Le badminton dans la Presse française de l’entre-deux-guerres
Nous avons vu dans le précédent volet que dès ses premières apparitions dans la presse française (entre 1875 et 1914) le badminton, sport naissant alors quasiment inconnu en France, a été présenté comme une modification du traditionnel jeu du volant, une «amélioration» sinon une (inutile) «complexification».
Le badminton apparaissait presque comme un plagiat ou une contrefaçon d’une distraction bien française, ancrée dans la culture ludique hexagonale.
Cette filiation avec le jeu du volant était souvent porteuse d’une critique implicite à l’égard des anglo-saxons et empreinte de chauvinisme.
Les Anglais nous auraient quasiment emprunté ce jeu « de notre enfance », typiquement hexagonal, pour nous le retourner transfiguré sous forme d’une activité réglée, codifiée, rebaptisée sous le «nom pompeux» de Badminton.
Ces chroniqueurs omettant d’indiquer, ou ne sachant pas, que le jeu du volant se pratiquait depuis plusieurs siècles dans toute l’Europe et qu’il était tout particulièrement apprécié outre-Manche, où il était connu sous le nom de Battledore and Shuttlecock.
Le badminton ne serait finalement que du «jeu de volant au filet» (une appellation que certains préféraient à l'anglicisme «badminton»).
Toutefois, l’apparition d’un «filet vertical» apportait un plus. En forçant les «adversaires à lancer le volant à bonne hauteur», il évitait toute contestation, les joueurs ne pouvant plus accuser leur partenaire d’avoir «mal lancé» un volant (c’est-à-dire trop bas pour pouvoir être renvoyé correctement).
(Notons que la contrainte du filet avait déjà existé en France où, dans l’enceinte des Jeux de Paume, des dames et surtout des joueurs de Paume disputèrent des parties de volant de part et d’autre du filet partageant l’espace du jeu. Voir «Les “Parties de Volant” de Monseigneur le Duc d’Orléans, Régent du Royaume, ancêtre du Badminton ?»)
Lorsque, à l’orée des années 1910, le Badminton sera présenté par des journalistes plus avisés, la plupart du temps des sportsmen prenant la plume pour faire la promotion d’un sport (mondain) qu’ils pratiquent (quelques clubs apparaissent alors principalement à Pau, puis à Dieppe), ceux-ci vont insister sur :
- l’intérêt d’un divertissement pouvant se pratiquer en intérieur (un jeu autant de pelouse que de salon), particulièrement agréable les jours de mauvais temps et en saison hivernale (auquel il est possible de s’adonner «sans s’inquiéter du temps»). Le badminton leur apparaît comme une solution de replis en cas d’intempéries ;
- la facilité de sa mise en place, son peu d’exigence en terme d’espace et de qualité de surface, par rapport au tennis (ou le rebond nécessite un sol impeccable). Le badminton peut se pratiquer aisément, «presque partout») (en intérieur comme en plein-air, dans une salle de fêtes comme sur la plage) et ne nécessite qu'une surface réduite (il est même toujours possible de réduire les dimensions «officielles» du terrain, pour l'adapter à la superficie disponible). Comme nous le verrons dans un prochain article traitant des différents jeux utilisant un volant, des déclinaisons du badminton en version réduite seront même imaginées (principalement badminton sur table et volley-badminton) ;
- le faible coût de son installation : un filet et deux poteaux suffisent.
Dès lors, le badminton est présenté comme un intéressant palliatif au tennis, mais aussi comme le concurrent direct d'un sport plus coûteux, plus gourmand et exigeant en terme d’espace, qu’il pourrait bien détrôner…
La Grande Guerre a stoppé net les quelques îlots de développement du badminton en France et mis un coup d’arrêt aux publications d’articles de presse le mentionnant.
Durant le conflit, quelques bulles de pratiques informelles se sont sans doute maintenues. On trouve une micro trace de cette persistance dans la presse, au détour d’un article paru le 1er octobre 1916 dans le périodique La Mode Illustrée, où Mme «Touche-à-tout» donne des conseils sur l’entretien et la réparation du matériel de sport (golf, crosse de hockey, battes de baseball, ballons de football), et notamment les filets et les cordages des raquettes de tennis, mais aussi de «badmington» :
En Angleterre la pratique des sports, dont le badminton, a fait partie des distractions «saines et fortifiantes» proposées aux femmes qui œuvraient dans les usines d’armement, remplaçant les hommes partis combattre. Un article paru le 20 août 1919 dans Le Pêle-Mêle, traitant de l’intérêt porté dans les pays anglo-saxons à l’éducation professionnelle des employés des grandes entreprises, s’en fait l'écho :
Aux lendemains de la Grande Guerre, le badminton, sport «charmant», va être encore présenté comme «inconnu chez nous».
Il va à nouveau être appréhendé comme une alternative au tennis du fait de sa facilité et rapidité de mise en place. Une sorte de succédané d’une pratique très élitiste, un ersatz pour jeunes gens moins fortunés qui ne peuvent avoir «un tennis à leur disposition».
