Le volant-Corse (ou comment jouer avec Bonaparte)
Le « Jeu du volant », qui consistait avant tout à multiplier les échanges, a inspiré caricaturistes et pamphlétaires satiriques désireux de tourner en dérision un personnage honni, mal-aimé ou exécré. L'objet des ressentiments n'est plus alors qu'un jouet à la disposition de partenaires prenant un malin plaisir à se le renvoyer, tout en le tracassant et lui administrant une sévère correction.
Les compères s'amusent, et amusent la galerie, en maintenant en l'air et faisant valser haut leur soufre-douleur. Au rythme des frappes, le « volant », de l'un à l'autre ballotté, se fait copieusement rosser, ou plutôt fesser !
Le sujet des sarcasmes et des haines recuites est transformé en un pantin désarticulé, réduit à l'état de marionnette. Impuissant, il voltige de raquette en raquette. Suspendu dans les airs, il s'apprête à recevoir un nouveau coup, ou à chuter dans un funeste entre-deux vertigineux, à s'y écraser lamentablement, ou être happé par quelque puissant tellurique.
Nous nous étions déjà arrêtés sur deux images satiriques s'articulant autour d'une « Partie de volant ». L'une prenant pour cible l'ordre des Jésuites, au travers de la figure du Basile (cf. « Le Basile volant »), l'autre ridiculisant Napoléon III, en l'affublant du patronyme dépréciatif de Badinguet (cf. « Une partie de Badinguet, le voleur-Volant »).
Ainsi en va-t-il également de trois estampes, datées du début du XIXème siècle, où un Napoléon (de pacotille), réduit à l'état de hochet, valdingue au rythme des frappes entre des héros militaires qui viennent de mettre à mal les troupes du « diable botté ». Des vainqueurs qui se plaisent à se renvoyer sur le mode du à toi à moi, tel un fétu de paille, un adversaire devenu aussi inoffensif qu'un frêle volant.
« Jaloux de leurs plaisirs, épiant chaque geste.
Messieurs dit Lucifer après vous s'il en reste ».
Anonyme, 1814 — Estampe, dimensions 282 x 217 mm — © Source Gallica-BNF
C'est un Napoléon vaincu, écrasé, désarmé, totalement impuissant, qui est désormais, soumis au bon vouloir des triomphateurs. À l'issue d'un combat, les ressentiment accumulés se focalisent sur le corps de l'ennemi haï. Sur ce corps soumis, sans défense, s'exercent les violences (ici symboliques) des vainqueurs. Le corps « nu » est la cible privilégiée de moqueries. C'est un corps disponible sur lequel s'attardent ceux aux mains desquels il est tombé, comme dans une ultime catharsis. Comme pour supplicier à son tour celui qui a semé la mort et fait tant souffrir, lui faire endurer ce qu'il a fait endurer.
Avant de s'en débarrasser, de l'emprisonner ou de l'achever, les vainqueurs « blaguent leur victime ». Ils se défoulent, fêtent leur victoire, expulsent leurs colères et soldent leurs angoisses, en tourmentant un corps à leur totale merci, l'anéantissant définitivement que ce soit en le ridiculisant, le brisant (psychologiquement et physiquement), ou en le zigouillant [1].
Napoléon, Empereur déchu, est transformé en un jouet, un objet de jongleries, une chose « livrée au bon plaisir de ses vainqueurs », qu'il s'agisse d'un « sabot » (l'ancêtre de la toupie) [2], d'un diabolo [3], ou, comme nous allons le voir, tout d'abord, d'un volant. Quant il n'est pas « invité » à sauter à la corde, contraint de jouer aux quatre coins, ou encore la récompense du jeu des anneaux jetés et n'exécute pas un saute-grenouille ! [4]
La réduction du « petit Corse », son ratatinement à un volant circulant entre deux raquettes, avait, selon John Grand-Carteret, « exercé sur les esprits une attraction toute particulière » [5], sans doute car les britanniques (mais aussi nombre d'Européens) avaient occupé leur enfance à jouer au Battledore and Shuttlecoock !
[1] Cf. Frédéric Baillette, « Stratégies de la cruauté. Figures de la mort qui rôde », in Quasimodo, n° 9 (« Corps en guerre. Tome 2 : Imaginaires, idéologies, destructions »), Montpellier, printemps 2005, pp. 7-51. Pdf téléchargeable d'un clic Ici .
[2] Voir « Le sabot Corse en plein déroute », illustration commentée en fin d'article.
[3] Voir « Dieu soit loué ! Le Diable l'emporte ! », Idem .
[4] Voir « Le sauteur impérial grand faiseur de tour », « Bon a part ou les quatre coins », « Le Jeu du lapin » et « Leap Frog (jeu de saute-mouton) », illustrations en fin d'article.
[5] John Grand-Carteret, Napoléon en images. Estampes anglaises (portraits et caricatures), avec 130 reproductions d'après les originaux , Paris, Librairie de Firmin-Didiot et Cie, 1895, p. 151. Gallica-BnF, en cliquant Ici .
Napoléon, Ange exterminateur déchu
Pour ceux qui eurent à subir les dévastatrices invasions des armées napoléoniennes, Napoléon ne pouvait être qu'un être malfaisant et diabolique, l'enfant chéri ou l'incarnation de Satan, cet adversaire par excellence. Il était considéré comme un « suppôt du diable vomi par les enfers », un nouveau Belzébuth (ce Prince des démons) ! [6] L'anagramme de : «Napoléon empereur des Français », n'est-il pas : « Le pape serf [asservi] a sacré un noir démon » ?...
L'Empereur fut également assimilé à l'Antéchrist, Ange exterminateur annonciateur de l'Apocalypse.
Nul doute qu'à l'instant de sa chute, cette « peste Corse » ira directement rôtir, pour l'éternité, dans les fournaises de l'Enfer. Le « feu de l'enfer » étant, comme le rappelle le démonologue Roland Villeneuve, le supplice des supplices, avec le feu pour éternelle demeure. Un « feu qui brûle toujours sans consumer le sujet »... [7]
Deux types de caricatures ont ainsi directement associé Napoléon et le Diable (de diabolus, celui qui divise, qui désunit).
1 — celles où le Diable, tel la vierge Marie berçant l'Enfant Jésus, dorlote un Napoléon emmailloté, le chérissant d'un regard étincelant, quasi hypnotique (un regard que ce poupon de Napoléon soutien, sans ciller, d'un œil profondément noir). Le modèle viendrait de Grande-Bretagne, où il a été publié le 18 mars 1814, sous le titre The Devils Darling (traduit par « Le favori du Diable »). Cette caricature connu un considérable succès. Elle fut reproduite et publiée dans toutes les langues.
The Devils Darling (« Le favori du Diable »)
Estampe de Thomas Rowlandson (1756-1827), publiée le 12 mars 1814
Source de l'image : Gallica-BnF
Elle a ensuite été reprise notamment en Allemagne et en France (« Le Petit bonhomme rouge berçant son fils »), avec un sous-titre parodiant des paroles bibliques (celles prononcées, selon Saint Marc, par Dieu le Père après le baptême du Christ) : « Voici mon fils bien-aimé qui m'a donné tant de satisfaction » [8].
Dans la main gauche du « bouc », la Légion d'honneur, cette « étoile » honorifique, instituée le 19 mai 1802 par Bonaparte (alors 1er Consul) pour distinguer ceux qui ont rendu des « services éminents » à la Nation. Selon la démonologie, le côté gauche du corps est empreint de satanisme. La main gauche n'est-elle pas celle utilisée par les sorciers et les sorcières pour lancer leurs sortilèges ou pour offrir des fruits maléfiques ! C'est avec elle que, lors du Sabbat (culte nocturne et orgiaque rassemblant sorcières et sorciers), le Diable saisit «le goupillon plein d'urine dont il asperge l'assemblée, [ou] qu'il imite, par dérision, le signe de la Croix » ! [9]
[6] Cf. John Grand-Carteret, op. cit. p. 33.
[7] Cf. Roland Villeneuve, Le Dictionnaire du Diable, Paris, Pierre Bordas & Fils, 1989, p. 128.
[8] Dans l'Évangile de Jésus Christ selon Saint-Marc, une «voix venant des cieux » se fit entendre : « T u es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. »
[9] Cf. Roland Villeneuve, op. cit., p. 159.
2 — dans un second registre démoniaque, Napoléon est soit identifié au diable (représenté sous forme de serpent, de dragon, d'araignée), soit il va brûler en Enfer (voir notamment le célèbre dessin réalisé par James Gillray en 1803 : La Peste Corse ou Belzébuth se préparant à dîner , reproduit en annexe).
On retrouve ce thème de la dévoration infernale dans la satirique partie de volant, figurant en début d'article, où Lucifer (ce Prince des enfers), « jaloux de leur plaisir », à l'affût de la moindre erreur de frappe, s'extrait de terre pour s'emparer du « volant Corse », le happer, ou (comme au manège) tenter de décrocher le pompon, avant de l'emporter pour le faire rôtir « à la chaudière » (en référence au chaudron, dans lequel le Diable tourmentait sans fin les damnés).
Autre version de l'estampe illustrant l'ouverture du texte,
avec un Lucifer tout de rouge coloré — Source : The British Museum
Un volant que font pirouetter :
- le duc de Wellington (né Arthur Wellesley), à gauche sur l'image ;
- et Blücher, commandant des troupes Prussiennes.
En janvier 1814, les troupes napoléoniennes ont été expulsées du Portugal, puis d'Espagne par l'armée anglo-hispano-portugaise, Le maréchal Duc de Wellington, qui est à leur tête, pourchasse les troupes du Maréchal Soult qui se replient derrière les Pyrénées, puis les contraint, le 10 avril 1814, à évacuer Toulouse (et ses environs), où elle étaient concentrées.
Dans le même temps, les forces européennes, commandées par Blücher et le maréchal autrichien Schwartzenberg passent le Rhin et foncent sur Paris qui capitule le 31 mars 1814. Napoléon est contraint d'abdiquer (le 6 avril). Il sera ensuite exilé sur l'île d'Elbe, devenue son nouveau et « minuscule royaume » (les Alliés lui en ayant accordé la souveraineté). (Voir plus loin, l'estampe intitulée « Le sabot Corse », où l'ensemble des représentants des puissances coalisées se plaisent à faire tourner sur lui-même un Napoléon démembré, inséré dans une toupie.)
L'estampe ci-contre daterait de l'été 1814 et aurait été inspirée par une caricature réalisée par Georges Cruikshank, début avril 1814 : The Corsican Shuttlecock (voir ci-après).
