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Publié par Frédéric Baillette

    Dans la famille des jeux de volants, le «Pilou», jeu de jonglage utilisant toutes les parties du corps à l’exception des mains et des bras, est une curiosité du pays niçois. Selon Charles Bilas, auteur de Nice secret et insolite (2009), il serait l'un des «symboles de l'identité niçoise». Le pilou fait partie du folklore local et s'inscrit dans le patrimoine niçois. C’est à ce titre, qu’en 1955, Hitchcock l'a très brièvement immortalisé dans une séquence du thriller romantique, La Main au Collet, dont l'action se située sur la Côte d’Azur (avec comme acteurs mythiques Grace Kelly et Cary Grant). Dans le plan qui ouvre cette scène, deux policiers, en planque sur une route vicinale, tuent le temps en échangeant un pilou, soit «une petite pièce trouée au panache de papier» (p. 62). Ce rapide échange, quelques secondes de postérité, figure au tout début d'une vidéo disponible en cliquant ICI.
 

Tous les numéros de pages figurant entre-parenthèses renvoient à la première édition du livre Et Vive le Pilou ! E viva lo Pilo !, qu’André Giordan et José Paria ont consacré à un jeu dont ils furent de fervents adeptes. Un livre dont nous avons reproduit différents schémas explicatifs et auquel nous sommes grandement redevables pour l’écriture de cet article. Cet ouvrage princeps, enrichi de nombreux témoignages d’anciens joueurs, a été publié en 1998 par Z’éditions (Nice), puis réédité en 2004, avec une couverture couleur (illustrée par Eusébi), à laquelle nous avons emprunté le dessin ouvrant ce texte


 

Pilou
Eusébi (2002), Illustration couverture, Et Vive le Pilou ! (André Giordan et José Paria), Nice, Z’éditions, 2004



    Apparu dans les années 40, tombé en désuétude à partir des années 60, pour quasiment disparaître, le pilou a fait son retour sur la sphère niçoise en 1987 (date de l’organisation d’un premier tournoi «très confidentiel»).

    Le jeu du pilou consistait, et consiste toujours, à jongler avec un pilou en solo, à tour de rôle, ou encore en l’échangeant soit en face à face avec un partenaire, soit en cercle à plusieurs en le faisant circuler de joueur en joueur. Les pilouteurs cherchent alors à se distinguer en enchaînant, sans faire tomber le pilou, différentes figures, n’utilisant pour cela que les pieds, les genoux, le torse ou la tête. Mains et bras sont totalement proscrits.

    Mais, les piloutiers (autre terme utilisé pour les désigner) peuvent également, après avoir délimité au sol des terrains, ou tracé sur un mur une cible (un but), se livrer à des matchs à un contre un ou entre deux équipes, en suivant trois formules, dont une avec «filet» (voir plus loin «Les différentes manières de “pilouter”») .


« Misérable sou troué » et « papier-cul »


    Rien de plus facile pour un habitué que de se confectionner un pilou .
    Dans les années quarante, il suffisait de se procurer un «misérable sou troué», une pièce de 10 centimes (de francs) ou, mieux, de 25 centimes (légèrement plus lourde), perforées et une feuille de «papier fin». Si possible celui que la boulangère utilisait pour envelopper les baguettes. Considéré comme «le meilleur pour introduire dans le trou de la pièce», il était une denrée rare, car, comme le notent André Giordan et José Maria, seule «quelques boulangeries de luxe commençaient à envelopper le pain de la sorte». Il était aussi, en ces temps de pénuries, souvent utilisé comme papier hygiénique, pour s’essuyer les fesses… Aussi, dans les familles modestes, les «garnements» le détournaient «de sa destination finale ; c’est-à-dire les toilettes» !

    Pour emplumer les pièces, il était de toute manière courant d’utiliser plus prosaïquement du «papier cul». Un papier alors aux «tons marrons avec des fibres apparentes» et à la texture «relativement rigide, voir même craquante» (p. 61). Certes aucunement moelleux, encore moins parfumé, mais bien plus résistant et rigide que le papier toilette contemporain.
    «Ce papier fin était la condition sine qua non d’un bon pilou, d’où le souci constant de ne pas jouer sur les chaussées mouillées qui le détérioraient en un rien de temps.» (p. 57)
    Un des nombreux témoignages recueillis par A. Giordan et J. Maria, précise d’ailleurs, qu’en cas de terrain mouillé, les joueurs utilisaient un «volant en plastique» (p. 69).

