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Publié par Frédéric Baillette

    Le 16 juin 1878, le journal satirique Le Grelot consacre sa couverture à « Une partie de Volant » transfrontalière entre, à gauche, la France Républicaine, représentée par Marianne (coiffée du bonnet phrygien et tenant fermement une raquette au cordage « sérigraphié » Suffrage universel [1]), et, à droite, la Belgique, (sans doute) représentée par Princesse Louise Marie Amélie, une anticonformiste de tout juste 20 ans, d’une « grande beauté » !

« Une partie de volant, par pépin », Le Grelot, 16 juin 1878
© Universtätbibliothek Heildelberg


    Les deux blondes, à la longue chevelure flottante, se plaisent à se renvoyer, par-dessus leur commune frontière, un pantin osseux, desséché, quasi cacochyme, ou plutôt frappent avec entrain, à la manière de lavandières (raquettes empoignées à pleine main, tel un battoir), le cul d’un pèlerin racorni, en bien grotesque posture !
    La tonicité des juvéniles beautés est surlignée par un corsage aux fines bretelles, mettant en valeur le potelé des bras, une sorte de corset de jour, aplatissant les ventres, affinant les tailles, tout en accentuant cambrures et courbes féminines (creusement des reins, rejet de la poitrine vers l’avant).
    Quant au piteux et décharné « volant », souffre-douleur de cette jeunesse rayonnante, il apparaît comme suspendu dans un entre-deux incertain, s’attendant à tout moment à s’écraser nez-le-premier.

Portrait à charge du Basile

    Le bougre, a la crinière aussi défraîchie que le bouquet de plumes planté dans son derrière, semble se préparer à l’inéluctable chute. Sa main osseuse anticipe l’écrabouillage ou un plongeon dans le néant, dans un gouffre d’obscurité (l’ombre de Marianne d’un noir d’encre), pour disparaître à tout jamais, englouti par d'infernales entrailles ?

    Pour comprendre cette illustration, publiée vers la fin du XIXème siècle en une d’un hebdomadaire viscéralement anticlérical, il faut aller à la page 3 du canard [2], pour trouver un court texte « explicatif » débutant par un échange verbal, rythmé par les frappes :
    « À toi le basile.
    – Merci bien, savez-vous, tu peux le garder, ma belle.
    – Je n’en veux point.
    – Ni moi non plus, ça tient trop de place,
got verdomme » [« Bon Dieu »]

    Mais qui est donc ce « basile », ce grisâtre et indésiré personnage que les championnes s'appliquent à frapper et à maintenir fesses en l’air, comme pour faire durer correction et amusement ? Et pourquoi le bonhomme prend-t-il une si sévère et soutenue volée ?


D’où viens-tu Basile ?

    Pour faire bref (avant de creuser plus profond), « le basile » représente la Confrérie (honnie) des Jésuites et, plus largement, le «Parti clérical » ou « Parti prêtre ». Un « Parti noir » (Anatole France, 1904), accusé d'ingérences pernicieuses et néfastes dans les affaires de l'État et l'Enseignement par tous les anti-calottins, et autres curophages acharnés.

    Mais pourquoi Basile ?

    La source de cette antonomase [3] est (très certainement) à chercher du côté du Barbier de Séville, où, en 1775, Beaumarchais met en scène, à côté du valet Figaro, le personnage de Don Basilio (ou Don Bazile, puis Basile). Un homme d’église, représenté avec « chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau » (selon la description proposée par Beaumarchais). Un individu perfide, fourbe, cynique, intriguant et médisant, essentiellement guidé par ses intérêts (et l’appât de l’or). Ce second rôle, que l’on retrouvera dans Le Mariage de Figaro (1784), fit alors grande impression sur le public.

    Au XIXème siècle, « un Basile en vint à désigner un calomniateur  “à la fois sot et mercenaire” ».

    Le 16 juin 1827, le journal littéraire Le Figaro, dont le nouveau repreneur a les Jésuites « en ligne de mire » [4], illustrera la « vignette » surplombant son titre d’une lithographie représentant Figaro menaçant d’une « volée de bois vert » un Basile ensoutané, bouche bée et mains croisées sur la poitrine [5]. À partir du 27 juillet 1830 (et jusqu’au 14 août), le sous-titre s’enrichira d’un Basile « FAISEUR DE COUP D’ÉTAT » (voir reproductions ci-dessous). L'ajout visait explicitement Charles X, alors roi de France et de Navarre, un monarque que la presse d’opposition avait rapidement caricaturé en « Roi-jésuite », pour sa dévotion exacerbée et son assujettissement au « parti prêtre » [6] et, plus particulièrement, à la congrégation des Jésuites, pourtant alors « illicite », « non autorisée », et considérée, par les rédacteurs, du Figaro, comme «une milice particulière du Pape » [7].


