avec deux sœurs «blanches» et unjoined (Adelaïde et Sarah, respectivement âgées de dix-neuf et vingt ans).
    Citoyens respectables et bons pères de famille, Chan et Eng Bunker engendreront, à eux deux, quelques vingt-deux enfants.

 

Chang Eng Famille Chiamese Twins

« A characteristic group, representing Chang and Eng, the siamese twins, with their wives and children »
Gleason's Pictorial , Boston, 19 mars 1853, Vol. IV, n° 12, p. 192 — Consultable Ici


    Ces unions ne manquèrent pas d'alimenter la boîte à fantasmes, de susciter railleries et propos racistes. Leurs relations intimes avec des femmes «normales» furent jugées contre-nature, impropres, et suscitèrent interrogations et réprobations.
    Leur vie romantique et (surtout) sexuelle (une sex live «interraciale» particulièrement prolifique), suscita curiosités, voyeurismes (médicaux), spéculations et sarcasmes. Un journal local souhaita aux mariés que leur mariage «soit aussi heureux qu'il sera proche»... Un autre demanda si les dames seraient inculpées pour «avoir épousé un quadrupède » («marrying a quadruped»).
    Comment consommèrent-ils, à quatre, leur première nuit de noce ? Comment négociaient-ils leur vie sexuelle ? Dans quelle(s) position(s) pratiquaient-ils l'acte ? Quelle attitude adoptait celui qui ne participait pas aux ébats (et d'ailleurs ni participait-il pas aussi un peu...) ? Autant d'énigmes qui mirent en ébullition les imaginations (et les chatouillent encore aujourd'hui).
    Dans la biographie consacrée aux Two, Irving Wallace et Amy Wallace suggérèrent même des positions sexuelles adaptées «to gettins the job done with the minimal physical train» et les moins embarrassantes possibles pour le non-participant. [13]
    Dans les faits, les couples vécurent rapidement dans deux fermes séparées, passant alternativement trois jours dans chaque demeure, où ils disposaient d'un lit de trois places spécialement conçu...
    Selon Helen Davies, Eng expliqua comment les deux frères tentèrent de s'organiser pour relever le défi d'intimité du devoir conjugal (sex-life word), tout en restant purs ! Lorsque l'un des deux avait besoin de s'isoler avec sa femme, l'autre déconnectait le temps nécessaire («the other was to become “insensate” for the next hour, to become unconscious»). Chacun à leur tour, ils devaient faire preuve d'une maîtrise alternative («alternative mastery»), fermaient les yeux et décidaient de devenir aveugles («to become “mindless”»). Mais, dans la réalité, de l'aveu même de Eng (qui selon des biographes était sexuellement attiré par sa belle-sœur), ce «plan» n'était pas du tout évident à appliquer... La réalité physique et charnelle du sexe vint bousculer la volonté mentale de Eng qui devint un participant - certes passif -, malgré lui ! [14]


[13] Irving Wallace et Amy Wallace, The Two : The Story of the Original Siamese Twins, 1978, pp. 181-183.
[14] Davies Helen, «Separation Anxieties : Sex, Death, and Chang and Eng Bunker», in Neo-Victorian Freakery. The Cultural Afterlife of the Victorian Freak Show , Palgrave MacMillan, 2015.

 

Chang Eng Chiamese Twins

Illustration extraite de Hon. J. N. Moreheid, Lives, adventures, anecdotes, amusements, and domestic habits
of the Siamese Twins : one of the greatest wonders of the present time, being two perfectly formed persons,
whose bodies, by a singular caprice of nature are united together as one,

Printed and Published by E. E. Barclay, 1850, p. 4.
Disponible en ligne sur le site de U.S. National Library of Medecin, sous forme de Flipbook, en cliquant Ici.

.

