Le Volant léger bondit !
« Le volant léger bondit dans l’espace
Pareil à l’oiseau qu’on voit voltiger,
Gentil messager, il passe et repasse,
Une main d’enfant peut le diriger
Sous le choc des vives raquettes
Dans l’azur on voit tournoyer
L’argent de ses plumes coquettes
Comme l’aile d’un blanc ramier. »
Les Poupées de l’Infante. Opéra Comique en 3 Actes et 4 tableaux.
Auteurs du texte : Henri Bocage (1835-1917) et Armand Liorat (1837-1898)
Dédié à « Son Altesse Sérénissime Charles III Prince Souverain de Monaco »
Partition disponible sur Acrhive.org et sur Gallica.BnF
Ce refrain est extrait d’une composition de Charles Grisart (1837-1904) écrite pour l’Opéra-Comique Les Poupées de l’Infante (reproduite en intégralité en fin d’article). Une pièce en 3 actes et 4 tableaux, présentée pour la première fois le 9 avril 1881 au Théâtre des Folies-Dramatiques, traitant avec humour, et en « l’arrangeant à sa guise », du mariage (finalement avorté) entre le jeune roi Louis XV et, l'encore plus jeune, Infante Marie-Anne d’Espagne (Marianna dans la pièce).
Petit condensé historique : en 1721, victime des alliances matrimoniales d’alors entre puissances royales, l’Infante, âgée de 3 ans, avait été fiancée à Louis XV, 11 ans, et conduite à la cour de Versailles, pour se familiarisée avec les convenances relevant de son rang de future épouse du Roi.
Lors de leur première rencontre, Louis XV lui aurait offert « un cadeau en adéquation avec son jeune âge : une poupée d’une valeur de 20 000 livres » [1].
La petite « infante-reine », comme elle fut appelée, sera finalement renvoyée en Espagne en 1725 (elle avait 7 ans), Louis XV (devenu entre-temps majeur) lui préférant Marie Leczinska (14 ans, plus apte à le satisfaire et à lui donner une progéniture).
Les Poupées de l’Infante, que le journal populaire La Petite Presse présenta comme une œuvre amusante, réécrit et transfigure cet évènement en « attribuant l’insuccès du mariage de la princesse […] à son vif amour pour un jeune et hardi, beau, cela va sans dire, du nom de Manoël » (La Petite Presse, 12 avril 1881). Les acteurs et actrices qui endossent les rôles principaux, n’ayant ni 11 ans ni, encore moins, 3 ans, travestissent totalement cet épisode historique.
L’hebdomadaire l’Album Théâtral du 19-26 avril 1881 (n° 16, p. 1), brossera le tableau d’une « pièce gaie, mouvementée, pleine de mots amusants », accompagnée d’une « musique alerte et remplie de mélodies inspirées ». Une « farce » à l’« intrigue corsée », mettant en scène « des situations drôlatiques ».
Cette « pièce bouffonne », renfermant des « mots à double entente » (sens) et des « situations abracadabrantes », fit salle comble tous les soirs.
Elle tournait en dérision la société de cour, se moquant de ses protocoles, manières, courbettes et autres afféteries. Par ricochet, elle se raillait également des dirigeants politiques du moment. La cour royale (tout comme comme la scène étatique) ne serait qu'un théâtre de Guignol, peuplé de marionnettes dont s'amusent l'Infante. Une gamine à laquelle son « poupetier tous les matins [...] apporte de nouveaux pantins » (p. 72) qui la divertissent beaucoup : «J'adore mes marionnettes. Ah ! ah ! ah ! J'aime les voir se trémousser. Je m'amuse à leurs pirouettes » (p. 76-77). Celle qui, comme elle le proclame, « s'en va tout simplement épouser le Roi de France. [...] Tout petit, tout petit, tout petit roi, presque aussi bambin que moi » (p. 106 et 108), ne manque ni d'aplomb ni de toupet et se gausse de manipuler cet entourage. Courtisans, « le gouvernement, les ministres, le parlement » (p. 111) et les marionnettes : « Ça se ressemble joliment. Tout se résume en pirouettes. [...] C'est une affaire de ficelle, il faut savoir, il faut savoir, faire aller la ficelle ». Tout est « une affaire de ficelle » ! (p. 112-115)
Ce cortège de pantins apprêtés, de « Poupées » emperruquées, dont l’Espagnole se joue en tirant sur leurs ficelles, inspirera l’illustration publiée par Stop, le 7 mai 1881, dans la « chronique théâtrale » du Journal Amusant (voir ci-dessous). Le jeune et guindé, presque constipé, Louis XV y est croqué avec, dans sa menotte, une raquette sur laquelle est posé un volant.
L’un des « tableaux » qui enchanta les spectateurs mettait ainsi en scène, sur un air de valse, une partie de volant entre Marianna (Infante d'Espagne) et Le Roi (Louis XV), disputée à Rambouillet sous l’œil de « La Camerera ». Habituellement appelée Camerera-Mayor (ou major), cette « Première dame d’honneur » était inséparable de sa maîtresse, la (future) reine, qu’elle escortait partout et contraignait à se conformer aux exigences de « l’étiquette ». Soit l’ensemble des règles et usages de bienséance, cérémonials et rituels, souvent rigides, qui encadraient la vie de la famille royale et de son entourage, du lever au coucher.
Cette partie de volant figure notamment sur une lithographie d'Auguste Lamy,
présentant Les Poupées de l'Infante :
Une partie de volant s’engage entre un Roi « en nage » qui, contre toute convenance, « ôte son pourpoint » et une Mariana, bien plus habile, qui mène le jeu et l’encourage à persévérer.