The Corsican Shuttlecock or or a pretty Play thing for ye Allies (1814)
(« Le Volant Corse ou un joli joujou pour les Alliés »)
On doit cette gravure, publiée le 10 avril 1814 à Londres, à Georges Cruikshank, l'un des plus célèbres et prolifiques caricaturistes et illustrateurs britanniques.
The Corsican Shuttlecock or a pretty Play thing for ye Allies
Estampe de Georges Cruikshank (1792-1878), 10 avril 1814, dimension 251 x 359 mm,
Schwartzenberg : « There he goes !! why, Blücher ! this used to be rather a weighty plaything,
but D--n me if isn't as light as a feather now ! »
Blücher : « Bravo ! Schwartzenberg : Keep the Game alive ! send him this way, I'il drive him back again ! »
Source image : Wikimedia Commons
Devant les portes de Paris (pavoisées de l'aigle impérial à deux têtes), Blücher et Charles-Philippe de Schwarzenberg (commandant des troupes de la coalition) savourent leur victoire, la capitulation de Paris et l'abdication de Little Boney [10]. La caricature anglaise avait fait de Napoléon un personnage lilliputien, un général Tom Pouce, souvent affublé d'un immense bicorne aux longues plumes tricolores.
Outre le côté grotesque de la représentation, l'immensité du couvre-chef souligne la petitesse de l'individu en réduisant le corps à sa portion congrue, le renvoyant à son seul statut de Général Buonaparte (son nom de famille, refusant de lui reconnaître le titre de Napoléon Empereur. L'orthographe était adoptée par la plupart des pamphlétaires pour insister et le renvoyer à ses origines Corse, voire italiennes).
Désormais, Buonaparte ne pèse rien, il n'est plus qu'un joujou plus léger qu'une plume ! que les vainqueurs font voltiger à grands coups de raquettes !
Blücher qui arme puissamment sa frappe, tout en prenant solidement appui sur sa jambe-raquette (comme diraient les badistes), est ultra concentré. Les yeux rivés sur le plumeau qui arrive, fermement décidé à frapper fort le riquiqui et étriqué bimbelot, à catapulter ce soldat de plomb qui se présente à lui totalement inerte (stoïque).
La position allongée, inanimée, mains jointes, rappelle celle du corps d'un défunt. À moins que Napoléon, flottant dans les airs, ne profite de ce laps de répit pour prier et implorer miséricorde.
(Cette caricature, comme celle du « Sabot Corse » - reproduite ci-après -, est parue en anglais et en français)
[10] Les caricaturistes affublèrent Napoléon du surnom de Little Boney, le petit Bonaparte, Boney étant une abréviation de Bonaparte. Un sobriquet qui se rapproche de bony, signifiant osseux, décharné.
Dans la plupart des images satiriques anglaises, Napoléon était figuré d'une extrême maigreur, les joues creusées, l'œil cave, les pommettes saillantes et des membres grêles. Il était représenté comme un être affamé rêvant d'envahir l'Angleterre pour se nourrir d'un rôti bien saignant, plutôt que de cuisses de grenouilles... (voir le forum dédié aux caricatures de Napoléon 1er : Ici .)
Le « Volant Corse » dans sa version française :
Le général Schwarzenberg (à droite) : « Attention, il arrive. Alors Blücher, ce joujou était jadis tellement lourd ?!!
Que Dieu me damne, s'il n'est pas plus léger maintenant qu'un plume ! »
Blücher (à gauche) : « Bravo Schwarzenberg ! Continuez à jouer ! Que Dieu me damne, je vous le renvoie. »
Source de l'image : Gallica-BnF
Ein kleines Spiel für zwei grosse Männer (1815)
(« Un petit jeu pour deux géants »)
Cette estampe allemande, réalisée par Johann Michael Volt (graveur et peintre bavarois), est parue en juin-juillet 1915. Elle fait suite à la défaite de Napoléon à Waterloo (18 juin 1815), et est une adaptation de la gravure précédente de George Cruikshank, « Le Volant Corse ou un joli jouet pour les alliés ».
En légende un poème en allemand de 14 vers (que l'on retrouve, traduit en anglais, au bas d'une de ses reproductions - voir ci-après).
Graveur : Johann Michael Volt — Éditeur : Friedrich Campe
Eau forte sur papier, colorée à la main — dimensions : 186 x 260 mm
Source de l'image : Rijks Museum (Amsterdam) ou Wikimedia Commons , Existe en Noir et Blanc : Gallica-BnF
O Wunder ! Welch ein Vogel fiegt
So seltsam durch den Himmel ?
Es ist ein Greif. Die Klaue liegt.
Im brausenden Getümmel
Rauscht er nicht mehr von Land zu Land,
Ein Fangball in der Helden Hand
Spaziert er durch di Lüfte.
So jämmerlich wird jede Kraft
Die nur verwüstet, enden !
Ein Spiel der eignen Leidenschaft,
Ein Spiel in fremden Händen,
Verrirrt sie sich im Lebesraum,
Und lebt und stirbt in Wahnsinnstraum,
Wo nicht an Rad und Galgen
Blücher (Gebhard Leberecht von Blücher - Prusse) et Wellington (Arthur Wellesley of Wellington - Grande-Bretagne), qui viennent d'écraser les troupes napoléoniennes, font voler un minuscule Napoléon qui s'agite tel un guignol. À la manière d'un oisillon, il bat des bras, comme pour tenter désespérément de se maintenir en l'air...
On retrouve cette miniaturisation d'un Napoléon réduit à une marionnette gesticulante, dans une autre célèbre caricature de Johann Michael Volt, où Blücher (ein gosser General) s'apprête envoyer dinguer ein kleiner Kaiser, d'une simple pichenette (voir ci-contre : « Ein grosser General und ein kleiner Kaiser », Johann Michael Volt, 1815 — Dimensions 255 x 185 mm. Source de l'image : Musée Carnavalet Paris
et Gallica-BnF).
Dans les versets accompagnant l'image de la partie de volant, l' « oiseau » (Vogel) est comparé à un griffon (« ein Greif »), créature légendaire, animal fabuleux, présent dans de nombreuses mythologies, souvent représenté avec une tête et un poitrail d'aigle et un corps de lion (tronc, pattes arrières et queue), griffes ou serres acérées (et parfois des oreilles pointues). Mais, ce griffon-là, pris dans la tourmente, dans le rugissant tumulte de sa défaite, n'est plus qu'une misérable balle qui circule entre les battoirs des héros du jour. Il n'est qu'un « petit homme venu de Corse » ( Männlein kam us Corsica) qui s'est laissé prendre au jeu d'une passion mortifère, a vécu et est mort d'un rêve fou, et finira supplicié sur la roue (Rad), puis à la potence (Galden).
(Voir, ci-dessous, une version anglaise de ces vers)
Source de l'image : Wikimedia Commons
The Pleasing and Instructive Game og Messengers
or Summer Amusement for John Bull !! (1806)
Les parties de jeu du volant étaient un passe-temps certes plaisant mais qui pouvait s'éterniser... Le but consistait le plus souvent à échanger aussi longtemps que possible, en multipliant les allers-retours (en 1830, les enfants de la famille Somerset, de Badminton House, réalisèrent quelques 2117 échanges ! Un record inscrit sur leurs battledores, ces battoirs tendus de parchemin qu'ils utilisaient alors). Aussi, chroniqueurs politiques et pamphlétaires, notamment les caricaturistes britanniques, ont utilisé ce jeu de va-et-vient, d'envois et de renvois sans cesse renouvelés, comme métaphore pour souligner d'incessantes et souvent stériles discussions, d'interminables pourparlers, entre des contradicteurs bataillant à coups d'arguments et de contre-arguments : avocats, parlementaires, négociateurs. Ce qui est le cas dans cette estampe satirique réalisée en 1806, par Charles Williams, qui ironise sur les inépuisables et infructueuses (voire vaines et hypocrites) discussions entre les représentants de la France et ceux de l'Angleterre, pour s'entendre sur un éventuel traité de Paix entre les deux pays.
The Pleasing and Instructive Game of Messengers - or Summer Amusement for John Bull !!
Charles William, août 1806, dimensions 249 x 345 mm — Source de l'image : British Museum ICI
Napoléon : « Begar Talley - dis be ver amusant - keep it up as long as you can that we may have time for our project. »
Sheridan (interpellant les Français) : « Thats right my lads bang em about John Bull seems quite puzzled »
Fox (s'adressant à John Bull) :« Is not a pretty game Johnny »
John Bull (avec dans sa poche un rouleau où est écrit : « very shy at the Stock Exchange » :
« Pretty enough as to that - they do fly about monstrous quick to be sure -
but you dont get any more money out of my pockett for all that !! »
Ce frénétique exercice de multi-volants date d'août 1806. Il a le tumultueux Channel comme séparation, et se dispute avec une ribambelle de pauvres émissaires, brinquebalés dans les airs tels des pantins. C'est une partie pour la Paix qui se joue entre deux puissances hostiles et rivales :
- à gauche, la France représentée par : Talleyrand qui tient un document sur lequel est écrit Projects (surnommé le « diable boiteux » en raison d'une malformation au pied, il est croqué avec une chaussure à la semelle rehaussée), puis par Napoléon (affublé d'un imposant bicorne) et derrière, Clarke (Henri-Jacques-Guillaume), Ministre de la guerre, à qui Napoléon a donné les pleins pouvoirs pour engager des préliminaires en vue d'établir un traité de paix avec l'Angleterre ;
- sur la falaise opposée, l'english team, conduite par Sheridan (Richard Brinsley), épaulé par Fox (Charles James), reconnaissable à son gilet jaune et à son imposante panse (ce pacifiste et francophile, alors à la tête du gouvernement de Georges III, croyait en une possible entente avec Napoléon), derrière lui, Lord Moira (en redingote rouge) et Lord Howick. Tous faisait parti d'un Ministère formé par Fox en février 1806 et pompeusement qualifiés de « tous les talents » ( Ministery of All the Talents).
John Bull (personnage incarnant alors le petit peuple de la capitale, l'homologue de Marianne pour la France) [11], main dans les poches, l'air renfrogné, observe les échanges mais n'y participe pas. Il ne semble d'ailleurs guère goûter à cet amusement estival (Summer Amusement ), se méfiant, sans doute, des manigances de Napoléon (qui cherchait par ces négociations à séparer l'Angleterre de la Russie, tandis qu'il étendait son pouvoir en Europe). John averti que plus un seul penny ne sortira de sa poche, pour tout ça (« but you dont get any more money out of my pockett for all that !! » La Bourse, comme indiqué sur le parchemin pendant de sa poche, étant très réservée, voire farouche (« very shy »).