    En accusant Basile de fomenter un coup d'état, le Figaro s’élevait contre un roi « parjure » qui venait notamment de dissous la Chambre des députés et de suspendre la liberté de la presse ! [8] Des décisions qui mettront le feu aux poudres, entraînant trois jours d’émeutes insurrectionnelles, aux cris de «À bas les ministres ! À bas les jésuites ». Ces « Trois glorieuses » (27, 28 et 29 juillet 1830) accoucheront d’un nouveau régime (« Monarchie de juillet »), entraîneront l’exil de Charles X et son remplacement, le 9 août, par Louis-Philippe d’Orléans, nouveau « roi » des français.

    La semaine suivant cette « Révolution de juillet », le 14 août, le Figaro modifiera sa vignette : désormais Figaro, canne levée, chasse Basile qui s’enfuit sur fond d’église (voir illustration ci-dessus). Deux jours après, Charles X, roi-dévot, quittait la France pour l’Angleterre, première étape d’un long exil.

    Dès lors, les lecteurs du Figaro associeront définitivement la figure de Basile à Charles X, qui était habituellement portraituré en Jésuite (que ce soit sur des pièces de monnaies falsifiées, des chansons parodiques, des pamphlets ou des lithographies satiriques) [9]. Ce d’autant que Basile, du grec basileus, signifie « roi » ou « souverain ».

    Quasiment trois ans plus tard, le 9 septembre 1833, le Figaro changera radicalement sa « vignette ». Basile disparaît de « ce frontispice, qui est non seulement une enseigne, mais aussi un pilori », comme l’écrit son rédacteur qui poursuit : «Figaro fustigeant Basile […]c’était au temps des jésuites à robe longue […],un ennemi désormais terrassé, évaporé, volatilisé ». À quoi bon « poursuivre la lutte […] contre un ennemi vaincu et fuyant ». L’éditorialiste désigne alors explicitement la cible qui au travers de la caricature de Basile été visée : « À ce masque hébété, à cette lèvre paresseuse, à ce nez chevalin, il fut facile de reconnaître la personification de la légitimité loyoliste » : soit Charles X considéré comme un disciple de Loyola (le père fondateur de la Compagnie) [10].

Daumier, Le Charivari, 14 décembre 1850

    Pour les Républicains et les anticléricalisme, le Basile va ainsi devenir le « type immortel du jésuite ». En 1850 (le 14 décembre), Honoré Daumier gravera la caricature-type de ce personnage abhorré des anticléricaux dans Le Charivari, le plus ancien des quotidiens satiriques illustré, fondé en 1832 (voir reproduction ci-contre). Désormais, Basile, le Jésuite, sera immédiatement identifiable à « un grand chapeau à longues ailes », aux bords roulés se relevant en deux cornes noires [11], une coiffe empruntée aux Jésuites d’Espagne qu’en 1767, Charles III avait chassé du royaume « sans restriction et sans retour » [12] !

    Dans son Voyage en Espagne : Tras los montes, publié en 1845, Théophile Gautier, impressionné par l’étrangeté du fantastique chapeau porté par un prêtre, en donnera cette ubuesque description : « Son aspect me parut assez grotesque […] ; mais la caricature du Basile de Beaumarchais me revint involontairement en mémoire. Figurez-vous une soutane noire, le manteau de même couleur, et pour couronner le tout, un immense, un prodigieux, un phénoménal, un hyperbolique et titanique chapeau, dont aucune épithète, pour boursouflée et gigantesque qu’elle soit, ne peut donner même une légère idée approximative. Ce chapeau a pour le moins trois pieds de long ; les bords sont roulés en dessus, et font devant et derrière la tête une espèce de toit horizontal. Il est difficile d’inventer une forme plus baroque et plus fantastique […]. »

    La figure du Basile au faciès émacié, au menton fuyant, affublé d’un appendice nasal cabossé et ridiculisé par un couvre-chef outrancièrement démesuré, sera dès lors adoptée par tous les caricaturistes dans leurs satires du jésuitisme, et leurs représentations de l’affrontement entre un « parti clérical » obscurantiste et un « parti libéral » éclairant le peuple.

