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    « La Partie de Volant », présentée ici, compose un recueil de chansons populaires ou chansons de rues, des « chansons du pavé » (parisien) écrites et rassemblées en 1890 sous ce titre par Victor Meusy [1] qui les interpréta dans différents cabarets et cafés-concerts Montmartrois, notamment au Chat Noir. Cabaret réputé, fondé en en 1881, qu’il fréquentait assidûment et où il poussait la chansonnette. Des chansonnettes gentillettes (comme cette « Partie de volant ») et d’autres plus coquines, polissonnes et croustillantes, piquetées de sous-entendus licencieux, comme nous le verrons plus loin.
 

 

Victor Meusy (1856-1922), un hydropathe invétéré !
    Chansonnier qui connut un relatif succès, Victor Meusy (de son vrai prénom Louis Eugène) a notamment fondé le cabaret du Chien Noir ainsi que l’éphémère café-concert du Trianon et a été président de la SACEM en 1912-1913.
    Il fut par ailleurs membre du « Cercle des hydropathes », littéralement : « ceux que l’eau rend malades » ! Un éphémère club artistico-littéraire parisien, dont le fondateur, le poète et romancier Émile Goudeau (qui signait parfois sous le pseudonyme de Diego Malevue, une « allusion auto-ironique à son strabisme »), avait apprécié une valse du compositeur allemand Joseph Gung’l intitulée Hydropathen Walzer (op. 149). Le titre l’avait d’autant plus amusé qu’il entrait en résonance avec son patronyme (Goudeau)… qui avait « Goût d’eau » ! [2]
    Les hydropathes constituait une société bohème et « tapageuse », d’étudiants à l’« esprit fumiste » et aux «virtuosités potaches oscillant entre rire jaune et humour noir » [3].

    Les premières livraisons de leur journal, L’Hydropathe, présentaient « sur un mode convivial les figures majeures du club », avec en couverture leur caricature. Le n° 2 du 5 février 1876 est ainsi consacré à André Gill, dont nous avons récemment étudié un des dessins moqueurs s’inspirant du jeu du volant : « Rentrée du cœur léger ».
    Les enthousiastes hydropathes se réunissait tous les soirs, parfois à plus de trois cents, pour déclamer des vers, faire de la musique, chanter, causer et boire du « vin rigolo », cet « élixir divin » [4], et distiller quelques liqueurs, Vermouth, Bitter et Absinthe[5], cette « fée aux yeux verts » (Francisque Sarget).
    Comme l’observe avec humour Denis Saint-Armand, la dénomination d’Hydropathes «leur permet […] d’assumer leurs appétences soulographiques » !


Chanter « L’Amour »
    Les « Chansons du pavé » rassemblées dans ce recueil sont dans la lignée de cette dynamique festive et « bouffonne ».
    « La partie de volant » ouvre un chapitre consacré à « L’Amour » ! Elle est suivie de sept autres chansonnettes dont : « Les Frissons », puis « Ton cœur ! », un organe qui fait office de substitut de pénis… :
 

« Ton cœur amoureux, ma verve méchante
Savait l’exciter.
Bref il a battu dix ans à la file
Avec grand succès,
Il eut même un jour (tu t’rappell’Emile ?)
Jusqu’à dix accès !!!!!!!!!!
Hélas ! aujourd’hui, je ne sais que faire,
Ton cœur ne bat plus ! » (p. 125)

    Le récital se poursuit par une « Lettre à ma petite femme » qui brode sur le thème de la tromperie masculine assumée, avant de passer « Chez l’Avocat », un divorce pour cause d’impuissance du mari :

« Votre mari, d’avant vos charmes,
Dit l’avocat subtil,
Mettrait-il bas les armes ?
Quell’ conduite tient-il ?
– Ah ! répond l’ingénue, Monsieur vous pensez bien,
Il n’a pas de tenue,
Il manque de maintien . » (pp. 137-138)

    Et de s’achever « Au restaurant de Cupidon », quasiment un club libertin :

« Au restaurant de Cupidon,
La digue digue la digue don !

Pour deux vous n’avez qu’une assiette,
Un’ feuill’ de vigne pour serviette.
[…] Les fourchettes n’ont qu’une dent. » (pp. 149-150)

     En comparaison de ces grivoiseries, « La Partie de Volant » s'avère bien légère. Elle est une guillerette entrée en matière, une mise en bouche avant passage à des choses plus égrillardes, des gauloiseries promptes à réjouir les mâles épicuriens !
    Dans cette bagatelle le « jeu du volant » est présenté comme une opportunité de rencontre amoureuse et éventuellement prémisses d’une relation (charnelle). L’occasion pour les plus entreprenants de faire des avances et de déclarer leurs sentiments, offrant leur cœur avec délicatesse, comme l’on envoie un volant :

« Mon cœur, mignonne,
Je vous le donne
»

    Nous retrouvons-là une représentation courante de cet hédonique amusement, comme une anodine parenthèse où de futurs tourtereaux (ou amants) font connaissance.
    Ainsi, vers la fin du 19ème siècle, le « volant » est encore perçu comme un gai passe-temps champêtre, offrant aux galants, qui s’invite dans le jeu, l’occasion de courtiser dames et demoiselles en leur contant « fleurette » :

« "Ce jeu, dans votre jeunesse,
Était donc bien attrayant ?"