Les joueurs, tous munis de raquettes ou battledores, se renvoient de minuscules messagers qui virevoltent au grès des coups reçus. Ils sont porteurs de dépêches sur lesquelles sont inscrits : Peace,Hope, Passports, Peace to a certainty,No Peace (deux fois), Despair, Dispatches, Credentials. Tous ces émissaires survolent La Manche où naviguent trois bateaux battant pavillon français (bleu) et quatre anglais (rouge), indiquant que la flotte anglaise reste bien maître des océans (nous ne sommes que quelques mois après la cuisante défaite maritime de Trafalgar - 21 octobre 1805 - où le vice amiral Nelson décima la flotte franço-espagnole).
Napoléon, coiffé d'un bicorne démesuré, semble encourager ses coéquipiers (« Begar » est une expression qui exprime une émotion ou une exaltation). Il trouve le jeu très amusant (dis be ver amusant) et demande à Talleyrand (Talley) de le faire durer aussi longtemps qu'il le peut, afin de disposer de temps pour leur projet... (keep it up as long as you can that we may have time for our project »).
John Bull (le Taureau), à qui on ne l'a fait pas, n'est nullement dupe de ces atermoiements.
En effet, si Napoléon semble bien être à l'initiative de cette tentative diplomatique de rapprochement pacifique, était-il s'insère ? Cherchait-il réellement à mettre en place une Paix « sure et durable » ? Pierre Coquelle qui, en 1904, s'est penché sur les échanges scripturaires entre Napoléon et Fox, ne croit pas en la bonne foi de Napoléon, qui fit, selon lui, volontairement traîner des négociations pourtant en voie d'aboutissement. En repoussant les offres pacifiques de Fox, Napoléon cherchait à se donner du temps notamment pour étendre son emprise sur la Hollande, ce à quoi l'Angleterre n'était nullement disposée, et la mettre devant le fait accompli (ce qu'il fit en asseyant son frère Louis sur le trône de Hollande fin mai 1806). [12]
La mort de Fox, le 13 septembre 1806, fera échouer les négociations. Toute entente est désormais rompue. Napoléon décrètera en novembre le blocus continental, tentant ainsi de ruiner l'Angleterre en l'empêchant de commercer avec l'Europe.
[11] John Bull : personnage iconique, symbolisant l'Angleterre (à la place du traditionnel Taureau) puis, par extension, l'Union Jack, a pris forme dans les caricatures anglaises à partir des années 1780. Le « premier John Bull » est alors un « homme du commun », paysan, petit fermier ou artisan, boutiquier de la capitale. « Profondément enraciné dans la réalité économique [...], il subit le poids des impôts nécessaires pour assumer le financement de la guerre » et dénonce gaspillages et taxations. « Homme de bon sens », il se montre menaçant et sarcastique à l'égard de Napoléon. C'est un loyaliste « malcontent » qui donne voix aux préoccupations et mécontentements « du petit peuple de la capitale, de ces artisans et boutiquiers de la Cité ou de Westminster, hauts lieux du radicalisme ».
Sur la construction de l'image de ce personnage, voir le riche article qu'y consacre Jeannine Surel, « La première image de John Bull, bourgeois radical, Anglais loyaliste (1779-1815) », in Le Mouvement Social, n° 106, janvier-mars 1979, Paris, Les éditions ouvrières, pp. 66-84. Disponible sur Gallica-BnF : Ici .
[12] Pierre Coquelle, Napoléon et L'Angleterre, 1803-1813. D'après des documents inédits, des archives des affaires étrangères, des archives nationales et du Foreign Office , Paris, Plon, 1904. Disponible sur Gallica-BnF : Ici .
Niklas Bonaparte auf der Insel Elba in seiner Sphére (1814)
On trouve dans une caricature allemande, réalisée par un anonyme, la représentation d'un Napoléon vêtu de sa redingote grise et de son légendaire bicorne (deux objets qui dessinent une silhouette immédiatement reconnaissable), s'évertuant à repousser un essaim de volants avec un long battoir, raquette ou tapette à mouches...
Niklas Bonaparte auf der Insel Elba in seiner Sphére , Anonyme, 1814
Dimension 195 x 226 mm, Berlin, Deutsches Historisches Museum
Image reproduite dans Sabine et Ernst Scheffler, So Zerstieben getraeumte Weltreiche.
Napoleon I, in der deutschen Karikatur , Verlag Gerd Hatje, 1995, p. 147
Versets figurant sous l'image : « Er wollte große Völker zwar besiegen,
Doch nunmehr führt er Krieg mit Schlangen und mit Fliegen,
Er wird auf Elba mit Crapaux umgeben
Nun seiner würdig leben. »
Cette gravure, datée de 1814, met en scène « Niklas Bonaparte », ramenant un Napoléon exilé sur l'île d'Elbe à son nom originel de Nicolas Bonaparte, un prénom qu'il avait transformé en Napoléon car, selon Jean Tulard, il ne le trouvait pas suffisamment distingué [13].
Celui qui a chevauché à travers tant de contrées se voit désormais cantonné sur une plagette, bordée d'un palmier et d'un agave (peut-être pour souligner l'exotisme et l'aridité du climat). Ne lui reste plus comme occupation que de taquiner la dorade. Napoléon n'est plus qu'un simple pêcheur qu'importunent les habitants des lieux : deux serpents aux gueules menaçantes, une ribambelle de crapauds dont certains se hissent le long de ses bottes, et un essaim de volants... Très certainement une allusion moqueuse à l'abeille, insecte dont Napoléon avait fait l'emblème de l'Empire, en remplacement de la fleur de lys (symbole de la monarchie depuis les Carolingiens). Lors de son sacre en 1804, il était ainsi apparu revêtu d'un manteau de velours rouge brodé de 1500 abeilles d'or ! Ce nouveau symbole de pouvoir et de royauté lui avait été suggéré par Cambacérès (alors à la tête du Sénat), les abeilles étant « l'image d'une République qui a un chef » (celle d'une France travailleuse possédant un aiguillon) [14]. Elles avaient également représenté un symbole d'immortalité et de résurrection chez les premiers rois de France, les Mérovingiens. Y recourir permettait de marquer une rupture avec la monarchie d'Ancien Régime en revenant à l'un des tout premiers emblèmes des souverains de France, celui du père de Clovis, Childéric 1er (mort en 481), puis de sa lignée.
Il existe au moins deux estampes, datant de 1814, représentant Napoléon en route vers l'île d'Elbe entouré, par une nuée d'abeilles (et non de volants). Une intitulée « Voyage à l'Île d'Elbe », où Napoléon, chevauchant l'Aigle impérial, est escorté par un bataillon d'abeilles, comme s'il partait en villégiature... La seconde (anti-napoléonienne), intitulée « Départ pour l'Île d'Elbe », met en scène un Napoléon 1er déconfit qui, à l'image de la célèbre grenouille qui a voulu se faire aussi grosse que le bœuf, termine anéanti... (« la chétive pécore enfla si bien qu'elle creva », est-il rappelé au bas de l'image). L'Empereur dont l'épée gît brisée voit sa couronne impériale remplacée par une vulgaire couronne de fer aux pointes acérées, son manteau impérial s'envole et il agite une clochette, peut-être pour inciter les abeilles qui s'en sont détachées à le suivre...
[13] Son prénom de naissance était Antoine-Nicolas. Cf. Jean Tulard, L'Anti-Napoléon. La légende noire de l'Empereur, Paris, Julliard, 1965, p. 47.
[14] Un portrait en pied de Cambacérès le représente vêtu d'un manteau et d'une cape brodés d'une multitude d'abeilles, voir Ici .
Anonyme, Voyage à l'Île d'Elbe, été 1814 — Collection De Vinck — Source Gallica-BnF, Ici
Anonyme, Départ pour l'Île d'Elbe, printemps 1814 — Collection De Vinck — Source Gallica-BnF, Ici
On peut penser que le caricaturiste allemand qui a croqué Niklas Bonaparte faisant face à une nuée d'inoffensifs volants a voulu tourner en dérision cette symbolique des abeilles tueuses, les remplaçant par des volants dont le bouchon tout rond et la gracilité sont incomparablement moins agressifs que le dard et les vrombissement de l'hyménoptère.
Pauvre Napoléon, pêcheur à la ligne esseulé, désormais à la merci d'espèces infernales (serpents et crapauds), bataillant, armé d'un simple battoir, contre un escadrille de délicats volants. Voilà, comme l'indique le titre et les versets, le nouveau monde et le nouveau champ de bataille de celui qui voulait vaincre les « grands peuples » (« große Völker ») !
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Le « jeu du volant » ou plutôt le battledore and shuttlecock (sa version d'outre-Manche) n'est pas le seul divertissement enfantin à avoir inspiré les auteurs de pamphlets crayonnés contre Napoléon, ce « perturbateur de la paix européenne » (un qualificatif qui, dès 1806, figure dans plusieurs portraits satiriques de cet « ennemi du genre humain ») ! Nous avons également trouvé plusieurs autres de ces badineries et enfantillages utilisés dans les caricatures anti (mais aussi pro) napoléoniennes : le jeu de la toupie, ou plutôt du « sabot », auquel s'adonnaient les jeunes garçons armés de longs fouets, le jeu du Diable (ou Diabolo ), le saut à la corde réservé aux filles, le jeu des quatre coins, celui (moins connu) du Pétengueule, le jeu des anneaux jetés, du saute-mouton (ou saute grenouille - Leap Frog -, pour les anglais), le jeu des bulles de savon, de la Balançoire (tapecu, bascule et nacelle) et enfin du cerf-volant !
The Corsican Whipping Top in full Spin !!! (1814)
(« Le sabot Corse en pleine déroute »)
Le « sabot » est considéré comme l'ancêtre de la toupie. Il était constitué d'un morceau de bois arrondi se terminant par une pointe. La lanière d'un fouet, enroulée autour de la partie supérieure de son axe puis violemment tirée, permettait de le mettre en mouvement. Ensuite, le jeu consistait à le frapper régulièrement et avec habileté pour maintenir sa rotation aussi longtemps que possible, le fin du fin étant de le faire tourner suffisamment vite pour qu'il émette un ronronnement et « chante ». Selon Henry-René d'Allemagne, son nom viendrait « de la coutume que l'on avait autrefois de [le] tailler [...] dans le talon des sabots hors d'usages » [15].
The Corsican Whipping Top in full Spin !!!