    Si dans les années soixante, le papier fin, enveloppant les oranges Outspan, importée d’Afrique du Sud, sera préféré «pour sa légèreté et sa meilleure tenue dans l’air […], aujourd’hui ce sont plutôt les sachets plastiques de supermarché [plus résistants] qui sont découpés pour constituer le volant.» La pointe engagée dans le trou est ensuite chauffée avec un briquet pour être fondu sous le dessous de la pièce, afin d'y «adhèrer formidablement bien» (p. 31).
 

« Formes et dimensions du papier »
    Le puriste découpe le papier ou le sac plastique selon une forme ovoïde, rappelant celle d’un œuf, selon des dimensions «précises». «Le pliage se fait en croix à partir du centre de pliage. C’est ce point de pliage qui est introduit dans le trou de la pièce» (p. 32)

© A. Giordan et Z'éditions

 

    Encore faut-il prendre «soin de bien effiler» le «bout de papier», pour «lui donner un aspect “torche” [et de bien écraser] la partie sortant du trou» (p. 73), pour qu’elle« fasse verrou, clavette, afin que la pièce ne se détache pas » (p. 56). Mais surtout, il importe de bien positionner la pièce, de telle sorte que le côté pile se trouve vers le haut et le côté «face» vers le sol. Sinon, certains se moqueront de vous et refuseront de jouer avec ce «façou» !


Un jeu qui ne coûte pas un rond
    À une époque où «les ballons coûtaient trop cher» (p. 52), le pilou, lui, ne coûte « rien du tout ». Il ne coûte pas un rond. «Les seuls ronds qu’il fallait c’était une pièce trouée» (p. 69). Des pièces de monnaie évidées en leur centre, frappées de 1914 à 1946, dites «centimes Lindauer» (du nom de leur graveur : Edmond-Émile Lindauer). Un «trou» qui permettait à la Banque de France d’économiser du métal et aux utilisateurs de les distinguer des pièces en argent.

    Le diamètre d’une pièce de 25 centimes était de 24mm, celui du trou central de 6 mm, pour une épaisseur de 1,5 mm. Le diamètre ce celles de 10 centimes était de 21mm. «Plus lègères», elles volaient moins bien, mais avaient «l’avantage de faire moins mal aux genoux quand on jou[ait] en short» ! (Les pièces trouées de 5 cm étaient plus «rarement employées»).

    C’est de cette menue monnaie que le pilou tire son nom, empruntant au côté pile, soit le verso de la pièce (celui où un «pilon» de fer acéré imprimait sa valeur, le côté face recevant le visage – d’un Empereur, d’un Roi, d’un prince, d’une Marianne, etc.).
    Dès lors, les joueurs frappent l'avers de la pièce porteur de l'effigie ou du motif symbolisant l'autorité émettrice (ici un bonnet phrygien stylisé avec sa cocarde, hérité de la révolution française, surplombant l'acronyme RF, pour République Française). En frappant vigoureusement cette signature, ce sceau officiel de la République, en lui bottant le derrière, les joueurs malmènent et bafouent  en quelques sorte le pouvoir étatique, contestant son omnipotence. Aussi, certains décodent cette offense comme une «marque rebelle» (Charles Bilas), une défiance vis-vis du pouvoir central, parisianisé. Pour Alain Corriéras, joueur invétéré, le jeu serait «intrinsèquement "contestataire". Positivement révolutionnaire» ! (p. 79)

    «À l’origine un sport de pauvre» (p. 63), la passion du pilou gagna rapidement toutes les couches sociales, en investissant notamment les temps de récréation des établissements scolaires : «Dans les cours [d’école], enfants de riches et enfants d’ouvriers, bons et mauvais élèves pratiquaient indistinctement cette discipline populaire» (p. 63).

