Une partie de Badinguet, le voleur-Volant !
Après le « Basile-volant » (voir ICI), place au « Badinguet-volant », mis en scène dans une partie de Jeu de volant datant des années 1870-1871, entre Marianne la Communarde et Otto von Bismarck, commandant en chef des « casques à pointes », coiffé du caractéristique « Pickelhaube » [1], moustaches fournies (des bacchantes caractéristiques du personnage) et sabre prussien (le « Bluchersabel »), un attirail incontournable de la caricature germanophobe « qui rappelle le leitmotiv du chancelier, résolu à asseoir la grandeur de la Prusse "par le fer et par le sang" » [2].
« La partie de volant » (vers 1870)
« Ce pauvre Badinguet sert ici de volant ;
Mais ceci ne nous surprend guère
Que de fois, en paix comme en guerre
Au budget on l'a vu VOLANT »
E. Rosambeau (dessinateur-lithographe)
© Musée Carnavalet, Histoire de Paris
Sujet-objet de l’échange (comme précisé dans la légende de l’image) : « ce pauvre Badinguet », un gugusse qui n’a rien du tout à voir avec le Bad ! puisqu’il s’agit de l’empereur Napoléon III que la satire républicaine ridiculisait en l’affublant de ce sobriquet, un des « vocables ridicules et populaires » des années 1840 (par ricochet, son épouse, l’impératrice Eugénie, était surnommée la Badinguette [3]).
Selon Quentin Deluermoz (historien), « le nom propre fait alors référence à la fuite de Louis-Napoléon du fort de Ham » (dans la Somme) déguisé en ouvrier [4]. La « petite » histoire, colportée par nombre de récits et de cartes postales scénarisant la « rocambolesque évasion », veut que Napoléon III, emprisonné « à vie » après son 1er coup d’État raté (1840), se soit évadé en habits de maçon, coiffé d’une perruque, moustache et barbe rasées, une planche de sa bibliothèque [5] calée sur l’épaule pour cacher son visage et franchir, ni vu, ni connu, la grille de sortie ! Selon certains feuilletonistes, il aurait emprunté sa tenue de travail (blouse, casquette, sabots et pantalon élimé) à un ouvrier dénommé Charles-Auguste Pinguet (plus tard récompensé par une « coquette somme »). Les caricaturistes du Second Empire transformeront Pinguet en Badinguet, un nom qui évoquait alors « un plaisantin » et rappelait ainsi le « passé conspirateur » de celui qui, pour ses opposants, s'était proclamé « Empereur des Français » par ruse et manigances [6]. Plus encore, le terme Badinguet, « jouant de l’inversion entre Louis-Napoléon Bonaparte et l’ouvrier censé avoir rendu possible sa fuite, [permettait] de réduire la personne de l’Empereur à un homme du commun ; c’est-à-dire à lui ôter toute aura de souveraineté et à le ramener à son indignité. » [7]
Dans la presse satirique, « un Badinguet » désignera, encore après la mort de Napoléon III (1874), un « bandit de l’Empire », un «cynique tyran et [...] un lâche hypocrite » ( Le Grelot, n° 356 du 3 février 1878). Le journal satirique ironisera en 1878 sur « celui qui se fit appeler Badinguet pour s’évader de prison, et Napoléon III pour y faire mettre les autres » [8].
Séance de « Jumping Jack » pour Badinguet !
Sur cette estampe Napoléon III est croqué en pantin articulé, un jouet enfantin, clownesque, qui lorsque l’on tire sur la ficelle écarte, par à-coups, bras et jambes, réalisant ce qu’aujourd’hui les adeptes de fitness connaissent sous le nom de « jumping jack » !
Selon certains sites d’entretien du corps, ce mouvement, réputé pour faire monter le cardio, serait une trouvaille d'un des plus grands généraux de l’armée US, John Pershing, inventée pour bizuter un étudiant alors qu’il était cadet à l’académie de West Point – manière de permettre, dans le même temps, à la nouvelle recrue, de retrouver la forme…
En fait, John Pershing s’est, sans doute, inspiré d’un jouet en bois (de son enfance ?), sorte de croisement entre une marionnette et une poupée, très populaire en Angleterre et en Europe au milieu des années 1700, le jumping-jack, ou « valet sautant », encore appelé outre-Manche Quokerwodger (ce dernier terme en venant à désigner un politicien totalement manipulé ou fortement influençable) (Cf. illustration ci-dessous).