Georges Cruikshank (1792-1878), Estampe, 3 avril 1814 (Londres) — Dimensions : 354 x 250 mm
Source de l'image : © The British Museum
Selon John Grand-Carteret, cette estampe de Cruikshank « acquit vite une très grande popularité ; quelques jours après son apparition, elle allait être exposée à la devanture des marchands d'estampes de Paris, pour le plus grand plaisir de tous les ennemis de Napoléon. » [16]
Les publications de ces pamphlets satiriques, exposées aux vitrines des boutiques spécialisées, mettaient Londres en révolution. Les badauds s'amassaient, se bousculaient pour être les premiers à apercevoir la caricature du jour. Selon John Grand-Carteret, l'enthousiasme suscité était « indescriptible » !
Les forces de la 6ème coalition (Royaume-Uni, Russie, Prusse, Suède, Autriche) viennent de remporter la Bataille de Paris (30-31 mars 1014). Avec cette victoire s'achève la Campagne de France qui a vu les armées européennes affronter l'armée impériale. Napoléon abdiquera à la suite de cette capitulation.
[15] Henry-René d'Allemagne, Sports et jeux d'adresse, Paris, Hachette, 1903, p. 38. Téléchargeable sur Gallica BnF Ici .
[16] Grand-Carteret John, Napoléon en images. Estampes anglaises (portraits et caricatures), avec 130 reproductions d'après les originaux , Paris, Librairie de Firmin-Didiot et Cie, 1895, p. 148. Gallica-BnF, en cliquant Ici .
Dans sa version française (inversée) :
Anonyme (d'après Georges Cruikshank), Le Sabot Corse en pleine déroute, mars 1814
Dimension : 323 x 245 mm
Source de l'image : The British Museum
Sur la version française, les généraux des forces coalisées maniant le fouet sont, de droite à gauche :
- Blücher, le plus féroce qui a déposé chapeau et veste d'uniforme prussien sur un tambour,
- Alexandre Ier, Tsar de Russie (qui défila dans Paris à la tête des cosaques de la garde impériale) ou le Général Mikhaïl Vorontsov (commandant des troupes russes). La lanière du fouet porte la mention KNOUT (le knout était un fouet dont les lanières de cuir se terminaient par des crochets ou des boules de métal. Il était utilisé dans l'ancienne Russie pour flageller criminels et délinquants politiques).
- Schwarzenberg (commandant, feldmarschall, de la Grande armée de Bohême) ou François 1er (Empereur d'Autriche) ;
- et Wellington.
En retrait :
- mains sur les hanches, Jean-Baptiste Bernadotte (prince héritier, futur roi de Suède et de Norvège) qui tient un fouet, mais s'amuse du spectacle sans y participer ;
- et, appuyé contre un tonneau, le souverain récemment élu des Pays-Bas (le prince Guillaume-Frédéric) qui tient dans sa main une jambe sur la botte de laquelle est écrit United Netherlands et sur la version française Hollande.
La toupie tricolore contient le buste d'un Napoléon démembré, mis en pièces. Ne reste plus qu'un homme-tronc, hurlant de rage ou de terreur, face au coup de fouet que s'apprête à lui administrer le farouche Blücher. Le sous-titre français prend toute sa saveur, si l'on pense que Sabot Corse renvoie (très certainement) à Nabot Corse ! L'empereur n'est plus qu'un nain captif, enchâssé dans une toupie.
Autour de lui, jonchant le sol, quelques plumes du panache de son bicorne, son sceptre brisé et le globe impérial, ainsi qu'éparpillés ses bras et ses jambes symbolisant les parties perdues de son Empire. Est inscrit sur un des bras : Germany (transformé en france sur la publication française) et, sur l'autre, Spain de Portugal (portugal esp), les jambes portent les inscription : Swisslad Italy et United Netherlands.
En arrière-plan, prenant la fuite dans une calèche lancée au grand galop : Marie-Louise, couronnée et se retournant, et le « roi de Rome » agitant son sceptre (l'enfant impérial alors âgé de 3 ans, futur éphémère Napoléon II, surnommé l'Aiglon après son décès à 21 ans).
Dans les airs, agrippé à la queue pointue d'un Diable : Joseph Bonaparte (frère aîné de Napoléon, défenseur de Paris jusqu'au 30 mars) ou, selon des historiens, Joachim Murat (beau-frère de Napoléon, Maréchal de l'Empire, fait « roi de Naples » en 1808, avec le titre de Joachim-Napoléon 1er). Perdant sa couronne et observant la scène de haut, il s'écrit : « O ! my poor Brother Nap oh oh ! O ! », et dans la version française « Ah mon cher frère de naples ».
« L'Empereur, qui a joué avec les États comme s'ils étaient des balles, est désormais comme une toupie dans les main des Alliés, qui le rouent de coups. » Cf. L'Empereur détrôné. 35 caricatures françaises (1813-1814)
Dieu soit loué ! le Diable l'emporte ! (1815)
Estampe satirique, Anonyme, 1815,
Source de l'image : The British Museum
Le Diabolo trouve son origine en Chine, sous l'appellation (la plus courante) de Kouen-Gen (ou « appareil à faire le vide », Une appelation liée à la croyance selon laquelle son bruit provenait du vide qu'il créait en tournant) (voir à ce sujet « Le petit musée du diabolo »).
Importé en Angleterre à la toute fin du XVIIIème sicècle, sans grand succès, il fut introduit en France une vingtaine d'années plus tard et adopté par la Cour impériale, avant de se répandre dans toute l'Europe. Il est alors baptisé « Jeu du Diable », la bobine formée de deux cones en bois étant appelée « Diable ». En Angleterre, il est nommé « Devil on two sticks » («le diable sur deux bâtons »), car ses vrombissements font un « boucan du Diable » !
Les armées impériales le pratiquèrent comme passe-temps, et Napoléon lui même se serait diverti avec des diabolos en bois massif... Le jeu devint aussi populaire que le jeu de paume. Des clubs et des compétitions furent créées dans toute la France à partir de 1810.
Sur la gravure, le Duc de Wellington expédie dans les airs un Buonaparte juché sur un « Diable ». L'empereur déchu en perd sa couronne de laurier d'or (celle dont il avait ceint son front en décembre 1804, lors de son sacre, à l'instar des Empereurs romains).
À l'horizon, sans doute, le Northumberland sur lequel il embarqua le 7 août 1815, destination l'île volcanique de Sainte-Hélène, un confetti perdu au milieu de l'Atlantique Sud. Un très très lointain lieu de captivité et d'exil où les alliés l'expédièrent pour s'en débarrasser définitivement. Un choix de lieu et une opération de déportation auxquels fut associé de très près le Duc de Wellington qui, maniant le Diabolo, l'expédie au Diable.
Le Sauteur impérial — grand faiseur de tour (1815)
Estampe, 1815 — Dimension 164 x 287 mm — Source de l'image : Gallica-BnF
Lithographie de Friedrich August Mottu, juillet 1815 — Dimension 232 x 389 mm
Blücher (à gauche) : « mon petit camarade le saut périlleux »
Napoléon : « messieurs ce jeu là me déplaît c'est le dernier tour que je vous fait. »
Wellington : « Sire sauté pour le Roi »
Source de l'image : The Metropolitan Museum of Art
C'est un Napoléon irrité, bougonnant, que le maréchal prussien Gebhard von Blücher et le duc de Wellington font sauter à la « grande corde » (un passe-temps habituellement réservé aux petites filles) [17]. Un chef de guerre désarmé que Blücher, qui l'interpelle d'un « mon petit camarade », invite à réaliser un saut périlleux. Une pirouette dont le balourd grognon est d'évidence totalement incapable.
Ultime acrobatie aux conséquences sans nul doute désastreuses, sinon mortelles. Cette corde n'est-elle pas aussi l'annonce, le souhait, d'une (possible) exécution par pendaison. Les caricaturistes anglais promettaient régulièrement la potence, à cet « ennemi du genre humain » (voir ci-dessous). Napoléon n'était qu'un brigand, un monstrueux criminel, qui méritait de finir la corde au cou, dans un dernier saut privé de toute noblesse. Le nœud fatal du gibet réservant une mort infamante, déshonorante a contrario de la mort donnée par le fer (par le glaive), mort glorieuse qui, par la blessure infligée, l'ouverture de la chair et le sang versé, virilise le corps du héros-combattant.
« The Final Pacification of Europe !! »
Publié par William Holland, 1803 - Dimensions 250 x 345 mm
Source de l'image : The British Museum
Napoléon fessu (il souffrait alors d'hémorroïdes...) a perdu sa superbe. Avec les ans la silhouette s'est épaissie. Alors qu'il était souvent caricaturé maigre, le visage émacié, il est devenu « un petit gros, l'air commun » [18] : le bedonnant Fleshy [19]. Il est désormais un lourdaud, un courtaud, au visage affaissé et graisseux, un bouffi, qui n'apprécie guère le dernier tour que lui imposent les deux généraux, ces commandants des forces coalisées qui viennent de mettre en déroute ses troupes à Waterloo (18 juin 1815). Un désastre militaire qui met fin à l'escapade guerrière de ce « grand faiseur de [mauvais ?] tour », revenu, en mars, de l'île de d'Elbe (où il avait été forcé de s'exiler après sa première abdication et son bannissement), pour monter sur Paris et y reconstituer son armée.
Contraint de battre en retraite, Napoléon s'éclipsera du champ de bataille pour rentrer sur Paris. Sa défaite militaire entraînera sa défaite politique. Le 22 juin 1815 , acculé et épuisé, il se résignera à abdiquer (seconde abdication) en faveur de son fils, le Prince Impérial (Napoléon II - « roi de Rome », alors âgé de cinq ans). Mais, le « gouvernement provisoire » qui se forma escamota totalement cette demande, négocia la capitulation de Paris avec les Anglais qui rétabliront les Bourbons sur le trône (seconde Restauration).
Un mois après, Napoléon fuira la France pour se livrer aux Anglais (les espérant plus cléments à son encontre que les royalistes revenus au pouvoir). Pour s'en débarrasser définitivement, ceux-ci l'expédieront à Saint-Hélène, île perdue au cœur de l'Atlantique qui sera sa dernière demeure (5 mai 1821).
Napoléon venait de faire et de jouer effectivement son « dernier tour » !
[17] La grande corde est à distinguer de la petite corde qui se pratique en individuel. La grande corde est tournée par deux joueurs qui en font sauter un autre, parfois deux ensemble, rarement plus.
[18] Cf. Jean Tulard, L'Anti-Napoléon. La légende noire de l'Empereur, Paris, Julliard, collection « Archives », 1964, p. 89.
[19] Fleshy (le dodu ou le ventripotent, voire l'obèse), surnom donné, sur la fin de sa vie, à Napoléon alors à Sainte-Hélène pour se moquer d'un embonpoint jugé compensatoire (cf. Perez Stanis, « Le corps impérial de Napoléon Ier », in Le Corps du Roi, Paris, Éditions Perrin, 2018, pp. 331-356.