Pièce trouée avec 1915 Lindauer
25 centimes, Avers, 1915

    En ces temps difficiles, le pilou qui pouvait se détériorer très vite, ou terminer perché, perdu à jamais, était facile à remplacer sans dépenser un seul centime. «Au milieu des années 50, nous n’étions pas riches, se rappelle Denis Sarreta, mais je possédais un trésor enfermé dans une grosse boîte à biscuits […] des centaines de pièces de monnaie d’avant-guerre, de 10 ou de 25 centimes, trouées en leur centre. Grâce à ce petit magot [nous] n’avons jamais manqué de pilou, malgré une grande consommation : nous en perdions souvent dans les [bouches] d’égouts et les gouttières» (p. 63).
    Quant à la craie qui «servait à tracer les ronds et à délimiter les camps, [on l’] “empruntait” à l’école dans la mesure du possible» (p. 57), c’est-à-dire en la «chip[ant] le matin au maître» (p. 76).
    Et, si les pilouteurs jouaient sur un sol meuble, un simple bout de bois, un «bâton [suffisait] pour tracer dans la terre».
 

Les différentes manières de « pilouter »
    Le pilou est un jeu de rue, dont les règles s’adaptaient à l’espace disponible, aux spécificités du lieu, et s’accommodait de la présence de matériel urbain en le détournant de ses fonctions (un banc public pouvait être converti en «filet»). Les formes du jeu variaient également en fonction du nombre de présents, de leurs envies, humeurs ou lubies du moment, etc.

    Tout comme nombre de jeux d’habileté, il pouvait se jouer en solitaire, ou chacun son tour, se réduisant alors à une épreuve de jonglage, comme passe-temps ou pour le plaisir d’épater les copains en démontrant son adresse, soit en enchainant des figures de style, soit en tentant de battre un « record » ou de réaliser plus de jongles que les partenaires. La difficulté pouvait être augmentée en fixant des restrictions, comme ne jongler qu’avec les genoux, ou en imposant un ordre de circulation du pilou, pied – genou – tête – poitrine, par exemple, tout en alternant des contrôles (arrêter et garder le pilou en équilibre sur le front entre les frappes).
 

« Quelques jongles avec un pilou »

    En groupe, le jeu pouvait prendre la forme d’un jeu d’échanges, sous forme d’éliminatoires directs. Ceux qui manquent le volant qui leur est adressé sont au fur et à mesure éliminés, jusqu’au face-à-face final désignant le vainqueur de la partie.
    Il existait toutefois trois formules de match plus «élaborées», qu’André Giordan et José Maria, désignent sous les appellations de «pilou-but», «tennis-pilou» et de «véritable pilou».


Le « Pilou but »
   
Le pilou prennait la forme d’un «football aérien» (p. 64).
    Selon un ancien passionné, qui se remémore «le bon vieux temps du pilou», la maîtrise de ce volant développait une virtuosité du pied «digne d’un footballeur professionnel».
    Une exigence de maîtrise technique qui «faisait des footballeurs les maîtres du jeu. Chacun s’identifiait donc à une vedette du ballon rond  (p. 59)

    Les joueurs de Pilou but traçaient à la craie, sur un mur, une «cage» (de football, nous dirions plutôt de hand-ball). Dans ce but se positionnait un gardien qui était autorisé à se servir (aussi) des mains pour arrêter les tirs de pilou.
    Une zone neutre, de la forme d’un demi-cercle, était tracée devant ces cages. Si les joueurs pouvaient l’occuper et s’y échanger le pilou, un tir au but, pour être valable, ne pouvait être déclenché qu’à partir de l’extérieur de cette zone.
    Les défenseurs pouvaient s’interposer en tentant d’intercepter le pilou, mais en évitant strictement tout contact avec les attaquants.

Pilou Niçois
© A. Giordan et Z'éditions

 

Le « Tennis-pilou »
    Se jouait par-dessus un «filet» improvisé.
    Il se rapproche du Plumfoot que nous avons présenté dans un précédent article : «Du Bat-Minton au AirBadminton (jeux et sports avec "volants" et "filets")», et du badminton (plutôt que du tennis), à moins que les rebonds au sol soient autorisés et réalisables...