 

« La liberté éclairant le monde », par Pépin, Le Grelot, 28 juillet 1878
© Universtätbibliothek Heildelberg


« Parti clérical » contre « Parti libéral »

    Le Basile désigne ainsi la société religieuse la plus détestée des « laïcards » : l’Ordre des Jésuites, perçu comme la frange la plus intransigeante de l’Église catholique. Selon Castagny (1869), ils « forment en quelque sorte le grand état-major de l’armée cléricale » [13].

    Pour les « ennemis de la calotte », le Jésuite, cet «homme en noir », immédiatement identifiable à son tricorne [14], à son habit de tristesse et à la sècheresse de son corps, « apparaît comme l’incarnation d’une piété excessive » [15]. Il est l’ennemi prioritaire, à combattre, à débusquer, à extirper et expulser du corps social.

    Tout au long du XIXème siècle et de manière exacerbée à partir de la Révolution Française (1870), la Compagnie de Jésus focalisera et catalysera les exécrations des Républicains radicaux, des « libres penseurs » militants et des anarchistes, qui s’acharnent à dénoncer la mainmise des « cléricafards » sur l’Enseignement. Les Jésuites deviennent l’ennemi privilégié, la « bête noire », des « satires graphiques ». Caricaturistes et pamphlétaires les animalisent, les « insectisent », les assimilant à des corbeaux, des cafards, des nuisibles plus dangereux que le phylloxéra, donc à éliminer, pour le bien de la Nation.

    D'autant que malgré les expulsions à répétition qui frappent leur congrégation, ils s'incrustent, se dissimulent, infiltrent la société, se réorganisent en changeant de « robe »... Les « jésuites à robe longue » [16] qui avaient été chassés étaient fortement soupçonnés de chercher à se fondre dans la société en changeant d’habits. Ce sont ces insaisissables «jésuites à robe courte » [17], ces « revenants » (Michelet), prêtres laïques ou séculiers secrètement affiliés à la congrégation des jésuites, au « Parti de la mort » (selon l'expression de Michelet - 1843), qu’il convient désormais de démasquer et de traquer [18].
    Pour Léo Taxil (pseudonyme d'un journaliste-écrivain rageusement anticlérical, vouant une « haine éternelle » au clergé qu'il charge des pires vices et déviances sexuelles), ils sont tels des punaises de lit, qui « s'aplatissent et se glissent dans les fentes des murs. Ils disparaissent. [...], blottis au fond des trous [...] , tapis dans les encoignures où l'on ne peut les atteindre. Ils attendent patiemment dans l'ombre le moment où ils pourront quitter sans danger leurs retraites, se remettre à piquer, à boire le sang de leurs victimes . » [19] Rien d'étonnant qu'une couverture de Grelot (du 14 mars 1880) représente une Marianne pulvérisant, par « mesure de propreté », de l'insecticide sur une ribambelle de ces indécrottables pompeurs de sang qui pullulent dans et sous sa couche, de cette fourmillante vermine vampirique !
 

« Mesure de propreté », par Darré Le Grelot , 14 mars 1880
© Universtätbibliothek Heildelberg

   
Aux racines de l'anti-jésuitisme

    La détestation des jésuites est ancienne, quasi concomitante à la création de la Société, en 1540 par Ignace de Loyola.
    Rapidement après sa fondation, la « terrible compagnie de Jésus » [20] fut perçue, par nombre de ses détracteurs, comme une menace tentaculaire. Sa réussite, son expansion planétaire, son rayonnement spirituel, son influence sur les élites, ont très vite suscité méfiances et suspicions (et jalousies). Dès lors, l’Ordre sera l’objet de récurrentes et violentes diatribes, de polémiques exacerbées. Cette cristallisation des passions, des ressentiments et des haines, construira, au fil des siècles, le « Mythe Jésuite ». Une « légende noire » s’élaborera, au grès des interdictions, des expulsions et des bannissements, qui frapperont cette congrégation, mais aussi des réhabilitations, des « adaptations » dont elle se montrera capable.