Bon a part, ou le jeu des Quatre coins (1815)
Jean-Baptiste Gautier, « Bon a part ou le jeu des Quatre coins », septembre 1815
Gravure colorée à la main — Dimension 213 x 318 mm
Blücher (à gauche) : « Le B......... a beau dire ce n'est pas là de la violette »
L'Empereur d'Autriche : « ton cas est mauvais »
Napoléon : « Après avoir été maistre des 4 coins du globe je n'en puis trouver un pour reposer ma tête »
Alexandre 1er :« Cette foi ci tu y es pour tout de bon »
Wellington : « qui compte sans son hote compte deux fois... »
Source de l'image : © The Trustees of the British Museum et Musée Carnavalet, Histoire de Paris
Le jeu des quatre coins est un jeu d'enfant très populaire. Les joueurs forment en carré et se placent aux quatre coins, un cinquième se place au centre, à son signal les participants doivent changer de coin ! Celui qui ne trouve pas de coin a perdu et doit se placer au centre, et ainsi de suite. Dans une de ses versions (sans doute celle à laquelle l'estampe fait référence), il pourrait, selon Henry-René d'Allemagne, être appelé le « jeu du pot : « U n joueur s'assoit au milieu du cercle formé par ses camarades ; on l'appelle le pot. Les autres joueurs tournent autour de lui, le plument [lui tirent vivement les cheveux] , le taquinent, le frappent même. Celui-ci cherche en se retournant à atteindre celui qui l'a touché et qui, s'il est pris, devient le pot à son tour. » [20]
On trouve, dans un ouvrage Anonyme traitant des jeux de l'enfance, une description des Quatre coins où il est précisé que « celui qui ne trouve plus de place est ce qu'on appelle le Pot-de-chambre, et se met au milieu » [21].
[20] Henry-René d'Allemagne, Sports et jeux d'adresse, Paris, Hachette, 1903, p. 61-62. Téléchargeable sur Gallica BnF, Ici .
[21] Jeux de l'Enfance et de la Jeunesse, Paris, Chez Delarue, p. 18. Source Gallica BnF, Ici .
« Bon a part » a perdu et a été mis « a part » (?), il ne trône plus que sur un pot de chambre ! Tenant dans sa main une liasse de papiers : « Contribution Extraord[inaire] de 100 Million » ; « Conscription levée [en] ma[sse] » ; « impot dou[ble] ». Autant de décisions « extraordinaires » et ruineuses désormais inutiles, si ce n'est à à essuyer son postérieur. Un séant qui, comme, semble le souligner Blücher, ne sent pas «la violette » ! Allusion au surnom donné à Napoléon de Père la Violette ou Caporal la Violette (par ses supporters), après qu'il ait déclaré à ses soldats, lors de son départ pour l'île d'Elbe qu'il « reviendrait avec des violettes », c'est-à-dire au printemps. Les Bonapartistes en firent leur emblème et inondèrent la France de cartes représentant un « anodin » bouquet de violette dans lequel un œil averti pouvait déceler les profils de Napoléon, de Marie-Louise et de leur fils Charles, âgé de trois ans.
Placé au centre d'un espace fortifié (canon, remparts) dont les quatre coins sont occupés par les principaux généraux des forces alliées : Blücher, bras croisés, appuyé sur un canon et fumant une longue pipe, puis L'Empereur d'Autriche, suivi d'Alexandre 1er (Tsar de Russie) et de Wellington.
Cette caricature fait écho à une estampe datant de 1808, où Napoléon et ses frères se partagaient le monde. « À partir de 1806, on assiste à une constante réorganisation de l'Europe et à une redistribution des pays assujettis. Joseph a été roi de Naples (1806) puis des Espagnes (1808) et des Indes, libérant ainsi le trône Napolitain pour Joachim Murat, le beau-frère, grand-duc de Berge depuis 1806. Louis devient roi de Haollande de 1806 à 1810. Jérôme reçoit le royaume de Westphalie en 1807. » (Ici)
« Le Jeu des quatre Coins ou Les cinq frères »
Anonyme, Eau forte, 1808 — Source de l'image : Gallica-BnF
Le Jeu du Pétengueule Royal sur la France (1815)
Le Jeu de Pet en Gueule
Jacques Stella et Claudine Bouzonnet-Stella
Gravure n° 34 (120 x 144 mm)
Les Jeux et plaisirs de l'enfance , 1657
Source de l'image : Bibliothèque Municipale de Lyon
Le pétengueule ou pet-en-gueule, ou encore pète-en-gueule, est un ancien amusement de bidasses ou de garnements. Il est parfois présenté comme un jeu de récréation « rigolo », aujourd'hui totalement passé de mode... Selon les dictionnaires qui le mentionnent, ou les gravures (comme celle de Stella, voir ci-contre) et quelques illustrations d'époque qui le mettent en image, ce divertissement, aussi funambulesque que saugrenu, se jouait à quatre. Un participant saisissait à bras-le-corps un compère, pour le maintenir tête en bas, puis basculait en arrière sur deux autres joueurs positionnés à quatre pattes Au terme de cette culbute, les positions étaient inversées, celui qui avait la tête au raz du sol se retrouvait remis sur ses deux pieds et inversement. Le derrière du porté se trouvant au niveau de la bouche du portant, et vice-versa. Chaque protagoniste était donc à la merci des flatulences impromptues ou délibérées de son acolyte. D'où son appellation haute en odeur de pétengueule !
Cet accouplement paillard et carnavalesque, sorte de lutte intestinale, est ainsi décrit, en 1616 par François Béroalde de Verville, dans Le Moyen de parvenir (tome 2) : « plus badin que violent, lorsqu'on a les reins souples, & s'il y a quelque chose à craindre pour les joueurs, c'est quelque mauvais vent, dont il est difficile de se garantir » (p. 345 du glossaire. Consultable sur Gallica-BnF, Ici).
Le nez de chaque joueur se trouve à portée immédiate des gazouillis, canonnades et autres plaintes ou joyeusetés émanant des entrailles de son partenaire [22], que ces vents soient lâchés « s oit par mégarde, ou tout exprès », et, comme il est encore écrit au bas de la gravure de Stella (publiée en 1657 dansJeux et plaisirs de l'enfance) : « Le nez doit craindre le derrière »...
Le Dictionnaire de Trévoux de 1762 en donne, toutefois, une définition moins acrobatique et olfactive : « Ce jeu, dans certaine provinces, consiste uniquement à qui fera le plus gros bruit, lorsqu'en enflant les joues on s'en frappe l'une avec les cinqs doigts en pointe. » [23]
[22] Sur ce sujet, Jean Feixas, Histoire du pet de l'Antiquité à nos jours, Paris, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2008.
On trouve dans Les Jeux des Jeunes Garçons, publié en 1822, une description de ce jeu baptisé « Le Monde renversé » : « Un enfant se place la tête en terre en se soutenant sur ses mains, les jambes en l'air et écartées ; un autre, debout, le prend à bras-le-corps, à peu près ventre contre ventre : ils se renversent sur le dos d'un de leurs camarades qui est à quatre pates, et leur présente son dos en forme de pont, sur lequel ils se renversent alternativement ou chacun à leur tour, tantôt la tête en bas, tantôt la tête en haut ». in Armand-Gouffé, Les Jeux des Jeunes Garçons [...], Paris, Firmin Didot, 1822 (5ème édition), pp. 73-74. Disponble sur Gallica-BnF Ici.
[23] Abrégé du Dictionnaire Universel Français et latin, vulgairement appellé [sic] Dictionnaire de Trévoux, Tome 3, Paris, Les Libraires Associés, 1762, p. 234. E-Book consultable et téléchargeable Ici .
Le jeu du Pétenguele Royal sur la France
Anonyme, 1815, Source de l'image : Bodleian Library University of Oxford, téléchargeable ICI
Sur cette caricature plutôt anti-royaliste, Napoléon et Louis XVIII, placés tête-bêche jouent donc au Pétengueule Royal sur le dos d'une France épuisée, à bout et quasi implorante.
L'image date des Cent jours. L'Empereur, comme il le dit, s'était remis debout : « en pied », pour débarrasser la France d'un fardeau royal qui écrase une citoyenne décharnée, exsangue, à la poitrine aride et au visage cadavérique.
France usée, desséchée, éreintée, qui semble soulagée que Napoléon lui hôte le poids de ce « gros cochon » de Louis XVIII (un épithète populaire par lequel il était alors souvent désigné). Une charge qu'elle supportait et qui la ruinait... et dont elle semble remercier, d'un air de chien battu, Napoléon de l'en débarasser : « il n'y a que vous pour m'oter ce poid de dessus mes épaules ». Quant au rondouillard Louis XVIII, il effectue un renversement, une mise cul par-dessus tête, et comme il l'énonce, il « pirouette » !
On assiste à un renversement des valeurs : « le jeu de pet-en-gueule fait référence à la confrérie carnavalesque dijonnaise de la Mère-folle, autrefois rès vivace. Il démontre parfaitement le renversement des valeurs établi au moment du carnaval et qui est étendu à la politique . » (Cf. Jérémie Benoit, L'Anti-Napoléon, chapitre « La culture populaire », à découvrir sur Napoleon.org Ici).
(L'historienne Annie Duprat fait une analyse légèrement différente de cette estampe. Après avoir souligné qu'elle était une des très rares caricatures à représenter une entité abstraite : la nation France. Ici figurée sous les traits d'une « femme vieilli, efflanquée, mamelles pendantes et cheveux épars, écrasée par les déchirements des grands. » Cette « France qui gémit» s'adresserait, non pas à Napoléon, mais aux spectateurs pour qu'ils lui « ôtent ce poids de dessus », constitué par les deux saltimbanques qui s'amusent à ses dépends. Un scripteur anonyme aurait ainsi rajouté à la plume, sur l'exemplaire consulté par Annie Duprat : « s ort des peuples ! La France épuisée sous Louis XVIII et Bonaparte jouent à la bascule sur son dos ») [24].
[24] Annie Duprat, « Une guerre des images : Louis XVIII, Napoléon et la France en 1815 », Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, Tome 47-3, juillet septembre 2000, pp. 503-504. Disponible sur Gallica-BnF en cliquant Ici.
