Le volant ou shuttlecock vers 1820
Cette délicate et « élégante » gravure illustre la version anglaise d'un ouvrage de Mlle Saint-Sernin (présentée comme institutrice), paru initialement en France en 1820 et intitulé Les Jeux des Jeunes Demoiselles. Représentés en estampes d'après des dessins de J.D. Dugourc, Dessinateur de la Chambre du Roi ou Historiettes Morales relatives aux Jeux de l'enfance et de l'adolescence par Mlle Saint-Sernin, institutrice (Paris, A. Nepveu, Librairie). L'ouvrage est disponible sur GallicaBnF, numérisé en noir et blanc).
Cet opuscule a été traduit par William Combe (1742-1825) et publié en 1822 par le célèbre éditeur londonien R. Ackerman, sous le titre Healthful Sports for young ladies. Il est consultable en ligne (et téléchargeable) sur le site de la Bibliothèque du Congrès de Washington (Library of Congress), voir ICI, et est également disponible dans différents formats sur le site du Projet Gutemberg, ICI.
Les gravures des deux ouvrages sont annoncées réalisées d'après des dessins de J.D. (Jean-Démosthène) Dugourc, présenté comme Dessinateur de la Chambre du Roi. Il s'agit très certainement de Louis XVIII, monté sur le trône de France en 1814 et qui conféra à Dugourc le titre de « Dessinateur du Garde-Meuble ». Titre honorifique de décorateur d'intérieur qu'il conserva jusqu'à sa mort, en 1825.
Artiste néo-classique d'une prolifique fertilité créatrice, né à Versailles en 1749, Dugourc fut dessinateur, aquarelliste, peintre, graveur, sculpteur, ornemaniste et même éditeur. Réputé pour ses multiples projets de mobiliers (fauteuils, lits, trônes, lustres, etc.), et ses motifs pour papiers-peints et soieries, il était particulièrement apprécié par les plus grands personnages du royaume mais aussi d'Europe qui le sollicitaient pour des décors et des ornementations d'intérieurs, voire pour la réalisation de costumes d'opéras (1).
(1) Cf. « Jean-Démosthène Dugourc : dessinateur du Garde-Meuble », La Magazine de Proantic, mais 2020.
Voir également : M. Anatole de Montaiglon (Document communiqué par), « Autobiographie de Dugourc (1800) », in Nouvelles Archives de l'Art Français. Recueil de documents inédits publiés par la Société de l'Histoire de l'Art Français, 1er janvier 1877, pp. 367-371.
Illustration extraite de Mlle Saint-Sernin, Les Jeux des Jeunes Demoiselles,
Paris, A. Nepveu, Librairie, 1820, p. 16bis. Source : GallicaBnF.
A common and innocent diversion
La gravure des joueuses de volant accompagne une description du jeu (Shuttlecock) qui est présenté dans un même chapitre avec celui de la « bascule » (see-saw) : balançoire, plus connue des garnements sous le nom de « tape cul », constituée d'une planche de bois maintenue en équilibre sur une arête, permettant à deux personnes de s'amuser en montant et descendant alternativement.
Dans ce texte, le « Volant » fait figure d'agréable passe-temps, d'amusement bucolique, plus habituel ou banal que la « bascule » (« more common » - ou « vulgaire » dans la version française). Il fait parti des saines détentes, au sens d'hygiéniques et d'innocentes (« innocent relaxation from study », comme indiqué dans la Préface), convenant tout particulièrement à la pureté de jeunes filles (issues de l'aristocratie), tout comme une douzaine d'autres activités, physiquement peu ou nullement exigeantes (escarpolette, quilles, cerceaux, longue corde, colin-maillard, cache-cache, bilboquet ou encore dominos).
Des jeux anodins qui demandent des efforts (« require exertion ») et dont la pratique favorise le développement d'un port de corps aisé et gracieux, résultant du mouvement libre et actif des membres (« eminently useful in forming that easy and graceful carriage, which can only result from the free anc active motion of the limbs » (Preface, p. iii).
À noter que le volume publié en France est annoncé comme étant le pendant d'un ouvrage dédié aux Jeux des Jeunes Garçons, précédemment édité par le même libraire parisien (Nepveu) (une information qui ne figure pas dans la traduction anglaise). Ce livre connut plusieurs rééditions. Le lien ici indiqué renvoie à celle de 1822, sa 5ème, souvent considérée comme l'originale, les précédentes étant extrêmement rares, voire introuvables (la date exacte de la première parution, antérieure à 1820, reste à déterminer).