   À 54 ans, en partie ruinés par la guerre de Sécession, les Twins reprendront la route des curiosités anatomiques itinérantes. Leur exotisme s'étant évanoui, ils n'étaient plus des nouveautés et avaient vieillis, aussi eurent-ils l'idée, pour attirer le public, de s'exposer avec deux de leur enfants (normaux).
    Après quelques années de tournées au USA, leur santé déclina, notamment celle de Chang partiellement sourd et affaiblit par son addiction à la boisson.
    En 1868, ils acceptèrent la proposition de Phineas Taylor Barnum ( P.T. Barnum's, fondateur, en 1871, du célèbre Cirque Barnum), mû par des fins promotionnelles, d'effectuer un voyage en Europe pour consulter médecins et sociétés savantes afin de savoir s'ils étaient chirurgicalement séparables.
    Dans leur jeunesse, les deux frères s'étaient catégoriquement, voire farouchement, opposés à toute intervention chirurgicale (potentiellement mortelle). Ils ne ressentaient nullement le besoin, ni le désir d'être séparés, n'ayant, jusque-là, jamais vécu leur particularité physique comme un frein à leur indépendance. Mais, leurs corps vieillissant à des rythmes différents, ils devenaient tous les deux obsédés par l'idée de la mort de l'autre, redoutant le moment où l'un devrait continuer à vivre «attaché à vie» au cadavre de son frère. Or les médecins leur déconseillait de tenter de rompre le lien qui les unissait, au risque de provoquer une hémorragie qui conduirait à leur commune perte.
    À leur retour aux États-Unis, Chang fut frappé d'hémiplégie du côté droit ce qui contraignit Eng à soutenir les jambes de son frère avec des sangles et des béquilles, les activant tel un marionnettiste...

    Chang décèdera dans la nuit du 16 au 17 janvier 1874 des suites d'une pneumonie (ou d'une bronchite). Eng mourra environ deux heures après s'être réveillé et avoir constaté le décès de son frère. Avant de pousser son dernier soupir, il demanda, comme ultime faveur, que tous les deux soient enterrés côte-à-côte. Ils étaient alors âgés de 63 ans.
    Leur(s) corps fu(ren)t envoyé(s) au College of Physicians of Philadelphia pour y être disséqué(s). Un rapport d'autopsie très détaillés (40 pages) révéla qu'une partie de leur foie était connectée. Toute tentative de séparation leur aurait donc été fatale (tout au moins à cette époque).
    Leurs corps, moulés face à face, sont exposés au Mütter Museum of the College of Physicians de Philadelphie (où leur double foie est également conservé dans un bocal à formol) [15].

[15] Cf. Laeticia Barbier, « Morbid Monday : The Death of Chang and Eng, Conjoined Twins Until the Last », 15 juillet 2013, en ligne sur le site Atlas Obscura ICI)
Voir également : Harrison Allen, M.D., Report of an utopsy on the bodies of Chang and Eng Bunker, commonly known as The Siames Twins , Philadelphie, Collins, 1875. Disponible en Flipbook, en cliquant ICI.

Pour poursuivre : une caricature à l'humour so british, parue en 1829,
une planche satirique publiée dans un journal new yorkais, une bibliographie,
et différentes autres illustrations représentant Chang et Eng jouant au volant !

 

The Siamese Youths — after a few residence in England Caricature de William Heath


The Siamese Youths — after a few residence in England
Caricature de William Heath, Publiée par Thomas McLean, 19 décembre 1829, Londres
Dimension 26,1 x 37,1 cm — © Wellcome Library, disponible Ici.

 

Incidents in the lives of the siames[e] twins
The Comic Monthly for march
© The New York Public Library - Digital Collection - Disponible Ici.

Bibliographie
In French
    - Bizarre, Numéro spécial « Les Monstres », n° XVII-XVIII, février 1961, chapitre «Les monstres doubles (monstres autositaires)», pp. 42-52.
    - Bogdan Robert, «Les frères siamois Chang et Eng», in La Fabrique des Monstres. Les États-Unis et le Freak Show 1840-1940 , Paris, Alma Éditeur, 2013, pp. 188-191. Traduit de l'anglais par Myriam Dennehy. Titre original : Freak Show : Presenting Human Oddities for Amusement and Profit, The University of Chicago, 1988.
    - Fischer Jean-Louis, Monstres. Histoire du corps et de ses défauts, Paris, Syros Alternatives, 1991.
    - Monestier Martin, Les Monstres. Le fabuleux univers des “oubliés de Dieu”, Paris, Tchou Éditeur, 1978.
    - Tort Patrick, L'Ordre et les monstres. Le débat sur l'origine des déviations anatomiques au XVIII" siècle, Paris, Le Sycomore, 1980.