    - Le terrain est constitué de deux carrés d’«à peu près» 4 mètres de côtés (mesurés en faisant de grands pas), séparés par un «filet» d’environ un mètre de hauteur. Un «filet» qui, dans les années soixante, pouvait être le banc d’un jardin public, d’un square, ou celui installé sur une promenade (comme la célèbre Promenade des Anglais), voire, à défaut, des vêtements empilés, positionnés sur la ligne centrale ;

    - Si les formules les plus courantes étaient en «tête-à-tête», ou à 2 contre 2, voire 3 contre 3, il arrivait que des équipes de 4 à 5 joueurs s’affrontent sur des terrains de plus grandes dimensions ;

    - À la différence du Plumfoot, le service se fait à la main et surtout le nombre de contrôles et de passes entre coéquipiers est illimité !

    Faute de «filet», une zone neutre (une «rivière» à franchir) de 2 mètres de large est tracée au sol.
 

Pilou
«Tennis Pilou», à gauche avec «filet», à droite avec une «rivière» - © A. Giordan



Le « véritable pilou » ou pilou « en croix »
   
Le pilou en croix est la formule «la plus prisée». Elle est celle qui a été aujourd’hui remise à l’honneur et dont les terrains sont tracés sur les «Stades de pilou» ou «Piloudromes». L'un des plus connus est celui du Mont Boron, colline située sur les hauteurs de Nice (en 1911, des Japonais, effectuant un voyage culturel en France, y ont découvert le pilou, s'y sont adonnés, avant de consacrer une bande dessinée à cette expérience - voir Annexe 1).

    Dans sa version, à un contre un, les joueurs tracent une ligne médiane, puis, de part et d’autre, à 2-3 grands pas, un cercle, d’environ 1 m de diamètre, qui constitue, pour les attaquants, la cible à atteindre avec le pilou et, pour les adversaires, le but à défendre.

© A. Giordan et Z'éditions


    Dans la version la plus pratiquée, deux paires s’affrontent sur un terrain constitué d’une croix qui découpe l’aire de jeu en 4 zones dans lesquelles sont tracés un cercle (1 mètre de diamètre) :
 

Pilou en croix
© A. Giordan et Z'éditions


    Les joueurs d’une même équipe ne se positionnent pas côte à côte, mais en diagonale.

Pilou
© A. Giordan et Z'éditions


    Au début du jeu, l’équipe A se positionne dans l’espace grisé. Elle défend les cercles-cibles A1 et A2 et doit marquer en envoyant le pilou dans les cercles B1 ou B2. L’équipe B, défend les cercles B1 et B2 et doit atteindre les cercles-cibles A1 ou A2.
    Pour marquer un point, l’équipe qui engage doit faire tomber le pilou dans l’un des deux cercles de l’équipe adverse. «La ligne blanche qui constitue la circonférence du cercle tient lieu de poteau de but» ! Un volant qui la touche n’est donc pas comptabilisé comme «bon», excepté s’il rentre dans le cercle après rebond (tout comme en football et en hand-ball, le but est alors accordé).
    La mise en jeu s’effectue en lançant le pilou à la main en direction de son partenaire qui le réceptionne avec le pied, le genou ou la poitrine.

    Si les adversaires doivent rester dans leur zone et tenter de défendre («avec acharnement») leur cercle, en tentant d’intercepter le pilou pour le faire tomber dans leur camp (mais, biens sûr, hors du cercle), ou déclencher une contre-attaque, les attaquants peuvent, eux, se déplacer dans tout l’espace du jeu, en jonglant avec le pilou ou en se faisant un nombre illimité de passes.

    Les plus habiles, les «as», jonglent souvent «de longues secondes», faisant voltiger le pilou, «attendant que l’adversaire se découvre ou s’énerve et hop ! entre les jambes» (p. 69).

    Les parties se jouent en 10 points, ou selon un laps de temps défini à l’avance (ce qui a l’avantage de savoir quand un terrain va se libérer, mais a l’inconvénient de permettre aux équipes qui mènent de «jouer la montre»). Si au terme du temps imparti (de 6 à 10 minutes) les équipes sont à égalité, elles disputent un «pilou en or» !

