Bruce Lee Played Badminton Too !
Selon le pitch, ce court-métrage de 15mn mettrait en évidence la manière dont certains parents écrasent leurs enfants, et révèlerait les peurs cachées des populations australiennes face à la croissance de la communauté asiatique...
Bien au chaud sous sa couette, Nick rêve. Il rêve de devenir un grand champion de badminton et que ses parents soient (enfin) fiers de lui, alors qu'il ne pense être à leurs yeux qu'un dérisoire petit canard… À l’image du coin-coin décorant le réveil matin de sa table de chevet.
Or, Nick est « badminton to the Bone » (jusqu’à l’os). Sa chambre est tapissé des posters de ses idoles, Lee Chong Wei et surtout Bruce Lee, au portrait duquel il a fixé une raquette, persuadé que l’icône des arts martiaux avait aussi joué au badminton ! Comme il l'a découvert sur Google...
Aussi se prépare-t-il intensément à la compétition locale qui approche en s’entraînant quotidiennement dans son jardin, s’évertuant à frapper dans un malheureux volant relié à un poteau par une ficelle.
Voir ci-dessous l'intégralité de ce short-film qui, en 2012, a reçu la Palme du meilleur court-métrage de fiction aux ATOM Awards (Australian Teachers Of Media Awards).
À travers le parcours de Nick, la réalisatrice Corrie Chen (née à Taïwan et élevée en Australie) tente de dénoncer, à la fois, les stéréotypes associés aux asiatiques et l’attitude dévalorisante d’un père qui doute des chances de son fils, à l’embonpoint prononcé, de réussir en badminton, lui expliquant, qu’il n’est peut-être pas fait pour être un champion, comme il l'espère… (« sometimes life doesn’t give you what you want »).
En mettant en scène la trajectoire (presque) victorieuse d’un « gros » transcendé par sa passion sportive, ce court-métrage ambitionne de combattre les préjugés liés à la corpulence et de lutter contre la grossophobie.
Le badminton un sport pour les petits, les « smaller folk »
Le père de Nick s’inquiète de la forte présence de la communauté chinoise dans son quartier. Ne plus être que la seule famille « anglo-saxonne » de la rue le rend mal à l’aise (« There Doesn’t bother you even a little bit not that we’re the only anglo-saxons on the street »). Il ne reconnait plus son quartier qui n’est plus ce qu’il était (« this neighborhood isn’t what it used to be »).
Cette peur d'une perte d’identité (de « grand remplacement » [1]) est empreinte de clichés racialisants [2]).
Pour cet ancien champion de tennis, le badminton est un sport pour les personnes de petite taille (« smaller folk »). Une référence qui renvoie à une perception des Asiatiques, identifiés comme une « race » inférieure en taille et dotée d’une grande habileté.
Le badminton qui demande de la dextérité (« ability ») serait un jeu leur convenant tout particulièrement. Un jeu fait pour eux !
Il ne serait d'ailleurs pas un sport d'homme. Comprendre pour les vrais hommes comme nous, les Australiens (« It’s just not a sport for a man. I mean it’s just a sport for men like us »). Sport de faibles, le badminton ne saurait convenir à des Australiens (ramenés ici au stéréotype d’hommes exclusivement Blancs), plus forts et plus virils.
Des exagérations contre-productives, renforçant les stéréotypes ?
Mais, à force de vouloir trop forcer le trait, le portrait ne tourne-t-il pas à la grossière caricature au détriment du projet de déconstruction de préjugés ? En s’enfonçant dans les stéréotypes jusqu’à l’exagération outrancière, pour casser des idées reçues, le film ne les conforte-t-il pas ?
Nick est tourné en dérision, quasiment ridiculisé. Il est présenté comme un balourd, un lourdaud, qui avale goulûment son petit-déjeuner, et pour lequel on ne peut avoir que de la compassion.
Il se révèle maladroit et, lorsque (magiquement) il se met à gagner, personne, même un non-spécialiste, ne peut réellement croire qu’il sait jouer au badminton…
Une des scènes du film tourne d’ailleurs quasiment à la grotesque mésaventure.
Caché derrière une clôture de bois, Nick observe sa nouvelle voisine, une jeune et ravissante chinoise qui vient tout juste d’aménager. En plan serré, la caméra s’attarde alors sur la bedaine du « voyeur » qui vient rythmiquement s’appuyer sur un clou apparent… Le gag moqueur advient : en se reculant brusquement pour ne pas se faire repérer, Nick accroche et déchire son polo sur cette pointe, offrant dès lors le pli de son ventre en pâture à la vue de tous… Dans ce pas en arrière, il détruit également sa raquette, l’écrasant de tout son poids… et fait ici figure de ballot.
Si le film se veut également dénoncer les idées reçues à l’égard des asiatiques, pourquoi, là aussi, reprendre le cliché usé de l’asiatique cruel et perfide, se positionnant au service en imitant Bruce Lee tout en moquant de Nick, lui adressant un sardonique : « Good luck, Chuck Norris, he he ».
Une formule dévalorisante, ramenant Nick à sa condition de « gros ». Son physique étant aux antipodes de celui de Chuck Norris, ancien Champion du monde de karaté, devenu vedette de cinéma d’action, suite à son apparition, en 1972, dans La Fureur du dragon où il affrontait Bruce Lee dans un combat final (où il se fait outrageusement dominer).
Ultime cliché, Nick qui, par on se sait quel miracle, vient à bout de tous ses adversaires, en leur infligeant de solides corrections, perd tous ses moyens lorsqu’en finale il se trouve face à la ravissante et sylphide Jenny.
Tombé sous le charme de la Belle, fille de l’entraîneur, il se révèle totalement impuissant… manque tous les volants et perd lamentablement son match. Dépité, il est finalement réconforté par la star du jour qui lui dit avoir apprécié son jeu (« Watching you play I really like it ») et lui conseille de faire toutefois attention aux plats de chili de sa maman (« But you should probably be more careful of your mom’s chili plats »)…
En poussant trop loin le curseur de la caricature, en amenant à rire aux dépends de Nick, qui s’excite tout azimut dès qu’il a une raquette en main, mais se montre incapable de l'utiliser correctement, se retrouve complètement démuni, dès qu’il est face à une fille, cette comédie à l’humour un peu trop décalé ne loupe-t-elle pas finalement sa cible ? Ne renforce-t-elle pas une vision éculée du « gros » [3] mal dans sa peau, incapable de jouer en finesse, et objet de moqueries ?
[1] Cf. le livre du démographe Hervé Le Bras, Il n’y a pas de Grand Remplacement, Paris, Grasset, 2022, qui décortique la faiblesse théorique d’une notion au service d’une idéologie xénophobe.
[2] Sur l'emploi de ce substantif, voir Sarah Mazouz, « Racialisation ou racisation ? », in Carnet de recherche Racismes, 6 octobre 2020.
[3] Sur l'évolution des représentations du « gros », voir notamment J. Csergo (sous la direction de), Trop gros ? L'obésité et ses représentations, Paris Autrement, série «Mutations», 2009. Et Georges Vigarello, Les Métamorphoses du gras. Histoire de l'obésité, Paris, Seuil, 2010.