Jack étant le surnom donné aux jeunes domestiques (et aux garçons d’écuries). D’où la lettre « J » qui représente souvent le valet dans les jeux de cartes.
Ce jeu de tire ficelle, qu’aujourd’hui nous pourrions qualifier de burlesque, était appelé Hampelmann dans les pays germanophones, et tout simplement pantin en France, où il faisait la joie des petits, comme d’une partie de la noblesse !
À toi, à moi, le Badinguet, ce bandit !
Le « Petit », tout petit, Napoléon III (selon certains de ses contemporains, il était court sur pattes) gesticule, dans une position de totale impuissance, tout en lançant un regard furibard à une énergique Marianne qui tient là sa revanche.
« Mon cadeau d'Étrennes », par Faustin, Noël 1870
« La Joie des enfants, désormais la tranquilité [sic] des Parents »
Illustration satirique représentant Napoléon II en Jack-in-the-box
Diable en Boîte, les bras écartés
© Victoria & Albert Museum, Londres
La caricature qui nanifie l'avorton (qualificatif utilisé par certains de ses biographes) se rit d’un « tyran » capitulard qui, après avoir déclaré la guerre à la Prusse (en juillet 1870), a été défait à Sedan (1er septembre 1870), contraint de signer une capitulation « sans condition » face à un Bismarck inflexible, et a fini « emprisonné » en Westphalie.
Double cuisante défaite puisque, cette débâcle entraînera, dans la foulée, la chute de l’Empire et la proclamation (pacifique) de la République (la 3 ème).
Armée d’une simple raquette, l’héroïque et émeutière Marianne apparaît vêtue d’une simple et ample chemise flottante, découvrant de solides épaules, un « tissu léger et peu ajusté contrastant avec […] les lourdes toilettes et les corsets rigides » [9] qui enserraient les corps des nobles et des bourgeoises.
Sous le chemisier, les seins sont libres, et la bretelle prête à glisser. Ils ne vont pas tarder à prendre l’air. Dans l'l'imagerie révolutionnaire, Marianne tombera rapidement le haut pour offrir son poitrail conquérant aux balles des ennemis de la Liberté, tout en guidant le peuple... Sa poitrine (ronde et ferme) deviendra un symbole patriotique, celui d’une Nation française « mère généreuse », mère nourricière, offrant son sein à tous ses citoyens.
Napoléon III, voleur-VOLANT
« Que de fois en paix comme en guerre
Au budget on l’a vu VOLANT »
À l’époque, l’allusion était limpide, la métaphore immédiatement saisie. Ce « Volant » était un fieffé voleur ! Donc rien de « surprenant » s’il « sert ici de volant »…
Le Badinguet n’avait-il pas dilapidé l’argent de l’état, puisé dans ses caisses pour copieusement emplir les siennes et celles de ses affidés !
Rapidement après le second coup d’État perpétré en 1852 par Napoléon III (cette fois-ci réussi), Victor Hugo, réfugié à Bruxelles, avait publié son Napoléon le Petit, un livre-pamphlet dans lequel il étrillait un prince qui ne pensait qu’à « jouir et bien vivre […] et manger le budget ». L’Empereur, ce « faquin », y était décrit comme un « malfaiteur, un « coquin », une « crapule », accusé de « fouiller les poches du peuple » et d’avoir fait du « budget sa métairie ». Ce n'est qu'un malfaiteur qui, avec ses complices, profite de sa « toute-puissance » pour faire main basse sur le budget de l’état et distribuer des «Millions » à tire larigot. À tel point que pour Hugo «ce règne s’appelle Million » ! « Les coffres sont là ouverts, écrit-il encore, ils remplissent leurs sacoches, ils ont de l’argent en veux-tu en voilà ». Leur projet, « s’amuser et s’enrichir », « banqueter » au dépend de « l’homme du peuple », du « prolétaire en haillons » ! [10]
Fin de partie !