Le Jeu du lapin (1815)
Le Jeu du lapin, publié à Paris en 1815 par Jean-Baptiste Genty, Dimension 243 x 353 mm
Estampe figurant dans De Vinck (collection), Un Siècle d'histoire de France par l'estampe
Source de l'image : Gallica-BnF et The British Museum
Dans cette estampe française, le Duc de Wellington s'adonne au populaire « jeu des anneaux jetés », ou jeu du lancer d'anneaux, un jeu d'adresse qui animait foires, kermesses et fêtes publiques. Les anneaux pouvaient être remplacés par des fers-à-cheval.
En réussissant à enfilé son anneau dans le bâton central du jeu, Wellington remporte un lapin, en l'occurrence Buonaparte (comme indiqué au bas de l'image) ! Le gros lot l'attend dans un panier en osier (qui fait penser à une grosse marmite), avec à côté une carotte et un chou (nourriture fort appréciée du rongeur, mais aussi pouvant donner du goût à la cuisson).
Wellington annonce qu'il va enfermer ce lapin : «Je vais le mettre en cage ». Tandis que Buonaparte s'interroge : « A quel sauce me metterons t'ils » ?
C'est un Napoléon quasiment sphérique, tout en rondeurs et double-menton, comme à l'étroit dans une pourtant large corbeille, engoncé, qui est offert par une paysanne portant bonnet phrygien : « A vous le Lapin ».
Dans le langage populaire, un « vieux lapin » était un homme rusé, aux mille tours...
On trouve également cette lithographie dans l'ouvrage de Henry René d'Allemagne, Sports et jeux d'adresse, Paris, Hachette, 1903, p. 289. Disponible sur Gallica-BnF : Ici.
Leap Frog (1803)
(Le jeu de saute-mouton)
Piercy Roberts, vers juin 1803, Dimensions 254 x 350 mm — Source de l'image : The British Museum
Napoléon joue à saute-mouton (leap frog en anglais, soit saute-grenouille) au dépend de trois états qui n'ont su lui résister et ont le rouge aux joues (de colère ou de honte). Après avoir bondit par-dessus le représentant de la Hollande, puis d'Espagne, Master Corsican prend appui sur les épaules d'un soldat du Hanovre, qu'il fait à son tour plier.
Le Hollandais (dont le pays est occupé par l'armée française) a perdu son chapeau et cassé sa pipe. La bouille grincheuse, il dit : « He has left Swiss and Italian a mile behind — and as for me he has knock'd my hat off and broken my pipe — pretty encouragement this to play at Leap Frog ».
L'Espagnol s'est lui aussi fait briser le dos : « By St lago — my back is almost broken ».
Tout comme le représentant du Hanovre qui lui aussi s'est « soumis à ça » (les troupes napoléoniennes viennent d'envahir l'Électorat de Hanovre qui était en « union personnelle » avec la Grande-Bretagne) : « Why did I submit to this ».
Quant à Napoléon, qui effectivement a l'allure d'une fine grenouille (l'exagération de la taille de son bicorne renforçant l'émacié du visage), il s'apprête à sauter sur l'Angleterre (qui le 23 mai a officiellement déclaré la guerre à la France) : « Keep down your head master Hanoverian my next leap shall be over John Bull ».
Sauf que John Bull [25], lui, n'est pas près de courber l'échine. Poing fermé, il attends la « grenouille » française de pied ferme, bien décidé à accueillir d'un uppercut le batracien Corse : « I'll be d.....d [damned] if you do master Corsican » !
En France, ce jeu de garçons était connu sous le nom de « coupe-tête », le garçonnet qui sautait par-dessus ses camarades criant : « coupe teste» ou « croque teste» !
[25] John Bull, ou Jean Le Taureau, est un personnage emblématique symbolisant l'Angleterre, un bourgeois grassouillet, honnête, mais capable de se montrer vigoureux, un gentleman-farmer typiquement British !
Ah ! Papa les belles bulles de Savon que tu as faites (1814)
Le jeu des bulles de savon est un amusement pour les tout-petits. Il consiste à former la plus grosse des bulles, tout en s'efforçant de la faire ensuite monter le plus haut possible, « par son haleine, ou en agitant l'air avec son mouchoir ou son chapeau. Les enfants s'écrient alors : Quelle est belle ! et elle crève à l'instant ». En effet, les bulles qui s'éloignent et voltigent au grès des souffles, tout en se colorant de reflets arc-en-ciel, finissent toujours par... exploser (et éclabousser les rires des enfants) ! Aussi, est-ce un spectacle éminemment fugitif [26]. Comme l'observe Elena Pratesi de l'Université de Firenze, les bulles de savon qui éclatent sont symbole de la fragilité et de la fugacité des ambitions humaines et de la vie elle-même ! [27]
[26] Jeux de l'Enfance et de la Jeunesse, Paris, Chez Delarue, p. 14. Source Gallica BnF, Ici.
[27] Cf. Elena Pratesi, « Bolle di sapone. Forme dell'utopia tra vanitas, arte e sccienza », avril 2018, Site Art e Arti, Ici.
Anonyme, été 1814
Collection De Vinck, Histoire de France (1770 - 1871)
Source de l'image : Gallica-BnF en Couleur et en Noir-Blanc
Disponible également sur le site du British Museum
Sur cette estampe, le jeune fils de Napoléon (le futur Aiglon), du haut de ses 3 ans, s'égaye des « belles bulles de savon » qu'à fait son Papa. Des bulles qui pour le plus grand plaisir de l'enfant ne vont sans doute pas tarder à éclater. En cet été 1814, Napoléon vient en effet d'abdiquer et tous les pays passés sous sa tutelle et constituant l'Empire ont un a un été libérés par les forces coalisées. L'Empire s'effiloche.
Autant de bulles qui une à une s'éloignent, s'éparpillent, échappent à leur « créateur ». Autant de conquêtes passées qui s'évaporent : laWesphalie, la Suisse, la Hollande, la Pologne, l'Espagne, l'Italie, Rome et la plus grosse, celle dont rêvait le « petit Corse », si grosse qu'elle ne peux que lui exploser à la figure : le Grand Empire (comme inscrit sur celle du dernier souffle).
Ces conquêtes ne sont plus que des baudruches emportées par un vent nouveau.
À ses pieds, le vase dans lequel Papa puisait le liquide savonneux gît renversé, indiquant que le jeu est bel et bien terminé ! Le Grand Empire, tel un chapelet de bulles, s'est disloqué et se disperse !
Un anonyme caricaturiste italien a lui aussi recouru, en 1814, à la métaphore du jeu des Bolle di sapone. Sur les bulles figurent les noms des États conquis ou créés par l'Empereur dans une aventure militaire qui avait, en quelques années, bouleversé l'ordre politique de l'Europe.
De la plus élevée : Stati del Piemonte —Capo della confedera del rend — Ducato di Westfalia —Impero Francese — Principato di Veneria (Venaria ?) — Regno d'Italia — Regno di Roma, à l'ultime bulle soufflée : Paesi Bassi di Olanda.
Des bulles qui montent aux cieux, planent et bientôt disparaîtront, « comme des bulles dans le vent » (quali Bolle al vento), soulignant toute la fragilité et l'évanescence de l'entreprise napoléonienne, à laquelle les versets écrits sous l'image font référence.
Anonyme, vers 1814
« Le conquiste, o Fanciullo, e questi Regni,
Da me quasi formati in un momento ;
Per gli occulti del Cielo alti disegni
Svanir tu li vedrai quali Bolle al vento »
Source de l'image : Rome, Museo Napoleonico
Sur le bicorne tenu par le jeune Napoléon (François Joseph Charles Bonaparte) est comme posée la bulle Regno di Roma, rappellant qu'à sa naissance (20 mars 1811) l'enfant, issu du mariage entre Napoléon et la duchesse de Parme (Marie-Louise d'Autriche), reçu le titre de « Roi de Rome ».
Notons toutefois que le portrait de Napoléon n'est pas ici tordu par la caricature. C'est une représentation soignée, d'un Napoléon jeune et séduisant, lançant un regard presque attendri sur son rejeton. La mise en scène bucolique, le positionne comme un doux rêveur, un perdant romantique.
Il existe également une version allemande similaire à la version française, sans qu'il soit possible de savoir laquelle a inspiré l'autre... Elle est accompagnée d'un titre particulièrement explicite qui peut être traduit par : « C'est ainsi que les Empires rêvés sont dispersés ».
Anonyme, vers 1814, So zerstieben geträeumte Weltreiche
(C'est ainsi que les Empires rêvés sont dispersés)
Source de l'image : Wikimedia Commons
Tapecu , Balançoire (1815) et See-Saw (1801, 1804)
Il existe plusieurs types de balançoires, simple corde où se suspendre et osciller à la manière d'un pendule, escarpolette, nacelle, et, la plus classique, ou tout au moins la plus simple à réaliser : la balançoire à bascule. Pour goûter aux joies de l'élévation, il suffit d'une pièce de bois (planche, poutre ou tronc d'arbre) placée en équilibre sur un pivot (comme un bloc de pierre). À chaque extrémité les enfants (seuls ou en grappes joyeuses) s'installent à califourchon, et, poussant à tour à tour de rôle sur leurs gambettes, s'amusent à monter et descendre.
La balançoire à bascule consiste à se faire alternativement hausser et baisser, ceci plus ou moins vite et violemment. Celui qui est en bas peut accessoirement bloquer et maintenir en l'air (indéfiniment) son compagnon de jeu, mais le vrai plaisir n'est pas là...
En effet, plus la vitesse de montée importante et l'arrêt brutal, et plus ceux qui montent décollent et se tapent le « cul » en retombant sur la planche. D'où son appellation triviale de « Tapecul », « tape-cul » ou encore « casse-cul » ! Une « dénomination imagée [comme le soulignait Henry-René D'Allemagne, en 1906] , traduction de l'impression ressentie par celui des deux joueurs qui était placé à l'une des deux extrémités de la poutre, lorsque son partenaire l'envoyait mordre la poussière par quelques manœuvre insidieuse » [28]. La bascule, cet « ami brusque, sensible et franc » (comme le qualifiait un poète, cité par d'Allemagne), peut copieusement endolorir les fessiers (surtout si le bois est rustique), mais aussi désarçonner et provoquer la chute de ceux qui, projetés dans les airs, finissent à terre !
[28] Cf. Henry-René d'Allemagne, Récréations et Passe-temps, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1906, p. 333 (« La Bascule », pp. 333-337).
Les deux premières estampes qui suivent ont été réalisées, en 1815, par Jean-Baptiste Gautier, au tout début de la période dite des Cents-jours, comprise entre le retour en France de Napoléon, « évadé » de l'île d'Elbe (1er mars 1815) et son abdication — la seconde (le 7 juillet). Ce sont des satires pro-napoléoniennes (à la différence des suivantes, réalisées par des caricaturistes étrangers).
