La question Plon-Plon et Victor
Qui est ce Plon-Plon au fessier emplumé et ce Victor, papier tout chiffonné enfoncé dans sa culotte, tel un « torche-cul ». Deux individus représentés plongeant dans de solides tamis, « volants » échangés au-dessus d’une « Route de l’Empire » (comme mentionné sur le panneau indicateur gisant au sol, brisé), un chemin jonchée de caillasses, signe que les protagonistes qui tiennent fermement leur raquette n’ont pas fait qu’échanger des volants.
Cette caricature, parue le 4 janvier 1884 dans Le Don Quichotte, illustre un poème moqueur publié en page 2 et signé Gilbert-Martin, l’auteur également de de cette mise en scène sarcastique et rédacteur-en-chef de cet hebdomadaire satirique d’obédience républicaine.
Aux sources d’une satire politique
Le premier gugusse rondouillard, crâne dégarni, est Napoléon-Joseph-Charles-Paul Bonaparte (dit Prince Napoléon-Jérôme, prénom qu’il repris, en 1847, à la mort de son frère, le prince Jérôme-Napoléon-Charles Bonaparte).
Il est le 2ème fils de Jérôme Bonaparte, le plus jeune frère de Napoléon 1er (Empereur des Français).
Joseph était familièrement affublé du populaire et ridicule sobriquet de Plon-Plon, un affectueux surnom qui remonte à sa plus tendre enfance, donné par sa mère (Catherine de Wurtenberg), amusée par la difficulté qu’il avait, bambin, à prononcer son prénom (Napoléon)…
Victor, lui, est le fils de Plon-Plon, plus communément appelé Prince Victor. Alors âgé de 24 ans, il est encore jugé un peu tendre par Gilbert-Martin qui, dans son poème, le présente comme :
« le fils qui a des culottes neuves,
mais n’a […] jamais fait dedans » [1].
Cette satire politique, illustre un épisode qui, dans la fin du XIXème siècle, déchira les Bonapartistes en deux courants farouchement opposés.
L’origine de cette fracture remonte à la mort prématurée de Louis-Napoléon Bonaparte (1879), transpercé de 17 coups de sagaies par les zoulous d’Afrique Australe (où il était parti batailler).
Louis portait le titre de Prince Impérial qui lui conférait la charge de défendre la cause impériale et de perpétuer l’œuvre de Napoléon 1 er et de son père, Napoléon III. Logiquement, Plon-Plon aurait dû lui succéder à la tête de la Maison Impériale, ce dont il rêvait.
Sauf qu’avant d’embarquer pour combattre, Louis qui n’appréciait guère les positions politiques de Plon-Plon, également appelé le « prince rouge » pour ses idées libérales et anticléricales [2], avait rédigé un testament faisant de Victor, alors âgé de tout juste 18 ans, son successeur.
Plon-Plon reçu cette décision comme un « véritable affront » et décida de passer outre cette disposition testamentaire, au grand dam des « impérialistes purs » qui ne le supportaient ni sur le plan personnel ni sur le plan politique. Victor étant alors considéré comme mineur, « il était hors de question [pour Plon-Plon]qu’il prétende à ses droits alors qu’il n’avait même pas finit ses études » [3].
Les leaders bonapartistes se scindèrent en deux groupes : les Jérômistes, partisans de Plon-Plon, « un bonapartisme “rouge” […] à vocation populaire et démocratique », et les Victoriens (ou Impérialistes),« un bonapartisme “blanc” [...], plus proche de la droite royaliste et cléricale » [4]. Les deux camps s'invectivant, donnant aux yeux des républicains un réjouissant spectacle, ce que souligne Gilbert-Martin dans la 7ème strophe de son poème :
« Et, comme au jeu de la raquette,
Pour faire s’esclaffer l’univers,
D’un bras furieux on se jette
Les deux prétendants à travers . »
La présence d’une feuille froissée enfoncée dans le postérieur de Victor est sans doute une allusion à la lettre que, le 16 décembre 1883, Plon-Plon l’avait forcé à écrire, dans laquelle il affirmait « son soutien à son père et ne pas avoir de rôle politique à remplir » (Victor ayant atteint l’âge de sa majorité et achevé son service militaire, les tenants du courant impérialiste faisait alors « pression sur lui pour qu’il accepte l’héritage du Prince Impérial » et se substitue à son père [5]).
Le Volant, ce jeu de frappes alternées, illustre la dispute à laquelle se livrèrent Jérômistes et Victoriens. Un conflit dans lequel un des deux protagonistes peut à tout moment s’écraser sur un sol hérissé de cailloux, stigmates d’une bataille enragée…
Plon-Plon n’est pas le seul Bonaparte à avoir été représenté circulant entre deux raquettes, volant impuissant, totalement à la merci de ses tourmenteurs. En 1814, Napoléon 1er vaincu avait était croqué en « Volant-corse », soumis au bon vouloir du Duc de Wellington et du Général prussien Blücher. En 1870, ce fut autour de Napoléon III, « Badinguet, voleur-volant », de servir de volant, pris entre les raquettes d'une Marianne Communarde et d'Otto von Bismarck (qui vient de le contraindre à capituler - Sedan 1870).
Le Volant-Corse (ou comment jouer avec Bonaparte)
Le « Jeu du volant », qui consistait avant tout à multiplier les échanges, a inspiré caricaturistes et pamphlétaires satiriques désireux de tourner en dérision un personnage honni, mal-aimé ou exécré. L'objet des ressentiments n'est plus alors qu'un jouet à la disposition de partenaires prenant un malin plaisir à se le renvoyer, tout en le tracassant et lui infligeant une sévère correction.
Les compères s'amusent, et amusent la galerie, en maintenant en l'air et faisant valser haut leur soufre-douleur. Au rythme des frappes, le « volant », de l'un à l'autre ballotté, reçoit une copieuse et (sans doute) méritée punition. Il se fait copieusement rosser, ou plutôt fesser ! [...] Lire la Suite
Une partie de Badinguet, le voleur-Volant !
Après le « Basile-volant », place au « Badinguet-volant », mis en scène dans une partie de Jeu de volant datant des années 1870-1871, entre Marianne la Communarde et Otto von Bismarck, commandant en chef des «casques à pointes », coiffé du caractéristique «Pickelhaube », moustaches fournies et sabre prussien (le « Bluchersabel »), un attirail incontournable de la caricature germanophobe [...] Lire la Suite
[1] Gilbert-Martin, « La question Plon-Plon et Victor », Le Don Quichotte, n° 498, 4 janvier 1884, p. 2.
[2] Cf. Michèle Battesti, Plon-Plon. Le Bonaparte Rouge, Paris, Perrin, 2010.
[3] Laetitia de Witt, « Napoléon prince Victor (1862-1926), chef de la famille Impériale début XXème », Revue du Souvenir Napoléonien, n° 421, décembre 1898-janvier 1899, pp. 73-78.
[4] Laetitia de Witt, op. cit.
[5] Ibidem .