    Les Jésuites seront, tour à tour, accusés, ou tout au moins soupçonnés, de complotisme, d’insubordination, de sédition (avec le clergé, mais aussi avec les royautés et les gouvernements), d’être des défenseurs et des propagandistes de théorie tyrannicides, visant à déstabiliser et s’accaparer le pouvoir. Régulièrement décrits comme « animée d’une volonté de puissance », la Société de Jésus sera dénoncée comme « une machine de pouvoir », mue par un «projet de domination », au service de son seul intérêt [21].
 

« Basile a peur », Daumier, Le Charivari, 9 février 1972
Metropolitan Museum of Art / CC0


    Les Jésuites seront considérés comme de fieffés calomniateurs, des intrigants, des manipulateurs, d’« habiles dissimulateurs », cherchant à influencer les élites, les gangrenant (notamment par le biais de l’enseignement et du préceptorat), manœuvrant et intrigant pour étendre leur emprise sur les souverainetés.
    En 1852, Proudhon écrira dans sa Révolution sociale : « Ce que veulent les jésuites, c'est l'Église dominant l'État, l'Église férulant les rois et les peuples ».

    À partir de la toute fin du XVIème siècle, l’Ordre connaîtra des «bannissements successifs », mais aussi des réhabilitations, des « rétablissements » et des réinstallations.
    Les Jésuites seront notamment chassés du Portugal en 1759 (le 3 novembre), puis, en 1767, ils seront successivement exclus du royaume d'Espagne (Charles III décrétant leur « bannissement universel ») et de France. Un arrêté du Parlement promulguant l' « expulsion sans retour, de tous ses États, la dite société et ses membres publics et secrets » (excepté de ceux qui renonceraient « de bonne foi », devant un juge, à leur « attachement à la société » (un édit royal daté du 1er septembre 1764, les avait déjà pourtant bannis du Royaume de France...).
    Enfin, le 21 juillet 1773, le pape Clément XIV, sous la pression des Cours catholiques d'Europe, en remettra une couche, publiant un « Dominus ac redemptor » qui supprime et abolit la Société de Jésus, anéantit et abroge « tous et chacun de ses offices, fonctions et administrations, maisons, écoles, collèges, retraites, hospices et tous autres lieux qui lui appartiennent de quelques manière que ce soit, et en quelque province, royaume ou État qu'ils soient situés. » [22] Petit souci, Clément XIV, mourra dans la foulée, au terme d'une longue agonie (le bruit courra à travers toute l'Europe qu'il avait été empoisonné par... les jésuites).
    Malgré ces enchaînements de bannissements et d'interdictions, l’Ordre se maintint, les ex-jésuites trouvant refuge à l’étranger (Russie, Prusse), infiltrant d’autres congrégations et confréries ou se réorganisant en de nouvelles communautés, voire sociétés secrètes.
    En 1814 (le 7 août), Pie VII restaurera la Compagnie par la bulle Sollicitudo omnium ecclesiarum ! Une résurrection suivie d'une « Nouvelle » embellie !

    À la Révolution Française (1789-1799), dans la caricature anticléricale qui « milite […] activement pour la destruction de la religion et ses représentants », « la figure du Jésuite surpasse [alors] celle du moine. Maigre, oiseux et bileux, il manipule son monde […], on le soupçonne de vouloir étouffer la Raison. » [23]. Le Jésuite est fantasmé comme « le maître des ténèbres œuvrant dans l’ombre pour étouffer les “Lumières” » [24]. Ce sont des obscurantistes, «hostiles aux Lumières », des « ennemis de la raison humaine » (Voltaire).
    Les adversaires du « Jésuitisme » dénoncent leur austérité, leur cupidité, leur perfidie, leur cruauté et leur obédience (soumission au supérieur). En 1845, M. A. Arnould stigmatisera « l’obéissance passive, règle fondamentale de leur institution, l’obéissance au supérieur qui va jusqu’à faire de l’homme un cadavre » [25]. Cette règle d’obéissance absolue, à la manière d’un cadavre (« Perindè ac cadaver »), étendue à toute chose, est empruntée à un des principaux pères de l’église catholique, Basile de Césarée, dit Basile Le Grand (329-379), connu pour son « principe d’obéissance » aveugle. Le religieux devant être aux mains de ses Supérieurs « comme la hache aux mains du bûcheron » et ce jusqu’à la mort. On peut d’ailleurs penser que le prénom donné par Beaumarchais à son jésuite n’est pas étranger à cette filiation entre l’ascétisme rigoriste prôné par Saint-Basile et la stricte obéissance ignatienne…

 

D’incorrigibles fesseurs et refesseurs

    Au tournant du XVIIème, « l'éducation jésuite », jugée archaïque, est accusée de recourir massivement à des procédés d’éducation « barbares » et « cruels », pour « jésuiter » les enfants [26].