 

En Anglais
    - A Few particulars concerning Chang-Eng, the united Siamese brothers , New-York, J. M. Elliott, 1836. Consultable et téléchargeable sur le site U.S. National Library of Medicine Ici.
    - An Account of Chang and Eng, The World Renowned Siamese Twins, New York, Thomas W. Strong, 1853. Consultable en ligne Ici.
    - Allen Harrison, M.D., Report of an autopsy on the bodies of Chang and Eng Bunker, commonly known as The Siames Twins , Philadelphie, Collins, 1875. Consultable en cliquant Ici.
    - Barbier Laeticia, «Morbid Monday : The Death of Chang and Eng, Conjoined Twins Until the Last», juillet 2013, en ligne sur le site Atlas Obscura Ici.
    - Davies Helen, « Separation Anxieties : Sex, Death, and Chang and Eng Bunker », in Neo-Victorian Freakery. The Cultural Afterlife of the Victorian Freak Show , Palgrave MacMillan, 2015.
    - Huang Yunte, «An Excerpt from Inseparable : The original Siamese Twins and their rendezvous with American History», avril 2018. Site Southern Spaces, consultable Ici.
    - Woolf John Jacob, Fabricating Freakery : The Display of Exceptional Bodies in Nineteenth-Century London , Chapitre 2 : «Chang and Eng, The Siamese Twins : Medicine, Orientalism and Everyday Life», pp. 79-114. Thèse, Goldsmiths, University of London, 2016. Disponible en intégralité Ici.
    - Woolf John , The Wonders : Lifting the Curtain on the Freak Show, Circus and Victorian Age, notamment les chapitres 5 («Chang and Eng»), 6 («Science and Siam») et 7 («Their own men»), 2019.
    - Moreheid Hon. J. N., Lives, adventures, anecdotes, amusements, and domestic habits of the Siamese Twins : one of the greatest wonders of the present time, being two perfectly formed persons, whose bodies, by a singular caprice of nature are united together as one, Printed and Published by E. E. Barclay, 1850.
Disponible en ligne sur le site U.S. National Library of Medecin, sous forme de Flipbook, en cliquant Ici.
    - «Siamese twins, real and metaphorical», 9 avril 2010, Site Welcome Library. Consultable Ici.
    - Wallace Irwing et Wallace Amy, The Two : The Story of the Original Siamese Twins, 1978.

 

 

Chang Eng Shiamese Twins Badminton Londres Egyptian Hall

Chang-Eng, The Siamese Twins , "seeming parted, But yet an union in partition. Shakspeare"
Nathaniel Whittock, Lithographie publiée à Londres le 7 décembre 1829
© U.S. National Library of Medecine
Disponible Ici

Chang Eng The Siamese Twins Londres Egyptian Hall

Dimension 17, 3 x 27 cm — © The British Museum – Disponible Ici

 

Chang Eng The Siamese Twins

Siamese Twin Brothers.
Illustration extraite de : A Few particulars concerning Chang-Eng,
the united Siamese brothers
, New-York, J. M. Elliott, 1836.
Consultable et téléchargeable sur le site de l'U.S. National Library of Medicine Ici

 

Chang Eng The Siamses Twins Brothers Badminton

A Copulative Conjunction , Vers 1830 — Watercolor, and pen and ink, 18 x 13 cm
© U.S. National Library of Medicine - Consultable Ici.

 

Chang Eng The Siamese Twins Brothers

The Siamese Twins, Ching [sic] and Eng, Published by Orlando Hodgson, Vers 1830
22, Macclesfield Streer North, City Road — Disponible Ici.

 

« Chang and Eng the Siamese twins, in a games room »

« Chang and Eng the Siamese twins, in a games room »
Gravure colorée — Disponible sur Wikimedia Commons Ici.

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