Napoléon III, décédera quelques années après son exil en Grande-Bretagne, où, sa captivité levée, il avait rejoint Eugénie. À son arrivée à Douvres, il était apparu «amaigri, le teint livide, vouté, marchand avec peine […] vieilli de dix ans. » Début janvier 1873, ses médecins réaliseront, coup sur coup, trois interventions (lithotrities) pour réduire le calcul de la vessie dont il soufrait depuis des années (sans le savoir), une « pierre » qu’ils n’arriveront pas à totalement extraire. La dernière opération se soldera par un échec. Charles-Louis-Napoléon Bonaparte décèdera le 9 janvier [11].
On doit également à E. Rosambeau, le dessinateur et lithographe qui signe cette « Partie de volant » (29,5 x 38,2 cm), la caricature d’un Napoléon III sénile, un « gâteu » désormais retombé en enfance, se déplaçant en « trotteur », l’ancêtre du Youpala, en guise de déambulateur !
Frédéric Baillette
Après le Badinguet-volant, place au Bazile-volant et au Volant-corse
Le Basile-volant !
« Une partie de Volant » transfrontalière entre, à gauche, la France Républicaine, représentée par Marianne (coiffée du bonnet phrygien et tenant fermement une raquette au cordage « sérigraphié » Suffrage universel),et, à droite, la Belgique, (sans doute) représentée par Princesse Louise Marie Amélie, une anticonformiste de tout juste 20 ans, d’une « grande beauté » ! [...]
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Le Volant-Corse (ou comment jouer avec Bonaparte)
Le « Jeu du volant », qui consistait avant tout à multiplier les échanges, a inspiré caricaturistes et pamphlétaires satiriques désireux de tourner en dérision un personnage honni, mal-aimé ou exécré. L'objet des ressentiments n'est plus alors qu'un jouet à la disposition de partenaires prenant un malin plaisir à se le renvoyer, tout en le tracassant et lui infligeant une sévère correction.
Les compères s'amusent, et amusent la galerie, en maintenant en l'air et faisant valser haut leur soufre-douleur. Au rythme des frappes, le « volant », de l'un à l'autre ballotté, reçoit une copieuse et (sans doute) méritée punition. Il se fait copieusement rosser, ou plutôt fesser ! [...] Lire la Suite
Notes :
[1] Une pointe censée protéger les fantassins en déviant les coups de sabre de la cavalerie.
[2] Emmanuelle Gaillard, « Bismarck, le chancelier de fer », L’Histoire par l’Image, mars 2016. Consultable ICI.
L’origine de ce surnom reste pour le moins indéterminée, les historiens n’en ayant ni vraiment repéré l’origine, ni le pourquoi. Voir ICI .
[4]Quentin Deluermoz, « Au temps de Badinguet : sur quelques perceptions de l’ “Empire” sous la Commune de Paris, 1870 », in Histoire, Économie et Société, n° 3, Paris, Armand Colin, 2017, p. 54. Disponible en ligne en cliquant ICI .
[5] La forteresse de Ham était un ancien château servant de prison de luxe pour VIP. Napoléon III y était emprisonné – logé – dans « le plus confortable des pavillons », disposant de plusieurs pièces, dont une bibliothèque.
[6] Cf. Luce-Marie Albigès, « Louis-napoléon Bonaparte s’évade du fort de Han », L’Histoire par l’Image, février 2005. Consultable ICI . Et Charles de Saint-Sauveur, « Napoléon III, histoire d’une rocambolesque évasion », 15 janvier 2020. Consultable ICI .
[7] Quentin Deluermoz, op.cit., p. 55.
[8] Le Grelot , n° 394, 27 octobre 1878.
[9] Marilyn Yalom, Le Sein une histoire, Paris, Galaade Éditions, 2010 (titre original « A history of the breast », 1997), p. 173.
[10] Victor Hugo, Napoléon le Petit, Paris, J. Hetzel et Cie, éditeurs, 1852. Réédité en 2007 aux Éditions Actes Sud.
L’édition originale est disponible et téléchargeable sur le site Gallica de la BnF (Bibliothèque Nationale de France), en cliquant ICI .
[11] Cf. le très complet et détaillé article de Paul Ganière, « Le dernier exil de Napoléon III », disponible sur Napoleon.org. Consultable ICI.