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Publié par Frédéric Baillette

    La « Règle du jeu » est simple, mais demande un peu de travail préparatoire. Il vous suffit, dans un premier temps, de vous armer d'un paire de ciseaux bien aiguisée (mais aux bouts arrondis), puis de soigneusement découper tous les éléments (attention à ne pas trop sortir votre langue, ce signe de grande concentration n'est pas très joli-joli). Appliquez-vous surtout à détourer, sans l'endommager, le beau Volant. Ensuite, renforcez chaque pièce en les collant sur du carton (ou du bristol - bien sûr un peu plus cher - sinon de vieilles cartes postales feront l'affaire), utilisez pour se faire un petit pot de colle à l'ancienne, avec spatule et parfum d'amande, empli de nostalgie. Lavez-vous bien les mains. Pour finir, il vous faudra plier les bordures du Jeu en suivant scrupuleusement les pointillés -------- et ouvrir les fentes, dans lesquelles vous engagerez délicatement les bras des compétiteurs ainsi que l'incontournable Tirette qui, une fois l'ensemble relié par des fils (j'espère que vous savez faire des doubles nœuds...), donnera vie à votre réalisation ! Une fois le montage achevé, relavez-vous bien les mains, si possible, au savon de Marseille, de l'authentique, de l'éprouvé, du cubique, qualité Française !

« Le Jeu du volant (Carte Postale articulée) », in Le Jeudi de la Jeunesse, n° 268, 10 juin 1909, p. 109,
Éditions Tallandier Source : Gallica-BnF, disponible Ici

 

    Et voilà, vous pouvez désormais être fier de votre réalisation et engager une Partie !  Pour ce faire, actionnez la Tirette autant de fois que vous le souhaiterez, pour multiplier les échanges, jusqu'à l'infini et au-delà ! Allez-y tout de même mollo, évitez de vous énerver, pour ne pas emballer la mécanique au risque de la déchirure...

    Toutefois, avant de parvenir à être réellement compétitif, il vous faudra un certain temps d'adaptation, à moins que vous ne soyez gaucher, ambidextre ou que vous vous appeliez Toma Junior Popov. Comme votre œil aguerri l'a peut-être remarqué, les deux protagonistes sont gauchers ! Et oui, ceux qui pensaient que cela allait être fastoche, finger on the nose, frisas de moustache, peuvent toujours se rabattre sur de la pêche à la ligne (voir ci-dessous) et attendre le 1er avril, pour réussir une pêche miraculeuse !

    Toutefois, avant de parvenir à être réellement compétitif, il vous faudra un certain temps d'adaptation, à moins que vous ne soyez gaucher, ambidextre ou que vous vous appeliez Toma Junior Popov. Comme votre œil aguerri l'a peut-être remarqué, les deux protagonistes sont gauchers ! Et oui, ceux qui pensaient que cela allait être fastoche, finger on the nose, frisas de moustache, peuvent toujours se rabattre sur de la pêche à la ligne (voir ci-dessous) et attendre le 1er avril, pour réussir une pêche miraculeuse !

 

« Pour le premier avril, la pêche miraculeuse — Carte postale articulée »
L'Abeille de Seine-et-Oise, Supplément illustré, 29 mars 1908
© Gallica-BnF — Disponible Ici

 

    Origines de cet amusement pour enfants sages, mais pas que !
    D’après nos investigations, la carte « articulée » consacrée au « Jeu du volant » proviendrait d’un des 537 numéros (mais lequel ?) de l’hebdomadaire Le Jeudi de la Jeunesse, publié entre 1904 et 1914 par les Éditions Tallendier [1].
    Un journal illustré nullement apprécié de certaines instances catholiques... Le bulletin paroissial, La Voix de Saint Corentin de Quimper, le cataloguait ainsi (avec une quinzaine d'autres publications pour la jeunesse) parmi les mauvais journaux ! Des lectures qui n'étaient donc pas en odeur de sainteté et devaient être strictement interdites aux enfants et aux adolescents. Aussi les directeurs et directrices des écoles chrétiennes, « comme aussi les directeurs des catéchismes et les dames catéchistes », devaient veiller au grain et «  réprimander fortement » les jeunes âmes égarées qui s'intéresseraient aux « illustrés figurant sous [cette] rubrique » [2].