Jean-Baptiste Gauthier, Le Tapecu, déposée le 31 mai 1815
Source de l'Image : Musée Carnavalet Paris
Eau-forte coloriée, dimension : 283 x 404 mm
Louis XVIII au sol : « Non ! mais Relevez moi ».
Guillaume III (roi de Prusse): « Vos forces sont elles épuisées.... »
Feldmarschall Schwarzenberg (Autriche) : « Quelle triste position »
Alexandre 1er (Tsar de Russie) : « ... nous y resterons. »
Napoléon : « Ces messieurs il paraît ne connaissent pas le jeu. »
Wellington (en arrière-plan) : « allez les aider » offrant une bourse à un piquier, ou lancier cosaque.
Napoléon vient en effet d'entâmer une remontée sur Paris aussi rapide que triomphante. Au cours de son avancée la quasi totalité des troupes se sont ralliées à la Grande Armée qui se reconstitue, et ont abandonné Louis XVIII qui fuit en Belgique. Napoléon entrera dans Paris le 20 mars. L'Empereur est de retour.
Comme l'observe Philippe de Carbonnières (qui analyse cette image dans un superbe ouvrage consacré aux caricatures napoléoniennes), le sort de Louis XVIII est alors directement lié aux contre-offensives que décideront de lancer les principaux Alliés. Or, le roi de Prusse, Schwarzenberg (pour l'Autriche) et le Tsar de Russie, tous perchés sur le Tapecu, sont pour l'instant incapables de faire contre-poids à Napoléon, l'épée à la main (gauche... était-il gaucher, droitier, gaucher contrarié - ce qui expliquerait sa désastreuse écriture, ou ambidextre, le mystère ne semble pas encore avoir été élucidé...).
Le recours à l'image du Tapecu peut laisser aussi à penser que tous ces hauts personnages se font fesser tels de vilains garnements !
En arrière-plan Wellington « remet une bourse pleine » à un piquier (ou lancier) Cosaque, « en lui ordonnant d'aller au secours des souverains dont la coalition ne suffit pas à projeter Bonaparte en l'air ».
Napoléon est ici figuré comme celui qui l'emporte, ses adversaires ne faisant pas le poids face à lui : « Ces messieurs [...] ne connaissent pas le jeu », déclare-t-il. « Le jeu » devant être entendu comme celui de la guerre [29].
Mais, le 25 mars, l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et la Prusse, refusant toute négociation, signeront un nouveau traité d'alliance et lèveront des troupes pour mettre Napoléon hors d'état de nuire. En moins de trois mois et demi, cette 7ème coalition (dont l'Angleterre est le principal bailleur de fonds) poussera Napoléon à abdiquer... (et Louis XVIII sera réinstaller sur le trône de France - Seconde Restauration) !
[29] Philippe de Carbonnières, La Grande armée de papier. Caricatures napoléoniennes, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2015, p. 164.
On trouve dans la collection De Vinck ( Un siècle d'histoire de la France par l'estampe, 1770-1871) une autre estampe pro-napoléonienne et anti-royaliste intituléeLa Bascule, non datée, mais très certainement publiée au début des Cents jours, où l'Aigle impérial qui a retrouvé sa couronne foudroie Louis XVIII. Napoléon dominant et rayonnant est comme remonté sur son trône, tandis que le roi déséquilibré bascule de tout son poids.
Anonyme, La Bascule, datée de la période dite des Cent jours
gravure à l'eau-forte, coloriée, dimension 240 x 310 cm, Collection De Vinck
Source de l'image : Gallica-BnF : Ici
La Balançoire (à nacelle) :
La Balançoire est le titre de la seconde estampe satirique (semble-t-il toujours pro-napoléonienne) réalisée par Jean-Baptiste Gautier sur le thème du balancement, mettant Napoléon de retour de l'île d'Elbe à la manœuvre.
(La date mentionnée au bas de l'estampe, à côté du titre, est certes 1814, mais elle l'a été par De Vinck qui collectionnait ces documents et qui a très certainement commis une erreur de datation. Il a également indiqué les noms où pays des personnages).
Jean-Baptiste Gautier, La Balançoire, mai 1815, dimensions : 303 x 233 mm
Origine : Collection De Vinck, Un Siècle d'histoire de France par l'estampe
Eau-forte coloriée, dépôt 31 mai 1815, dimensions : 310 x 239 mm
Source de l'image : The British Museum et Musée Carnavalet Paris
Dans une grande balançoire de fête foraine, un « bateau à bascule », ou encore « une balançoire gondole » [30], sont réunis l'ensemble des généraux des forces coalisées qui avaient en 1814 poussé Napoléon à abdiquer (et qui formeront en urgence une 7ème coalition).
- tout en haut, debout, son panache dépassant de la traverse, Alexandre 1er, Tsar de Russie dit : « Comme je suis elevée [sic] » (une probable allusion, selon Philippe de Charbonnières, « à la vanité de cet aristocrate, complice de l'assassinat de son propre père, qui se croyait un grand stratège, mais qui de fait exerçait une sorte d'ascendant sur les autres membres de la coalition ») ;
- Face à lui, debout et de dos, s'agrippant aux cordes, Blücher (Prusse) : « allons toujours » ;
- Entre eux est assis Charles Philippe Schwarzenberg (Autriche) qui fronce les sourcils : « Je suis Etourdi », avec à ses côtés, de profil, Wellington disant d'un air sombre : « cela ne va pas trop vite ».
Louis XVIII est positionné tout en bas, il se tourne disant : « Qu'avais-je besoin de m'embarquer ».
Tous les occupants du bateau-balançoire sont recouverts d'un filet de pêche. Ils sont comme piégés par Napoléon, pris dans ses rets. Le « petit caporal » (surnom affectueux que lui avaient donné ses soldats) tient à deux mains la corde permettant de mettre en mouvement la nacelle. S'apprêtant à la tirer fermement, il dit : « Comme je les fais aller». Une formule qui, selon Philippe de Carbonnières, relèverait du registre scatologique, le sens dealler pouvant être physiologique, au moins depuisLe Malade imaginaire de Molière (Acte I, scène I). Une « Hypothèse de surcroît renforcée par la position [du personnage] de dos, et dont le derrière se trouve juste au-dessus de la tête de Louis XVIII » [31].
Napoléon est ici représenté comme le maître du jeu. Un jeu dans lequel les opposants embarqués semblent impuissants, totalement à la merci de son bon vouloir et des tangages qu'il décidera de leur imposer. La plupart s'agrippent aux cordages pour se maintenir debout et ne pas basculer...
« Le propos, note encore Philippe de Carbonnières,reste le même [que celui du Tapecu] : l'impuissance suggérée, désirée, des ennemis de Napoléon » et la totale dépendance de Louis XVIII à des forces venues de l'étranger [32].
Une caricature qui prend le parti de Napoléon, mais qui semble plus être une illustration de circonstance. On doit à son auteur, Jean-Baptiste Gautier (ou selon les signatures Gauthier, ou Gautier l'Aîné) d'autres caricatures que l'on pourrait qualifier d'anti-napoléoniennes, datées elles aussi de 1815 (mais postérieures à son abdication), telles que « Le Tyran démasqué » (disponible sur Gallica-BnF, Ici) et « Bon a part » (une estampe scatologique où un Napoléon fessu est assis, culotte baissée, sur un pot de chambre entouré des représentants des forces coalisées qui l'ont vaincu. Cf. « Jeu des quatre coins »).
[30] Cf. Henry-René D'Allemagne, Récréations et Passe-temps, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1906, p. 330 (Cinquième Partie : « La Balançoire », pp. 320-337).
[31] Philippe de Carbonnières, La Grande armée de papier. Caricatures napoléoniennes, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2015, p. 166.
[32] Ibidem.
Playing See Saw (1801) :
Les caricaturistes britanniques furent les premiers à recourir à le métaphore de la balançoire et ce dès 1801, avec cette estampe de Georges Moutard Woodward, où Napoléon Bonaparte et John Bull (représentant l'Angleterre) négocient en jouant à « See Saw » (balançoire à bascule).
Georges Moutard Woodward, Negociation See Saw, Londres, Piercy Roberts, Vers 1801
Dimensions : 347 x 243 mm — Source de l'image : The British Museum
La planche sur laquelle sont assis Napoléon et John Bull porte inscrit : Peace of War, elle repose en équilibre sur un rocher qui émerge de la mer (sans doute la Manche), où est écrit : Negociation Rock. La caricature fait très certainement référence aux négociations préliminaires de 1801-1802 qui aboutirent au Traité d'Amiens (1802). En effet, sur une des estampes publiées et retrouvées est mentionné en filigramme la date de 1801 (1802 sur d'autres reproductions).
Napoléon juvénile et souriant (malicieusement ?) ergote sur ce jeu de va-et-vient : « There Johnny - now I'm down and you are up - then I go up and you go down Johnny - so we go on ». Ce à quoi John Bull renfrogné réplique : « I wish you would settle it one way or other - for if you keep bumping me up and down in this manner I shall be ruined in Diachilem Plaister ».
Les deux joueurs s'interpellent, vont-ils continuer à monter et descendre, alternant des positions de force et de faiblesse, continuer à se faire la guerre ou réussir à s'entendre pour restaurer la paix ? Johnny, comme l'interpelle le jeune Bonaparte (qui semble goûter au jeu), n'apprécie guère, lui, de se faire ainsi cogner de haut en bas ( bumping me up and down).
Ci-dessous trois autres caricatures recourant à la métaphore de la balançoire à bascule, un jeu souvent utilisé par les caricaturistes britanniques pour souligner la recherche d'une position d'équilibre politique, un peu à la manière d'une balance pesant le pour et le contre.
W.illiam Holland, See-Saw, Londres, septembre 1804
dimensions 233 x 323 mm — Source de l'image : Bodleian Libraries
David Hess (sous le pseudonyme de Gillray Junior), 1802, The Political See = Saw
Dimensions : 245 x 202 mm — Source Gallica-BnF
Selon une source allemande, cette dernière caricature doit être attribuée à David Hess qui l'a publiée en Angleterre sous le nom de Gillray junior (un clin d'œil à James Gillray ?) afin de contourner la censure.
Elle a été légendé en deux langues et « publiée après la "consulta" de la République cisalpine tenue à Lyon en janvier 1802 [elle] fait allusion à la politique de Bonaparte à Milan : le personnage vêtu de noir symbolise le patriciat et le clergé de la vieille cité, l'autre l'esprit jacobin nouveau. » (sans doute le général Murat qui commandait alors l'armée d'Italie)
Bonaparte, un pied posé sur le Valais (Wallis en allemand) s'amuse à faire basculer sur son index les deux personnages, affublés de nez qui semblent s'allonger...