    Dans les collèges qu’ils dirigent, les Recteurs abuseraient des corrections corporelles, jusqu’à l’extrême cruauté, s’en prenant (non sans délectation) à la partie la plus délicate de l’anatomie de leurs pensionnaires, leurs rondes fesses. Ce sont des « fesseurs », des inconditionnels de la « flagellation » fessière, soutenue et cadencée, et plus largement des adeptes de la pédoplégie (pédagogie par les coups).

    En 1912, dans ses Mémoires, intitulées La Flagellation chez les Jésuites, un anonyme règle ses comptes avec les « maîtres-fouetteurs » du collège de Rodez [27]. Les Jésuites y sont accusés d’infliger quasi quotidiennement et systématiquement de « sanglantes » corrections et de se délecter du spectacle.

    Chez les Jésuites, les corrections feraient l’objet de tout un cérémonial. Elles sont appliquées au fouet, instrument qualifié de « médecine spirituelle » [28], ou avec des verges, par un « correcteur » [29]. Tandis que le puni, culotte baissée, est fermement maintenu par un « teneur », le maître-jésuite jouit du spectacle depuis son prêchoir, ou « chaire de vérité » (Voir illustration ci-contre).

    Au milieu du XVIIIème siècle, nombre d’opuscules ou de pamphlets anti-jésuites dénonceront les inhumaines pratiques, les pratiques de bourreaux, de sadiques (teintées de pédophilie), de ces « frères foëtards », de ces « hommes noirs » qui fessent et refessent « les jolis petits, les jolis garçons » (refrain d'une chanson de Pierre-Jean de Béranger, Les Révérends pères, datant de 1819 - texte disponible Ici ).
D'une manière générale, les journaux anticléricaux accusent les enseignants congrégationnistes de « maltraiter les enfants, de les rendre peureux et serviles par l'usage du fouet ou du baton » et « de manière réitérée [...] de commettre des attentats à la pudeur ou des viols sur la personne de leurs élèves. » [30]


Un Grelot qui sonne le glas du Basile

    L’édition du Grelot qui publie cette Partie de volant est datée du 30 juin 1878, soit quelques semaines après la victoire des libéraux Belges (le 11 juin) qui viennent d’obtenir la majorité absolue à la Chambre et au Sénat.
    Les libéraux qui avait fait campagne sur le thème de l’anticléricalisme s’empressèrent alors de relancer une politique de laïcisation de l’instruction publique, les plus radicaux voulant mettre l’Église hors de l’école [31].
    À la grande joie, côté français, de tous ceux, libres penseurs, athées, républicains radicaux, militants anticléricaux, qui luttaient pour une « École sans Dieu », et une société débarrassée de l’influence pernicieuse et invasive du clergé, de la cléricanaille, toutes confessions confondues.

    On peut penser qu’Édouard Pépin (qui réalise cette lithographie) - de son vrai nom Claude Guillaumin, un républicain de gauche, farouchement anticlérical -, s’en est donné à cœur joie pour administrer virtuellement une bonne volée de coups de raquettes à un cureton, un ratichon, un basile, un « idiot » [32], qui ne manquera pas d’être happé par un insondable abîme, lorsqu’il aura fini de recevoir la bastonnade !
    Le Jésuite, ce flagelleur, cet écorcheur, qui fait « fouetter presque tous les jours jusqu’au sang par plaisir, par caprice ou par vengeance » [33], se fait, à son tour, copieusement « fesser », rosser et étriller le cul par une jeunesse vengeresse !

 

« Bientôt plus un endroit pour poser ma tête »
par Daré, Le Grelot, 23 mai 1880, p.3
© Universtätbibliothek Heildelberg


Conclusion de l'entrefilet de la page 3 du Grelot :
    « Et le malheureux reste ainsi, lancé de l'une à l'autre nation, par-dessus la frontière, sans pouvoir s'arrêter dans sa course aérienne, et tremblant de ne toucher terre que pour s'y casser le nez !!... »
    À la satisfaction de tous les bouffeurs de curés !