 

    Nonobstant, cette presse était très appréciée des enfants [3]. Elle leur proposait des récits qualifiées d'amusants, merveilleux ou encore émouvants, des contes et des légendes illustrés, des historiettes en bandes dessinées abracadabrantes, voire complètement louftingues (déjantées) et désopilantes (pour les lecteurs de l’époque). Chaque numéro consacrait une page à des jeux pour occuper les jeunes lecteurs, notamment, des jeux à confectionner, en découpant, collant, pliant, trouant et attachant différents éléments afin de leur donner vie. À défaut de posséder une manette de jeu électronique, comme l'actuelle Génération poucette (Michel Serres) [4], le jeune constructeur, fier de sa réalisation, tirait sur un ficelle, une tirette, ou encore tournait une roulette pour animer sa création et occuper gentiment son jeudi (alors jour de congés pour tous les élèves) !
     On trouve plusieurs de ces cartes postales dites « articulées », ou encore « à transformation », dans les Suppléments Illustrés des éditions du dimanche de nombre de journaux régionaux de l’époque. Ce qui indique que les adultes pouvaient être tout aussi concernés par ces drôlatiques amusements !

 

« L'Hercule moderne. — Carte postale articulée, par Zutna »
Mémorial d'Amiens et du Département de la Somme, Supplément illustré, n° 29, 18 juillet 1909
© Gallica-BnF — Disponible Ici

 

    Un peu d'histoire
     Des cartes articulées, cartonnées et imprimées étaient déjà vendues au tout début du XXème siècle.
     En 1904, Jacques Fronton, chroniqueur au Journal du Dimanche, signalait leur apparition à la Foire de Paris, sur les stands des maisons de cartes postales qui y sont « légion ». « La nouveauté du jour, écrivait-il, c’est la carte postale articulée, une assez peu esthétique fantaisie représentant des personnages et des animaux qui, actionnés par une ficelle grimacent et se trémoussent à l’envie. » [5]
     En novembre de la même année, une carte articulée, jugée politiquement incorrecte et attentatoire à l’honneur d’un éminent membre de la République, sera saisie par la maréchaussée et les vendeurs à la sauvette embarqués au commissariat pour être « tous gratifiés d'une contravention ». La carte du délit mettait en scène la retentissante gifle (deux violents soufflets) donnée, le 4 novembre 1904, en pleine Chambre des députés, par Gabriel Syveton (un nationaliste antidreyfusard), au Général Louis André, alors Ministre de la Guerre, lequel, déséquilibré par la violence de cet aller-retour, avait chu de son pupitre ! L’outrage, qui avait été prémédité par son auteur, déclencha une bagarre générale entre députés de droite et de gauche ! L’affaire fera grand bruit ! Elle se soldera par le suicide (par asphyxie) ou le meurtre, selon ses amis, qui crieront à l'assassinat politique, de Syveton, la veille de son procès...  [6]

 

« Un Argument Frappant » — Carte postale articulée, éditée par Z.T.N., illustrée par Zutna, 1904
Carte postale articulée, éditée par Z.T.N., 1904
©
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

 

   Une carte postale représentant le député « giflant à tour de bras le ministre de la guerre » circula rapidement et fut vendue sur les boulevards parisiens, par « une nuée de camelots [… ] aux passants et aux consommateurs assis à la terrasse des cafés. […]
    - Demandez, criaient-ils à tue-tête, demandez la gifle syvetonienne ! Le nouveau Jouet du jour !
     Et tout en faisant suivre leur boniment de réflexions plus ou moins spirituelles, les ingénieux camelots vendaient leurs cartes postales de 15 centimes à 1 franc, suivant la tête des clients.
     Mais bientôt survinrent de nombreux agents de la sûreté et, en quelques instants, toutes les cartes postales furent saisies.
» [7]

 