    À chaque point marqué, les joueurs changent de camp, en tournant d’un cran dans le sens des aiguilles d’une montre,se déplaçant dans le camp situé à leur gauche. Ceci afin, comme le précise le règlement «bientôt officiel» (élaboré en 2013), «que ce ne soit pas toujours le même joueur qui se retrouve avec le soleil dans les yeux, le côté glissant, celui comportant un petit obstacle…». (Règlement disponible au format pdf en cliquant ICI).

 

Sylvain Delatrompefoutre» (2018), «Piloudrome, 40 x 40 cm

 

    Le pilou «officiel» est désormais constitué d’une pièce trouée de 10 centimes de francs (préférée à celle de 25), éditée à partir de 1917, pesant 4 grammes (attention, les pièces mises en service en 1939 qui ne pesaient plus que 3 grammes et celles encore plus légères et cassantes éditées en 1941 et 1946 sont à éviter !). On en trouve en vente sur le Net, bien que selon l’année d’édition, ces pièces anciennes peuvent se révéler bien chères… (le mieux est de farfouiller dans les tiroirs des buffets de vos arrières-grand-mères ou de vous rendre dans une brocante).

    Le «papier cul» a quant à lui été définitivement détrôné par le «sac plastique souple d’épaisseur moyenne», découpé en losange, puis plié en forme de flèche. Sa pointe, une fois introduite dans le trou, est chauffée puis écrasée «afin de retrouver une surface plane sous le pilou» (dixit le règlement de 2013).

    Aucune production industrielle n’existe, vous ne trouverez pas de pilou en vente dans le commerce, essentiellement de l’artisanal, du fait maison !


Apparition, disparition, renaissance du pilou
   
Selon des témoignages concordant, recueillis par André Giordan et José Paria, le pilou (ou piló en niçois, le «o» se prononçant «ou») serait apparu dans les rues de Nice au début des années 40 pour s’étendre à l’ensemble de la cité puis déborder sur ses alentours.
    À fin de la guerre, «on y jou[ait] dans tous les quartiers populaires» (p. 10) et dans les villages du Comté de Nice, et nulle part ailleurs. Bien que des jeux similaires utilisant des pièces trouées aient existé dans les années 40-60 sur le pourtour méditerranéen, notamment en Corse (sous le nom de Pezzetta ou Soldu Tufanatu), et en Algérie (à Alger, Oran, Blida, etc.) sous le nom de Sfolet (parfois écrit Stollet) ou jeu du sou : là aussi les mêmes pièces trouées dans lesquelles «on glissait une sorte de pompon en papier, découpé en lanières» (ou judicieusement plié) et avec lequel on «jouait avec un ballon sauf qu'il n'y avait pas de rebond possible. On jonglait sur son pied, sa poitrine, sa tête et shoot pour marquer un but à son adversaire. C'était aussi un jeu dans les cours d'école, dans la rue... n'importe où le plaisir nous prenait d'y jouer. Car peu cher même gratuit, vite confectionné en cas de besoin. Le bonheur des plaisirs simples !» (cf. H. Z., «Les jeux de mon enfance»).

    Les jeunes joueurs piochaient dans les tiroirs des buffets familiaux où ils «trouv[aient] alors à profusion» des pièces de 25 cm percées qui venaient d’être démonétisées (le 15 février 1942). Des pièces que leurs grands-mères avaient conservé «par précaution» !
 

Pilou Niçois
Illustration couverture, Et Vive le Pilou ! (A.Giordan et J. Paria), Z’éditions, 1998


    Jeunes et moins jeunes y jouaient sur les esplanades, les parcs, les places des villages, les trottoirs, les quais du port, comme «au beau milieu de la rue où de rares voitures passent tout doucement» (p. 56), sur les routes départementales peu fréquentées, ou encore sur la voie publique «pour emmerder le bourgeois dans sa bagnole en lui bloqu[ant] le passage» (p. 79). Les automobilistes patientaient, attendant que l’échange prenne fin, par égard pour les joueurs ou pour éviter de se faire mal voir des locaux et traiter de Parisiens.