Notes

[1] Le droit de vote citoyen, inscrit pour la première fois dans la constitution de 1793, avait été rétabli par la 2ème République en 1848. Les femmes en étaient toutefois exclues. Pour nombre d'anticléricaux, qui les jugeaient influençables, elles ne pouvaient voter que pour le « parti du curé ». Elles n'accéderont à ce droit qu’en 1944. Reprendre la lecture.
[2] Toutes les éditions du Grelot, depuis sa création le 9 avril 1871 jusqu’au 31 décembre 1899, sont consultables en ligne et téléchargeables dans leur intégralité sur le site de l’Université d’Heidelberg en cliquant Ici. Reprendre la lecture.
[3] Figure de style consistant à remplacer un nom commun par un nom propre – ici Basile pour jésuite… Reprendre la lecture.
[4] Cf. Bertrand de Sant-Vincent, « Le roman du Figaro : Un vilain petit canard ». Disponible en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[5] Cf. Jean Rime, « Le Figaro-ci, Le Figaro-là. Un exemple de migration transmédiatique entre théâtre, opéra et presse », note 14. Article consultable sur Médias19.org : Ici. Reprendre la lecture.
[6] Expression forgée par le Comte de Montlosier dans son ouvrage Les Jésuites, les congrégations et le parti prêtre en 1827, Paris, Éditeurs Ambroise Dupont et Cie, 1828, 2ème édition. Consultable en ligne en cliquant Ici. Reprendre la lecture.
[7] « Le retour de Basile », Le Figaro, 7 novembre 1827, p. 2. L’illustration représentant Basile, bras croisés, à côté d’un Figaro menaçant, apparue dans l’édition du 16 juin 1827, avait disparu le 26 juin 1827 pour être remplacée par un Figaro esseulé. Elle réapparaît le 7 novembre 1827 et ce, sans discontinuer, jusqu’au 21 mars 1830, où elle sera modifiée ? Figaro passant à gauche et armant un coup de canne pour frapper un Basile au visage anguleux, portant un chapeau à larges bords ! Reprendre la lecture.
[8] Voir de Fabrice Erre, « Le “Roi-Jésuite” et le “Roi-Poire” : la prolifération d’ “espiègleries”. Séditieuses contre Charles X et Louis-Philippe (1826-1835) », in Romantisme, n° 150, janvier 2010, pp. 109-127. Article consultable en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[9] Cf. de Sheryl Kroen, « La théâtralité festive : la Restauration et l’héritage démocratique de la Révolution française », in Nathalie Scholz et Christiane Schoër (sous la direction de), Représentation et pouvoir. La politique symbolique en France (1789-1830) , Presses Universitaires de Rennes, 2007. Consultable en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[10] « Vignette », Figaro, 9 septembre 1833, p. 1. Reprendre la lecture.
[11] En 1978, dans une intervention télévisée, le président Valéry Giscard d'Estaing fera ainsi encore référence aux calomniateurs, « ces gens qui portent les cornes noires du chapeau de Basile ». Vidéo consultable Ici. Reprendre la lecture.
[12] Cf. M.A. Arnould, Les Jésuites depuis leur origine jusqu’à nos jours. Histoire, types, mœurs, mystères , Tome second, Paris, Michel Lévy Frères, Éditeurs, 1846. Disponible en ligne en cliquant Ici. Reprendre la lecture.
[13] Castagnary, « Les Jésuites devant la loi française », 1869. Reprendre la lecture.
[14] Dans la caricature fin XVIIIème-début XIXème siècle, le tricorne sera remplacé par « le grand chapeau à longues ailes », caractéristique des confréries jésuitiques d’Espagne. Reprendre la lecture.
[15] Fabrice Erre, « Le “Roi-jésuite” et le “Roi-poire” : la prolifération d’“espiègleries” », op.cit. Consultable en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[16] Le terme robe qui désignait les ecclésiastiques (et permettait de distinguer sous l'Ancien régime, le clergé de la noblesse) sera ensuite remplacé par celui de soutane. Reprendre la lecture.
[17] Vers 1840, « jésuite en robe courte » désignait un laïque, un prêtre séculier (n’appartenant à aucun ordre ou institut religieux), supposé secrètement affilié à la Société de Jésus ; « et par dénigrement, celui qui sans être affilié à cet Ordre est censé adopter les opinions, les maximes que l’on attribue aux jésuites » (source : Académie Française). L’expression était également employée pour désigner ironiquement un partisan des jésuites. Reprendre la lecture.