Le « volant » y est présenté (avec le « cerceau ») comme un jeu du « goût des écoliers » qui, dans le temps des récréations, était semble-t-il tout aussi apprécié par les jeunes garçons.
Gravure de Xavier Le Prince, in Armand Gouffé, Les Jeux des Jeunes Garçons,
Paris, Librairie Nepven, 1822 (5ème édition). Source GallicaBnF.
Le volant déjà un « sport »...
La signification du terme sport, employé dans la version anglaise en lieu et place de jeux, n'avait alors strictement aucun rapport avec celle que nous lui connaissons aujourd'hui (recherche d'une performance motrice, du dépassement physique de soi et des autres, institutionnalisation, etc.), si ce n'est le versant récréatif (et encore faudrait-il s'interroger sur la réalité contemporaine de cette facette, tant les exigences de la préparation sportive actuelle semblent éloigner le sport - de haut niveau -, de toute composante ludique).
Sport est issu de l'ancien français Desport, dérivé du verbe desporter qui signifiait s'ébattre. Il englobait tous les amusements, distractions, et « pratiques agréables (jeux, conversations, badinages) ». Au XIVème siècle, il fut importé en Angleterre par la chevalerie, et se transforma au XIXème siècle en disport puis en sport, désignant alors « les passe-temps chics » de l'aristocratie (voir à ce sujet la synthèse de Valentin Martin, « Penser le sport : l'origine du mot sport », WeSportFr, juillet 2018).
Ainsi, Mlle Saint-Sernin présente une douzaine d'anodines distractions (comme réaliser des « bulles de savon »), des sports parmi lesquels le volant (avec le saut à la corde) nous apparaît aujourd'hui comme la plus « sportive » ! D'autant que sur l'illustration les demoiselles semblent faire virevolter deux de ces « légers projectiles » !
Même si l'on peut s'interroger sur leur présence simultanée dans cette image, notons qu'une des variantes de ce jeu d'adresse consistait à maintenir en l'air deux volants... (Nous reviendrons prochainement dans un article sur les différentes facettes et « règles » que pouvaient présenter le jeu du volant, souvent moins simple et mièvre qu'il n'y paraît).
Le texte nous apprend qu'il était possible de jouer au volant à plusieurs par éliminations successives, en se relayant (« to do it by turns »). Le joueur (ou la joueuse) qui ne parvient pas à renvoyer le shuttlecock, cède sa place au suivant et ainsi de suite. On s'amuse alors à tour de rôle, « in rotation » (p. 15). En France cela s'appelait jouer « à coup faillant », les joueurs/joueuses se relayant en jouant « comme on dit, au premier coup faillant ». Celui qui a faillit (a manqué son renvoi), passe la main à un nouveau concurrent (Cf. version française, p. 19).
Énigmatiques « sognettes"...
Le terme « sognettes » écrit en italique dans la traduction anglaise à la place du terme original raquettes intrigue... La phrase de Mlle Saint-Sernin : « Nous ne quitterons pas ce sujet sans dire un mot des raquettes » est en effet traduite par : « we must say a few words respecting sognettes, or, as we call them in English, battledores. » (voir ci-dessous, p. 16 - 3ème ligne) Comme sognette est un terme qui (sauf erreur de notre part) se révèle introuvable en ancien français (et que, dans toutes les autres occurrences, raquette est justement traduit par battledore), nous pouvons faire deux hypothèses :
- soit le traducteur, ne disposant pas d'une excellente impression de l'ouvrage original, a lu sognette à la place de raquette... et l'a conservé tel quel pour mettre ce terme, pour le moins original, en évidence...
- soit, il a effectivement souhaité mettre exceptionnellement en relief le terme raquettes, et ces sognettes ne sont qu'une erreur de décryptage du texte du traducteur commise par le typographe qui, lors de la transcription en caractères typographiques avant impression, devait disposer d'une version manuscrite... Ce ne serait donc qu'une « coquille » !
Si une autre explication vous illumine, n'hésitez pas à nous contacter et surtout à nous éclairer afin que nous évitions de prendre ces sognettes pour des raquettes !