Sauras-tu retrouver le volant ?
« Tiens, tiens !... Mais où est donc passé le volant ? », interroge une devinette-publicitaire éditée, dans les années 1890-1910, pour le compte de la marque de chicorée « À la Belle Jardinière », une société créée en 1844 par Philippe Bériot, puis reprise par son fils Camille Anicet qui développera l’activité chicorée, ce succédané de café au goût amer (1).
La solution se trouve bien sûr « cachée » dans l’image et n’est pas très difficile à trouver… Quoique ! (ne stressez pas trop vous allez trouver !)
« Tiens, tiens !... Mais où est donc passé le volant ? »
Chromo-devinette publié par la Chicorée « À la belle Jardinière »
Années 1890-1910 - Taille : 12 x 8,2 cm
À l'origine des devinettes-graphiques
À l’âge de 17 ans, Jean-Charles Pellerin, illustrateur, né à Épinal en 1756, reprend l’entreprise familiale d’impression de cartes à jouer et conçoit une imagerie qui, à partir de 1796, prend son essor avec la création de « l’imagerie Pellerin ». D’artisanale, la production qui rencontre une audience grandissante devient une « industrie imagière », plus connue sous le nom « d’imagerie d’Épinal ».
D’abord religieuse, cette imagerie populaire, qu’elle soit d’Épinal ou d’ailleurs, « acquiert dès le début du XIXème siècle un rôle éducatif ». Jean-Charles Pellerin se distingue en imprimant des images « très colorées à la gloire de l’Empereur [Napoléon 1er] mais aussi de petites histoires édifiantes », des fables, des chansons, des fiches pédagogiques (sur les animaux, les métiers, l’Histoire de France) et surtout des devinettes graphiques qui posent une question simple, dont la solution se dissimule dans la scène principale. (Voir ICI)
Diffusées à des milliers d’exemplaires, en Europe et en Amérique, sous forme d'albums, de vignettes et d’images à collectionner, ces devinettes connaîtront un grand succès jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale.
« Offertes aux enfants sages » (comme mentionné sur certaines d’entre-elles), à la manière des bons points, elles seront utilisées par de nombreuses marques et des commerçants pour faire leur réclame (un terme désormais désuet). Leurs coordonnées, souvent accompagnées d’un texte publicitaire, sont imprimées au verso (marques de biscottes, de chocolats, de Grands Magasins, etc.). « Tous les corps de métiers, du pharmacien au boucher, en passant par le marchand de chaussures, distribuaient » ces devinettes-publicitaires, souvent « réalisées par les grands dessinateurs de ce début de siècle ». (voir ICI et ICI)
Ces énigmes visuelles en jouant sur les illusions d’optique, les trompes l’œil, les ambiguïtés, les doubles sens, divertissent petits et grands tout faisant travailler l’acuité visuelle. Elles aiguisent le sens de l’observation, exercent la sagacité, parfois tout en instruisant (« en musclant l’esprit »), certaines faisant intervenir des personnages historiques, mythologiques ou bibliques.
« J'avais pourtant vu une autre voile. Où ? »
Chromo-devinette publié par la Chicorée « À la belle Jardinière »
Années 1890-1910 - Taille : 12 x 8,2 cm
« Cherchez et vous trouverez ! »
L’observateur est invité à chercher, à fouiller le dessin, à y farfouiller, pour trouver un personnage public, célèbre ou légendaire (méchante commère, gendarme, ogre), un animal (en principe de petite taille), un ou plusieurs objets (échelle, clefs, bouteille, etc.).
Une technique pour tenter de débusquer l’intrus, ou repérer l’objet planqué, consiste à retourner l’image tête-bêche (à l'instar des images entièrement réversibles de Gustave Verbeek (2), ou seulement à opérer une rotation d’un quart de tour (ce qui reste possible avec un ordinateur… portable) !
L’énigme peut se loger dans un coin, un recoin, dans le corps même du personnage central qui capte et absorbe le regard.
Il faut s’imprégner des bizarreries d’un visage, s’immerger dans les plis et replis d'une figure « arcimboldesque » (3) être interpellé par d’incongrues protubérances ou boursouflures pour, par exemple, découvrir un couple d’amoureux ! (voir ci-contre)
D’autres fois il s’agit de plonger dans les zones non colorisées, dans les espaces vacants entre les acteurs principaux, entre deux arbres, pour distinguer une forme ou identifier une silhouette (à l'instar des « gravures séditieuses » qui circulaient sous la Révolution Française (4) et avoir une révélation : « Bon Dieu... mais, c’est bien sûr ! », comme s'exclamait le commissaire Bourrel... (pour ceux qui ont biberonné du Raymond Souplex, dans Les Cinq dernières minutes - feuilleton diffusé de 1958 à 1973 sur l'ORTF !).
Et pourtant, même si le sujet à trouver est bien là, emprisonné dans l’image, il reste parfois indétectable, ou tout au moins particulièrement difficile à déceler.