    Tout comme les billes ou les osselets, le Pilou était un jouet à portée de main. Rangé dans une poche ou un cartable, il était toujours prêt à l’emploi. Aussi était-il très en vogue chez les écoliers en culotte courtes, dont, l’hiver venu, les cuisses violettes étaient constellées de «marques rondes». Mais aussi «dans les patronages religieux, le jeudi avant le catéchisme ou le dimanche après la messe», sur le chemin de l’école comme sur celui du retour.

    À la Libération, les écoliers y jouèrent intensivement durant les heures de récréation, depuis leur entrée en 6ème jusqu’au Baccalauréat ! Les parties prenaient instantanément fin dès que retentissait la sonnerie. Plus le temps de jouer le dernier point. Il était urgent de courir «pour se mettre en rang, deux par deux» (p. 76), ne pas faire partie du lot des retardataires au risque d'écoper d’une punition !

    Le jeu du pilou, parfois considéré comme une nuisance par l’institution scolaire et ses Censeurs (chargés de faire régner la discipline), fut ainsi strictement interdit, au début des années 60, par circulaire interne, dans la cour du Lycée Félix Faure (rebaptisé depuis Lycée Massena) (p. 60).

    L’intérêt pour le pilou va progresssivement décliner dans les années soixante, jusqu’à quasiment disparaître, comme «emporté par la vague [révolutionnaire] de mai 1968» (p. 17). Il devient une pratique confidentielle, un amusement d’irréductibles «anciens» qui continuent à pilouter à bas bruit, avant qu'à la fin des années 1980, sous la houlette d'André Giordan, une poignée de passionnés (dont l'artiste-peintre Benjamin Vautier, dit Ben, connu pour ses œuvres d'écritures), n'en relance la pratique, multipliant les démonstrations dans les lycées et «à la Fac», et qu'ils créent l'association Nissa Pilo, pour «favoriser de façon originale la sauvegarde et le rayonnement de la culture niçoise».
 


   Le 14 juillet 1987, ces «défenseurs de l’intégrité niçoise» et des valeurs portées par «l'âme niçoise» («solidarité, ténacité, intuition, respect de la parole et de l'environnement»), concrétisent le retour d'un jeu qui a «rythmé leur enfance» en organisant, à Coaraze, le premier tournoi de pilou. Tournoi organisé à la bonne franquette, rassemblant 32 équipes de 8 à 72 ans, pompeusement baptisé «Championnat de France de Pilou».

    Depuis cette date, ce village «très vivant» de l’arrière-pays niçois accueille, chaque premier samedi de juillet, les «très officiels» jeux mondiaux du Pilou !
    En juillet et août, vous devriez pouvoir aussi vous y essayer sur la Promenade des Anglais, où les locaux se feront un plaisir de vous accueillir.
    Un inventaire (non exhaustif) des terrains de pilou dans la ville de Nice et ses alentours vous aidera à trouver le site idéal où découvrir et vous initier aux joies du Pilo, en vous exclamant avant d'entrer dans la ronde, et avec l'accent : Vé lou pilo ! Fa lou volà !

     Prochain Championnat du Monde :  Samedi 5 juillet 205 à Coaraze ! Les inscriptions se feront sur place :
 


Bibliographie :
- André Giordan et José Paria, Et Vive le Pilou ! E viva lo Pilo !, Nice, Z’éditions, 1998. Réédition 2004.
- Règlement «bientôt officiel», élaboré en 2013.

- «Le pilou prend son envol», Nice-Matin, 21 février 2013, p. 10.
- Site Nissa Pilo - Facebook Nissa Pilou.
- «Lo Pilo», Chanson du groupe niçois Nux Vomica.

 

ANNEXE 1  

Bande dessinée japonaise, réalisée au terme d'un voyage culturel en France
et la découverte du Pilou joué au Mont Boron (colline sur les hauteurs de Nice).
 

 

 

 


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ANNEXE 2 :
Quelques affiches de Championnats du Monde, organisés à Coaraze,
village ensoleillé où se dorent les salamandres

 

 

 

 

 

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