    Si des mondaines s'offusquaient de la vulgarité de certaines de ces cartes (comme, par exemple, la chroniqueuse de La Vie Parisienne qui, en 1904, dénonçait la grossièreté d'une carte à transformation montrant « une dame à la jupe relevée, dont le postérieur en baudruche s'enfle démesurément » [8] ), d'autres les utilisèrent dans leurs satires sociales et politiques. À l'instar du journal viscéralement anticlérical, La Calotte qui, en 1906, proposait à ses lecteurs d'animer une carte postale dont le pliage se raillait des curetons, toujours prêts à fourrer leur nez partout ! (voir ci-dessous)

La Calotte, 28 septembre 1906, n° 3, p. 7 - © Gallica-BnF


Notes
[1] Le Jeudi de la jeunesse a été publié de 1904 à 1914 par les Éditions Tallendier. L’année 1910 est consultable et peut-être feuilletée dans son intégralité : Ici. La collection complète est disponible sur Gallica-BnF : Ici.
[2] La Voix de Saint-Corentin de Quimper, n° 5,  1er août 1916. 70.
[3] Pour un inventaire chronologique, de la richesse de cette presse cliquez Ici et/ou Ici.
[4] Michel Serres, Petite poucette, Paris, Éditions Le Pommier, 2012.
[5] Jacques Fronton, Le Journal du Dimanche. Journal Républicain de la famille. Hebdomadaire illustré, 3 avril 1904, p. 5 (« La Foire de Paris »).
[6] La veille de son procès, le 8 décembre, Sylveston sera mystérieusement retrouvé mort la tête dans la cheminée de son cabinet (de travail)… suicide par asphyxie, meurtre, ou « assassinat politique » (comme le prétendront ses amis).
[7] Le Petit Journal, « Saisie de cartes postales », 15 novembre 1904, p. 4. Source Gallica-BnF, Ici.
[8] La Vie Parisienne. Mœurs élégantes, Choses du jour [...],
« À travers la semaine », 31 décembre 1904, p. 834. Source Gallica-BnF, Ici.


Pour commencer (ou compléter) votre collection de cartes postales articulées

« La Leçon de boxe. — Carte postale articulée »
L'Abeille de Seine-et-Oise, Supplément illustré, n° 392, 31 janvier 1908 — Disponible Ici
Également publié dans L'Ouvrière. Journal Illustré, n° 129, 1er décembre 1908 — Disponible Ici
et dans Mon Camarade, n° 40, 1er décembre 1908 — Disponible Ici — © Gallica-BnF

 

« Le singe cuisiner (Carte Postale articulée) »
Le Jeudi de la Jeunesse, n° 273, 15 juillet 1909, Éditions Tallandier.
Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Gare au volet, S.V.P. — Carte postale articulée, par Zutna »
Mémorial d'Amiens et du Département de la Somme, Supplément illustré, n° 36, 5 septembre 1909
Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Le Cadeau de Mme Pipelet. Carte postale à transformation »
Mémorial d'Amiens et du Département de la Somme,
Supplément illustré, 14 juin 1908 — Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« La Curiosité punie. — Carte postale articulée » (signée E. Crété Sc)
Mon Camarade, Supplément illustré, n° 33, 1er mai 1908 — Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Le Joyeux Bamboula, Carte Postale articulée »
Le Jeudi de la Jeunesse, n° 240, 26 novembre 1908, Éditions Tallandier.
Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Le Chat de la Mère Michel. Carte postale articulée »
Mémorial d'Amiens et du Département de la Somme, Supplément illustré, 11 novembre 1908
Source Gallica-BnF — Disponible Ici

 

« Le Clown Jongleur — Carte postale articulée »
Le Jeudi de la Jeunesse, n° 233, 8 octobre 1908, Éditions Tallendier
Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Le Rocher enchanté. — Carte postale articulée. (Pour le montage, voir l'explication page 3) »
L'Abeille de Seine-et-Oise, Supplément illustré, n° 420, 15 août 1909 — Source Gallica BnF, disponible Ici

 

« Le Rocher enchanté. Méphistophélès apparaît au Docteur Faust —
Carte postale à transformation articulée. », L'Abeille de Seine-et-Oise,
Supplément illustré, n° 420, 15 août 1909 — Source Gallica-BnF, disponible Ici

 

« Les Transformations de von Kluck ou Tête de "Boche" à transformations »
Le Bon-Point Amusant. Tous les Jeudis, 27 mai 1915, Albin Michel Éditeur

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