À la vue de tous, et pourtant invisible, parfois indiscernable. Les yeux ont beau s’écarquiller, ou se plisser, pour tenter de saisir un indice, un fragment éclairant, le mystère demeure. L’impatient donne alors sa langue au chat (ce gardien des secrets) et jette l’éponge ! Et, comme la solution n’est jamais donnée, l’énigme demeure entière, tant qu’un regard neuf ou astucieux ne dessille la galerie.
Alors, pourquoi tant d’aveuglement pour découvrir un objet aussi visible (quoique parfois, il faut le dire, un peu tirée par les cheveux) ?
Un peu à la manière de La Lettre volée, la nouvelle d’Edgar Allan Poe (The Purloined Letter – parue en 1844 et traduite pas Baudelaire), dans laquelle un document « de la plus grande importance [a été] soustrait dans les appartements royaux », à fin de chantage par un ministre indélicat. Une missive qui pourtant n’a pas quitté le boudoir où elle a été dérobée, et où elle a été volontairement laissée aux vues de tous (bien que retouchée et quelque peu dénaturée) afin que même les plus fins limiers n’imaginent pas qu’elle puisse êtreit encore là, à portée de leurs yeux. La lettre n’a en effet pas quitté la pièce, elle a été seulement comme « jetée négligemment » dans le compartiment supérieur d’un porte-cartes, une « solitary letter », bien que maquillée, « fortement salie et chiffonnée […], presque déchirée », rendue ordinaire pour ne plus attirer l’attention, « sans valeur », par celui qui se l’était indûment appropriée.
Gravure de Frédéric Théodore Lix (peintre, illustrateur et lithographe français)
Illustration pour un article de Jules Verne, Edgar Poe et ses œuvres,
publié dans le tome 31 du Musée des Familles. Lectures du soir, n° 7 (avril 1864), pp. 193-20
« Peut-être est-ce la simplicité même de la chose qui vous induit en erreur », observe C. Auguste Dupin, le gentleman au flair de détective des nouvelles d’Edgard Poe. En effet, parfois, lorsque le mystère est « un peu trop clair » et, qu’à première vue, il semble suffisant d’entreprendre des fouilles systématiques et minutieuses pour découvrir la vérité, des recherches trop méthodiques peuvent se montrer vaines et infructueuses. Lorsque l’investigation raisonnée des « cachettes vulgaires », comme des « plus compliquées », ne donnent rien, le mystère tourne alors au casse-tête.
Alors que la réponse est, parfois, d’une « absolue simplicité », placée là, « juste sous le nez du monde entier ». La solution de l'énigme ne se loge nullement dans du microscopique, ni ne se terre dans une cachette dérobée, mais explose aux yeux, tellement énorme qu’il suffit de prendre un peu de recul pour l’appréhender !
Quoi de mieux caché qu’une chose qui n’est pas vraiment cachée ?
« C’est sous la lampe que l’on voit le moins clair », disait (paraît-il) le Sage...
« Voilà Martin - Cherchez l'Âne » - Chromo-devinette vers 1890
(« Il y a plus d'un âne à la foire qui s'appelle Martin », proverbe signifiant d'après le dictionnaire Littré
qu' « il ne faut pas affirmer une chose d'après un seul indice » !)
[1] Suite à la cuisante défaite de Trafalgar, Napoléon décida en 1806 de bloquer toutes les exportations en provenance d’Angleterre, et tenter ainsi de mettre à genoux la « perfide Albion ». Ce blocus va notamment entraîner une pénurie de café (une boisson alors à la mode), mais aussi de sucre et de coton, des denrées venues des colonies qui transitaient dans les ports anglais avant d’être redistribuées en Europe continentale. La racine de la chicorée torréfiée et mise en poudre va tenter (sans grand succès) de pallier au manque de café.
[2] Gustave Verbeek est un illustrateur d'origine hollandaise qui fit « paraître à partir de 1903 et pendant 15 mois, dans le New York Herald, 64 séries dessinées de 6 cases chacune, dont la lecture est entièrement réversible : la terre devient le ciel, un homme devient une femme... Si les intrigues sont assez banales, le procédé est totalement original et miraculeux : rien ne bouge et pourtant tout change. » Cf. « Images cachées, divertissantes illusions », p. 7. Maison de la magie (Blois) en cliquant ICI.
[3] Giuseppe Arcimboldo, peintre italien (1527-1593), surtout connu pour ses portraits composés de fleurs, de fruits, de poissons, de coquillages.
[4] Les images et profils séditieux qui représentent « un ou plusieurs personnages en opposition aux régimes existants, à l'ordre étable [...] fleuriront surtout sous la Révolution (les fidèles de Louis XVI) et pendant les premières années de la Restauration (les fidèles de l'Empereur) ». Cf. Laurent Gervereau (sous la direction de), Dictionnaire mondial des images, Paris, Nouveau Monde éditions, 2006.
Biblio :
- Pierre Brunel, « Lettre perdue, lettre volée, lettre retrouvée », in L’Imaginaire du secret, Grenoble, UGA Éditions, 1998, pp. 99-125. Chapitre disponible ICI
- Edgar Allan Poe, La Lettre volée. À lire sur WIKISOURCE, la bibliothèque libre, en cliquant ICI.