« Match » ! Ballet russe à la badiste chorégraphie
En 1973, Ekaterina Maximova, l'une des plus populaires danseuses classique russe, une star internationale, et son mari, Vladimir Vasiliev, avec qui elle formera « l'un des couples les plus mythiques du ballet classique », ont interprété pour la télévision russe un « pas de deux » [1] intitulé « Match ».
Dans cette chorégraphie de 7 minutes, créée en 1972 par Tom Schilling, Ekaterina et Vladimir, équipés de raquettes de badminton (que nous qualifierions aujourd'hui de vintage), disputent a priori une partie de badminton. Un Match où, dans un premier mouvement, la « brune et frêle » Ekaterina est largement dominée par le jeu musclé et puissant du « blond et athlétique » Vladimir (considéré par certains comme l'un des plus grands danseurs de tous les temps).
Tel un elfe [2] sautillant, Ekaterina gambade avec grâce, elle n'a de cesse de pirouetter, de butiner, tandis que son rival, tout en dynamiques nervosités, caracole, s'élance, bondit, tourbillonne et frappe. La légèreté, la poésie, l'espièglerie d'une gamine facétieuse, presque coquine, opposée à la puissance impétueuse, arrogante, quasi despotique, de l'homme-athlète convaincu de sa sportive supériorité [3].
Et pourtant, c'est la malicieuse, la mutine et gracile ballerine qui finalement contraint le colosse à aller au tapis et à quasiment ramper pour tenter de rattraper les « volants ».
Perdant détestable qui s'énerve, furibarde, contre sa raquette dont la maîtrise lui échappe. Objet responsable de sa déroute dont il finit par briser manche et cordage d'un coup de pied rageur !
Champion déconfit, mis à terre par une adversaire jugée « plus faible », une délicate enfant qui, sur la pointe des pieds, s'avance, petit lutin bienveillant, pour réconforter et aider le héros déchu à se relever. Prélude à la naissance d'une romance entre deux êtres dissemblables.
Un inattendu coup de foudre, un féérique hyménée, qui rappelle que Maximova et Vasiliev, unis sur la scène et dans la vie (ils s'étaient mariés en 1961), formaient « un couple étonnant. "C'est la danse qui nous a unis", dira-t-elle. "J'étais d'une famille bourgeoise, il était fils d'ouvrier". » Quasiment une histoire de Princesse charmante ! [4]
Ce « Match » utilise un scénario identique à celui d'un court-métrage britannique interrogeant les toxicités d'une masculinité bardée de convictions musculaires. Une comédie utilisant, elle aussi, le badminton comme support, où la brutalité, la musculeuse et hautaine virilité est ébranlée, mise à mal, et domptée par une finesse, une application (toute féminine… autre cliché) (Voir « Badminton et Masculinité. Épisode 1 : Mise en jeu du pénis »).
Même « happy end » offrant une réconciliation « amoureuse », prompte à panser les plaies d'un guerrier vaincu, éreinté, par un plus « faible »…
Petit bémol : si, dans une plus récente reprise de cette chorégraphie, Ekaterina et Vladimir dansent toujours avec en main des raquettes de badminton, la gestuelle de Vladimir a légèrement été modifiée, différentes séquences faisant cette fois-ci explicitement référence au tennis (notamment dans la préparation du « service », avec « balle » rebondissant au sol)…
Vidéo disponible Ici.
Match, version 1973, disponible Ici et en Noir et Blanc (de moins bonne qualité) Ici.
[1] En danse un « pas de deux » désigne une séquence d'un ballet, ou une chorégraphie exécutée par deux interprètes, le plus souvent un danseur et une danseuse.
[2] En 1959, à l'occasion de la première tournée du Bolchoï aux USA, la presse américaine, impressionnée par son interprétation dans La Fleur de pierre de Prokofiev, l'avait qualifiée de « little elf ».
[3] Depuis sa remarquée représentation dans le ballet Spartacus (1968-1970), Vasiliev était devenu « le symbole plastique de l'élan vers la liberté selon l'esthétique soviétique », une « figure idéologique » de l'Homme nouveau socialiste, l'homo sovieticus qui devait changer le monde ! À ce sujet, se reporter à André Reszler , Mythes politiques modernes, Paris, Presses Universitaires de France, 1981, respectivement, p. 149-151 et 151-154.
[4] Ensemble, ces éternels amoureux ont effectué de nombreuses tournées internationales avec les ballets du Bolchoï (États-Unis, Canada, Belgique, Danemark, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Japon, etc.), interprétant les plus grands classiques, Roméo et Juliette, de Prokofiev, Casse-noisette (Tchaïkovski), La Traviata (Verdi), La Belle au Bois dormant (Tchaïkovski), Le Lac des Cygnes (Tchaïkovski), Cendrillon (Prokofiev), etc.