[18] Cf. Michel Leroy, « Masques et métamorphoses », in Le Mythe jésuite, de Bérenger à Michelet, Paris, PUF, 1992, pp. 189-257. Reprendre la lecture.
[19] Léo Taxil (1854-1907). Propos énoncés lors d'une de ses conférences à succès, cités par Philippe Rocher, « Des corbeaux au service d'un complot. La caricature de l'éducation jésuite au XIXème siècle (1814-1914) », in Dominique Avon (sous la direction de), La Caricature au risque des autorités politiques et religieuses, Presses Universitaires de Rennes, p. 54. Texte intégral disponible Ici. Reprendre la lecture.
[20] M.A. Arnould, op. cit. Reprendre la lecture.
[21] Cf. Michel Leroy, Le Mythe jésuite. De Béranger à Michelet, Paris, PUF, 1992. Reprendre la lecture.
[22] L'intégralité de ce bref papal est reprit par M.A. Arnould, dans son ouvrage datant de 1846, Les Jésuites depuis leur origine jusqu'à nos jours. Histoires, types, mœurs, mystères , Tome second, Paris Michel Lévy frères, Éditeurs, p. 299. Disponible en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[23] Guillaume Doizy et Jean-Bernard Lalaux, À bas la Calotte. La caricature anticléricale et la Séparation des Églises et de l'État, Paris, Éditions Alternatives, 2005, p. 13. Reprendre la lecture.
[24] Dans presse satirique du XIXème, les Jésuites, accusés de vouloir « éteindre » les Lumières et les idéaux de la Révolution française, seront assimilés à des « éteignoirs » (ustensiles en forme de cône creux permettant d’éteindre les chandelles, les bougies et les lanternes). Reprendre la lecture.
[25] M.A. Arnould, op. cit., p. IV. Reprendre la lecture.
[26] Cf. Philippe Rocher, op. cit. Reprendre la lecture.
[27] La Flagellation chez les Jésuites. Mémoires historiques sur l’orbilianisme. Avec la relation d'un meurtre tout à fait singulier commis dans un collège de Paris, en 1759 , Paris, H. Daragon Éditeur, 1912, Consultable en ligne Ici. Reprendre la lecture.
[28] « Le correcteur de s’en prend aux fesses que parce qu’il les regarde comme le canal ou le véhicule le plus propre à transmettre promptement et fidèlement à l’esprit tout le bien qu’on a en vue de lui faire passer. » In La Flagellation chez les Jésuites..., op. cit., p. 58 ou Ici. Reprendre la lecture.
[29] La punition qui peut aller jusqu’à plus de cents coups de fouet est administrée par un « correcteur », le plus souvent l’homme à tout-faire de l’établissement, jusqu’au plus basse besognes, prompt à exécuter les ordres des Supérieurs avec zèle. À défaut, c’est le cordonnier ou le savetier du village, habitué à marteler le « cuir » qui est appelé par « ces marchands de latin » (et rémunéré pour cela). Reprendre la lecture.
[30] Michiel Dixmier, Jacqueline Lalouette et Didier Pasamonik, La République et l'Église. Images d'une querelle, Paris, Éditions de La Martinière, 2005, p. 30 et 96. Reprendre la lecture.
[31] Cf. Luc Courtois, « “Des écoles sans Dieu et des maîtres sans foi, délivrez-nous Seigneur”. Les évêques belges et la première guerre scolaire en Belgique (1879-1884), in Jean-François Condette (sous la direction de), Education, religion, laïcité (XVIe-XXe siècle), Lille, IRISS, 2010, pp. 355-362. Article consultable en ligne : Ici. Reprendre la lecture.
[32] Selon Maurice Gillet, bien avant Beaumarchais, Basile aurait été un des sobriquets consacrés pour désigner régionalement l' « idiot du village », notamment en Haute Auvergne. Cf. de cet auteur, Le Jean-foutre et la marie-salope. Les prénoms dénigrés, dévoyés ou encanaillés, du Moyen-Âge à nos jours , 2013, p. 70. Consultable en ligne et régulièrement complété, en cliquant Ici. Reprendre la lecture.
[33] Voir « À l’école de la violence », L’Express.fr, 1 er février 1999. Disponible Ici. Reprendre la lecture.


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