Sur la planche de la « balançoire » est écrit : Hodie mihi, cras tibi (« Aujourd'hui moi, demain toi »).
« La République cisalpine, première création politique de Bonaparte (1797), avait été rétablie par lui dès son arrivée à Milan, le 3 juin 1800. Elle était divisée en 12 départements [...] un projet de constitution (calqué sur la constitution consulaire, mais d'esprit plus autoritaire) [fut élaboré] et approuvé par la "consulta" provisoire (1801). La "consulta" extraordinaire tenue à Lyon en janvier 1802 accepta facilement la nouvelle constitution. Murat, qui commandait l'armée d'Italie, avait surveillé la nomination des députés, choisis riches et bien pensants. - En 1801, le Valais s'était séparé de la Confédération helvétique pour former une république particulière sous la protection de Bonaparte. »
(Extraits empruntés à la notice accompagnant cette estampe réalisée par Data-BnF, en cliquant Ici)
Le Piège à goélands (Gull Trap) :
« Representation of the ye Gull Trap - & ye principal Actors in ye news Farce call'd ye Hoax !
- lately perform'd witg great eclat on ye stock'Xchange »
George Cruikshank, publié par Hannah Humphrey, Avril 1814,
Dimensions 251 x 355 mm — Source de l'image : The British Museum
Estampe satirique réalisée par George Cruikshank et publiée le 6 avril 1814 : La longue planche de cette balançoire très rudimentaire est posée sur une pierre symbolisant la Bourse.
Tout en haut, dominant la scène, l'amiral de la Royal Navy, Lord Cochrane, surnommé Le Loup des mers, tire sur Napoléon avec un gros tromblon. Le coq posé sur son bicorne chante : Cock a doodle doo (Apprend à faire cocorico). Buonaparte, mortellement atteint par un boulet, gît au sol dans un giclée sanglante. Dans une ultime convulsion, il s'écrit : « Oh ! by Gar I am Kill'd Again ».
Dans les volutes de fumées (ou les nuages) est incrit : «Extraordinary News !!!!! A French Officier of high Rank ! & distinction ! decronated [sic] ! with Laurels ! & the White Cockade ! Just arrived !! from y Continent Bringing the Glorious Tidings of the certain Death of !!! Bounaparte !!! — !!!! & the hoisting of ye white Flag at Paris &c, &c, &c &c,&c. »
Pour plus de détails concernant la description de cette estampe, cf. The British Museum : Ici.
Napoleon spuskaet zmeja (1813)
(Napoléon tire à lui le cerf-volant)
Napoleon spuskaet zmeja (Napoléon tire à lui le cerf-volant), Ivan Ivanovitch Terebenev (1750-1815), publiée à Saint-Pétersbourg, dcembre 1813
Dimensions : 195 x 288 mm — Source de l'image : The British Museum
Traduction anglaise du texte (en cyrillique) figurant en légende de l'image :
Nap : « Pull, pull ! Let out the string. Ah ! It's been cut ! My kite is not rising »
Confederation of the Rhine : « It's your own fault, glueing together such a horrible monster of a kite, you control it as you wish, but I'm your obedient servant. »
Nap : « I was hoping for a favorable wind and a big ball of string and you, my helpers. »
Old Guard : « Woe is me ! I schall be serving your stupidities for a long time ! »
Young Guard : « You received us ; condemned to amuse ourselves with the kite : but what's the game ? It's real penal servitude ! »
Une caricature russe réalisée en décembre 1813 par Ivan Ivanovitch Terebenev (principal imagier anti-napoléonien) et rédigée en caractères cyrilliques, ridiculise un Napoléon à forte bedaine et au faciès colérique tentant vainement de faire décoller un cerf-volant sur lequel est inscrit : « Bulletin / Projets du grand Génie ».
Un grognard barbu de la Vieille Garde (mention figurant à côté du plumet du bonnet à poil), plutôt mal en point avec sa jambe de bois, et deux autres grenadiers de la Jeune Garde impériale s'efforcent d'aider leur commandant en chef qui « espère un vent favorable, une grosse pelote de ficelle et une aide » efficace (comme indiqué dans la « conversation » figurant sous l'image). Un coup-de-main apportée à contre-cœur, que ce soit par la Vieille Garde qui bougonne en avoir assez pour son « malheur » de « servir longtemps vos bêtises », et par la Jeune Garde qui apprécie peu d'être « condamnée à s'amuser avec ce cerf-volant » inutile, un « jeu » considéré une véritable punition (une « servitude pénale »).
Un cerf-volant bien endommagé, qui ne risque pas de s'élever dans les airs. La corde est coupée par une paire de ciseaux maniée par une main portant écrit année 1812 (rappelant qu'en novembre-décembre 1812, les troupes napoléoniennes, en déroute, avaient subi de lourdes pertes en franchissant la Bérézina, une débâcle qui avait mis un terme à la désastreuse Campagne de Russie).
La toile, quant à elle, est transpercée par une flèche tenue d'une main ferme sur laquelle est écrit : année 1813 (en septembre 1813, les cosaques, alliés à l'Autriche et à la Prusse, avaient contraint les troupes napoléoniennes à battre en retraite et franchissaient le Rhin à leur poursuite).
En arrière, un soldat portant un shako orné d'un pompon, bras croisés, observe la scène en coin, au-dessus on peut lire : « Confédération du Rhin » (traité d'alliance, signé le 12 juillet 1806, entre l'Empire français et seize princes allemands. En retour, les États confédérés s'engageaient à fournir un contingent de troupes à la France en cas de guerre. Elle sera dissoute par les Alliés le 4 novembre 1813.)
Bibliographie :
- Henry-René d'Allemagne, Sports et jeux d'adresse, Paris, Hachette, 1903, p. 38. Téléchargeable sur Gallica BnF Ici.
- Henry-René D'Allemagne, Récréations et Passe-temps, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1906. Téléchargeable sur Gallica BnF Ici.
- Jeux de l'Enfance et de la Jeunesse, Non daté, Paris, Chez Delarue, p. 14. Source Gallica BnF, Ici.
- Mark Bryant, Napoléon en caricatures, Paris, Hugo et Cie, 2010 (1ère édition, Londres, 2009).
- Carbonnières (Philippe de), La Grande armée de papier. Caricatures napoléoniennes, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 201.
- Coquelle Pierre, Napoléon et L'Angleterre, 1803-1813. D'après des documents inédits, des archives des affaires étrangères, des archives nationales et du Foreign Office , Paris, Plon, 1904. Disponible sur Gallica-BnF : Ici.
- Dupuy Pascal, « La légende noire de Napoléon ou les images à l'assaut du mythe », Revue d'Histoire Culturelle de l'Europe, Texte intégral Disponible sur le site de l'Université de Caen Normandie en cliquant Ici.
- Grand-Carteret John, Napoléon en images. Estampes anglaises (portraits et caricatures), avec 130 reproductions d'après les originaux , Paris, Librairie de Firmin-Didiot et Cie, 1895. Gallica-BnF, en cliquant Ici.
- Jouve Michel, « Innovation et influence de la satire graphique anglaise au XVIIIe siècle », in Philippe Régnier, Raimund Rütten, Ruth Jung et Gerhard Schneider (sous la direction de), La Caricature entre République et censure. L'imagerie satirique en France de 1830 à 1880 : un discours e résistance ?, Lyon, PUL, 1996, pp. 22-28. Texte intégral disponible en ligne sur le site des Presses Universitaires de Lyon, Ici.
- Lentz Thierry, « 22 juin 1815 : l'avènement de Napoléon II ? », Disponible sur le site Napoleon.org Ici.
- Ouvrard R., « Napoléon à travers les caricatures 1799-1806 ». Publié le 5 mai 2021 sur le Site caricatures&caricature, en cliquant Ici.
- Peltzer Marina, « Diversité et traits communs de l'imagerie antinapoléonienne en Europe », in Philippe Régnier, Raimund Rütten, Ruth Jung et Gerhard Schneider (sous la direction de), La Caricature entre République et censure. L'imagerie satirique en France de 1830 à 1880 : un discours e résistance ?, Lyon, PUL, 1996, pp. 54-69. Texte intégral disponible en ligne sur le site des Presses Universitaires de Lyon, Ici.
- Perez Stanis, Le Corps du Roi. Incarner l'État de Philippe Auguste à Louis-Philippe , chapitre : « Le corps impérial de Napoléon Ier », Paris, Éditions Perrin, 2018, pp. 331-356.
- Roux Antoine, « La chute de Napoléon par la caricature ». Une incontournable vidéo, disponible sur Gallica-BnF, en cliquant Ici (à voir absolument).
- Scheffler Sabine et Ernst, avec l'aide de Gerd Unverfetern, So zerstieben geträumte Weltreiche. Napoleon 1er in der deutschen Karikatur , 1995.
- Surel Jeannine, « La première image de John Bull, bourgeois radical, Anglais loyaliste (1779-1815) », in Le Mouvement Social, n° 106, janvier-mars 1979, Paris, Les éditions ouvrières, pp. 66-84. Disponible sur Gallica-BnF : Ici.
- Tulard Jean, L'Anti-Napoléon. La légende noire de l'Empereur, Paris, Julliard, collection « Archives », 1964.
- Waresquiel Emmanuel de, « Talleyrand, une vision européenne », publié sur Napoleon.org : Ici.
- Le site d'histoire de la Fondation Napoléon : Napoleon.org
- L'Empereur détrôné. 35 caricatures françaises (1813-1814)
- Un incontournable ouvrage en anglais, disponible en intégralité au format pdf, publié en 1911 en 2 volumes : Alexander Meyrick Broadley, John Holland Rose, Napoleon in caricature 1795-1821, Volume 1, en cliquant Ici. Ou visualisable Ici.
Volume 2, visualisable Ici !
Annexes :
Anonyme, Vers 1815, Eau-forte, colorée à la main — taille 26 x 20 cm
L'auteur de cette caricature s'est inspiré de la figure d'Ugolin,
telle que Michel-Ange l'a peinte sur la fresque de l'autel de la Chapelle Sixtine, en puisant dans « l'Enfer » de la Divine Comédie de Dante.
(Cf. L'Empereur détrôné. 35 caricatures françaises (1813-1814)
Source de l'image : Wikipmedia Commons
The Corsican-Pest ; or Belzebub going to Supper
(La Peste Corse ou Belzébuth se préparant à dîner)
James Gillray, 6 octobre 1803 — Source de l'image : Gallica-BnF
Intégralité du texte disponible Ici !