L’amour, sinon le brûlant désir, occupe le centre des ébats. En offrant à la cour une escapade dans les jardins, le jeu libère des contraintes, aère les corps et les esprits. Souffle alors un air de liberté et de licence.
Dans l’aimable face à face que le jeu du volant favorise, s’échangent des « regards étincelants » qui échauffent les sens, suscitent incandescences et « brûlures ». Les œillades décochées enflamment les corps.
Ces intenses émois, cet affolement, est manifesté avec emphase par une Marianna que les ardentes prunelles du roi échaufferaient, jusqu’à l’embrassement : « Je flambe, je flambe ! je flambe ! Au feu ! Au feu ! ». Une paroxysmique pâmoison qui devait ravir le public de l’époque et gentiment l’émoustiller.
Le jeu du volant se révèle propice aux galanteries, aux amourettes et à la bagatelle [2].
Le Roi, à qui Marianna conseille « dorénavant d’être moins maladroit », convie les Dames à se joindre à la partie. Dans le refrain clôturant ce tableau, le « volant léger » qui « passe et repasse » et qu’ «une main d’enfant peut […] diriger », fait office de « gentil messager » pour ces amours galants (voir sur ce même blog : « Les jeux de l'amour et du volant »).
« Le volant léger bondit dans l’espace
Pareil à l’oiseau qu’on voit voltiger,
Gentil messager, il passe et repasse,
Une main d’enfant peut le diriger
Volant léger
Bondis dans l’espace,
Passe et repasse,
Gentil messager,
Volant léger
Passe et repasse, gentil, gentil messager ! »
Portrait de Louis XV et de sa fiancée, Mariana Victoiria d'Espagne
par François de Troy, 1723
Huile sur toile, Galerie Palatina, Dimensions : 195 x 129 cm
[1] « Marie-Anne de Bourbon, éphémère fiancée de Louis XV », Plumes d’Histoire, juin 2017.
[2] Familièrement et argotiquement la bagatelle renvoyait à l’amour physique.
Le Volant léger bondit, en intégralité :
Refrain
Le volant léger bondit dans l’espace
Pareil à l’oiseau qu’on voit voltiger,
Gentil messager, il passe et repasse,
Une main d’enfant peut le diriger
Sous le choc des vives raquettes
Dans l’azur on voit tournoyer
L’argent de ses plumes coquettes
Comme l’aile d’un blanc ramier
Mariana (parlé)
Quatre vingt dix huit Dix neuf..
Du courage
N’arrêtez point
Le Roi
Ah qu’il fait chaud !
Je suis tout en nage,
Souffrez, que j’ôte mon pourpoint
La Camerrera
Oh ! l’étiquette ! Oh ! l’étiquette !
Mariana
Quel dommage !
Il ne s’en fallait que d’un point
Le Roi (qui reprend sa position)
Le premier maintenant qui manque donne un gage.
(Refrain)
Mariana
Encore ! vous devez un gage ;
C’est l’usage.
Le Roi
Très volontiers, très volontiers
Mais que puis-je mettre à vos pieds ?
Mais que puis-je mettre à vos pieds ?
Vous le savez, mon trône et ma couronne
Déjà, déjà sont à votre merci ;
Il ne me reste plus, mignonne,
Que mon cœur, et le voici.
Mariana
Le madrigal est fort joli,
Mais vous avez moins d’esprit,
Sire, pour faire sauter les volants
Comment conserver son empire
Sous vos regards étincelants ?
De vos prunelles
Cachez les feux,
Leurs étincelles
Brulent mes yeux,
De vos prunelles
Cachez les feux,
Je flambe ! je flambe ! je flambe !
Au feu ! Au feu !
Ah… Baissez vos yeux… au feu !
Ah… Cachez vos yeux
Leurs étincelles brulent mes yeux,
je flambe, au feu !
Baissez les yeux !
Mon Dieu ! mon Dieu ! quelle ardeur subite !
Votre majesté tout à coup prend feu plus vite,
Prend feu plus vite, prend feu plus vite, prend feu plus vite
Que l’amadou
Le Roi
Ah ! ah ! ah ! ah ! lorsqu’on voit cette grâce divine
Qu’anime l’esprit d’un démon,
Cette taille adorable et fine,
Ce petit pied trop mignon
Pour le soulier de Cendrillon,
Ces grands yeux qui pénètrent l’âme,
Ce teint rosé, ces bras si blancs…
Mariana
Ah ! vous m’effrayez, quelle flamme et quels regards étincelants !
(imitant le roi) De vos prunelles
Cachez les feux,
Leurs étincelles
Brulent mes yeux,
De vos prunelles
Cachez les feux
Le Roi
Ah ! quels beaux yeux !
Baissez les yeux
Le Roi et Mariana
Je flambe ! je flambe !
Je flambe !
Au feu ! au feu !
De vos prunelles
Cachez les feux,
Cachez les feux,
Leurs étincelles
Brulent mes yeux,
De vos prunelles
Cachez les feux,
Cachez les feux,
Mariana
Au feu !
Baissez les yeux !
Baissez les yeux !
Mais la partie
N’est pas finie,
Voici votre volant,
Mon roi,
Tâchez dorénavant
D’être moins maladroit
Le Roi
Mes dames, soyez de la partie,
Au jeu du roi, je vous convie
Mariana
À son jeu le roi vous convie !
Allons ! soyez de la partie
Refrain
Le volant léger bondit dans l’espace
Pareil à l’oiseau qu’on voit voltiger,
Gentil messager, il passe et repasse,
Une main d’enfant peut le diriger
Volant léger
Bondis dans l’espace,
Passe et repasse,
Gentil messager,
Volant léger
Passe et repasse, gentil, gentil messager !
Rép : J’y serai, Sire.
Intégralité de la partition, sur Acrhive.org et Gallica.BnF
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