"— Dans ce temps-là, mes fillettes,
Les hommes étaient galants,
Et nous contaient des fleurettes
En renvoyant le volant." »

 

 

    Dans ce jeu de séduction, les plus coquettes et charmeuses étaient censées jouer de leurs « appas » pour émoustiller leurs prétendants.
    Au rythme des échanges, les cœurs eux-aussi bondissaient, tressaillaient, étaient transportés, s'emballaient d’autant qu’en se libérant des habituelles contraintes dictées par les convenances et la décence, les Belles pouvaient dévoiler de délicieuses et enfiévrantes parcelles de chairs, laisser entrapercevoir de bouleversantes « nudités »… la blanche finesse d’un mollet, la délicatesse d’un avant-bras parcouru de fines veinules, ou encore une « gorge ». Un décolleté potelé dans lequel un volant (fantasmatiquement) pouvait aller se percher... (voir à ce sujet, sur ce même blog de Robert Labésicle : « Y’a du Volant au balcon ! » et bien sûr : « Les jeux de l’amour et du volant ».
    L’entre-sein, ce nid confortable et douillet dans lequel le volant, par on ne sait quel (heureux) prodige, hasard ou exceptionnelle adresse du lanceur, venait (parfois) se loger, est un fantasme récurrent de ces batifolages. La quatrième strophe y fait directement allusion.

« Ce joueur, ce fut grand-père,
Ah ! dieux ! le joli garçon !

— Était-il adroit, grand’mère ?
— Chacun l’est à sa façon.
Son volant, exprès, je gage,
Retombait sur mes appas »


    Dans cette partie de volant entre « cousines », la grand-mère fait office d’initiatrice aux premiers émois amoureux, aux foudroyantes attirances. Raquette en main, elle leur « enseigne le jeu », se remémorant les parties où, tout en renvoyant le volant, les galants lui adressaient des compliments et dévoilaient leurs sentiments.
    Dans ces moments de griserie, les sens s’émoustillaient, le désir pouvait poindre et les passions s'enflammer, des mains se frôler et des baisers furtifs s’échanger.
    Ainsi, chez les jeunes gens de « bonne famille » [6] , au gré des volants caressés, des flatteries, des sourires, des œillades et des rires échangés, pouvait naître l’Amour (le Grand, celui censé durer toujours) !


Bibliographie :
Denis Saint-Amand, « Rire de groupe et petite presse : L’Hydropathe », in Guillaume Inson et Marie-Ève Thérenty (sous la direction de), Médias 19 (« Les journalistes : identités et modernités », Actes du 1er Congrès Média 19 (Paris, 8-12 juin 2015).

 


[1] Victor Meusy, « La Partie de Volant », in Chansons du pavé. Paris – La Politique – L’Amour – Fantaisies – Paysanneries. illustrations de Fernand Fau, Paris, Ernest Flammarion, 1890.
[2] Dans la rubrique « Blagues hydropathesques » de son n°1, L’Hydropathe (journal de quatre pages, publié par cette communauté) se fit d’ailleurs l’écho de cette concordance :
« À question indiscrète, réponse analogue.
Pourquoi votre société a-t-elle pris le nom d’Hydropathe ? demandait-on à l’un de nos confrères :
Parce qu’elle a Goudeau, et tient ses séances à l’hôtel Boileau. »
Cité par Denis Saint-Amand, « Rire de groupe et petite presse : L’Hydropathe », in Guillaume Inson et Marie-Ève Thérenty (sous la direction de), Médias 19 (« Les journalistes : identités et modernités », Actes du 1er Congrès Média 19 (Paris, 8-12 juin 2015).
[3] Denis Saint-Amand, op. cit.
[4] « Le vin c’est la chaleur, l’éloquence, la vie, / C’est le verbe puissant, le fécondant rayon, / C’est l’Art sous le ciseau, la plume ou le crayon. » Ben-Mill, « Salut aux hydropathes », in Les Hydropathes. Journal Littéraire Illustré, n° 5, 20 mars 1879, p. 4.
[5] Cf. « La Chanson des hydropathes » de Charles Cros (l’inventeur du phonographe) dont le refrain est : « Hydropathes, chantons en cœur / La noble chanson des liqueurs ».
6] Pas exactement la même entrée en matière qu’avec les Paysannes. Dans les champs, dans les foins, les « nigaudes », les «Mam’zelles » étaient censées aisément « r’trousser » leur « jup’ » et succomber, attendries, aux « gars » qui les prenaient quasiment de force, voir dans le dernier chapitre titré « Paysanneries » : «Si tu savais, ma chère » (pp. 237-239) et « La Belle Affaire » (pp. 249-252).

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