Le 12 décembre 1920, dans Les Annales Politiques et Littéraires (revue hebdomadaire qui connu un grand succès, notamment auprès de la bourgeoisie provinciale), Le Badminton est pour Gaston Sévrette une solution pour les jeunes gens et les jeunes filles qui «se lamentent de n’avoir pas un tennis à leur disposition». Et de souligner que «le jeu ne nécessite aucune préparation coûteuse du terrain […], comme le volant n’a pas à rebondir sur le sol, la qualité du terrain importe assez peu».
Sévrette donne quelques indications, très rudimentaires, sur les dimensions du terrain et la hauteur du filet «qui peut varier avec l’âge des joueurs, enfants ou adultes»… Le badminton apparaît toujours comme un jeu passe-partout, aux règles somme toute fort simples, auquel «on peut jouer à deux, à quatre ou à six» !
En 1921 (le 17 juillet), toujours dans Les Annales Politiques et Littéraires, Gaston Sévrette revient sur la facilité d’installation d’Un Nouveau Jeu Anglais, selon lui «jusqu’ici, l’objet d’un dédain tout à fait injustifié», pouvant être installé «en un clin d’œil» :
«Le badminton possède ce notable avantage de ne nécessiter aucun terrain laborieusement préparé. Quelques mètres carrés de gravier ou de prairie lui suffisent.»
Il est par ailleurs accessible aux dames, car il n'est pas sans rappeler «certains de nos amusements traditionnels où se montrait la grâce des femmes d’autrefois», l’auteur considérant que «la force y est superflue». Pour preuve, les dames anglaises «y jouent couramment avec des partenaires masculins, qui ne sont pas toujours les vainqueurs».
Autre avantage : «L’activité qui se déploie au badminton est un des meilleurs préservatifs des dépressions physiques.»
Suit, cette fois-ci, une description très détaillée des dimensions du terrain et des règles du jeu, Georges Sévrette ayant soit mis à profit les huit mois séparant ses deux contributions pour vraiment s’informer, soit s’étant inspiré d’un règlement accompagnant l’un des kits de «Jeu de badminton» (raquettes, volants, filet, poteaux, etc.) que des magasins spécialisés commençaient à proposer à la vente en boutique et par correspondance… La hauteur du filet est désormais précisée avec exactitude («1 mètre 52 au-dessus du sol, au milieu, et à 1 mètre 55 aux poteaux»).
En conclusion, l’auteur pense avoir démontré que le badminton est «un tennis à portée de tous », d’autant qu’en fonction de la lourdeur du volant utilisé, il peut être joué avec des raquettes de tennis : «Les volants peuvent être en liège ou en caoutchouc, ces derniers nécessitent l’emploi de raquettes fortes, celles du lawn-tennis».
Le mois suivant, le 14 août 1921, dans la même revue, Marguerite Lheureux, qui très certainement dirige une maison de ventes par correspondance («Mon amie de Paris»), propose à ses «Amies [qui] trouvant le jeu de tennis trop fatigant, ou ne disposant pas du terrain nécessaire, le jeu de Badminton. [Un jeu] tenant à la fois du tennis (il y a un filet) et du volant [qui leur] procurera un exercice agréable et salutaire».
Entre «ceinture enveloppante» pour dames, torchons essuie-verres, lames de rasoir ou encore fers à repasser électriques, elle propose dans ses «Offres de la quinzaine», un «jeu de badminton. — Complet, composé de quatre raquettes, quatre volants, un filet, une paire de poteaux, une garniture de cordes, un maillet, une règle du jeu : le tout, en boîte : 170 fr., port dû.» Ce qui était loin d’être à la portée de toutes bourses [1] .
Le badminton, autant par intérêt économique que par méconnaissance, est ici présenté comme une activité convenant plus particulièrement aux dames et aux mères de famille, attachées à la gestion du foyer familial. Un jeu (plus qu’un sport) convenant aux femmes et aux enfants.
Comme l’observe Julie Gral dans sa thèse, «le badminton demeure plébiscité pour les femmes, les jeunes filles et se place ainsi du côté des jeux et pratiques peu énergétiques, à visée hygiénique ou esthétique et non comme un sport athlétique» [2].
Le 16 mars 1922, dans l’entre-filets «Jeux et Récréations. Le Badminton», Le Nouvelliste de Bretagne reprend quasiment mot pour mot le contenu d’un article paru en 1888 dans La Grande Encyclopédie Méthodique, Universelle, Illustrée, des Jeux et des divertissements de l’esprit et du corps.
Le 6 novembre 1928, Le Miroir des Sports publie un billet humoristique sur un «jeu presque inconnu chez nous [faisant] fureur en Angleterre», mais que «les oies n’approuvent pas» !
Le pigiste s’inquiète du nombre de plumes nécessaires à la confection de volants et plaisante sur la quantité de volatiles que cela implique d’occire (et de manger).
Les oies sont-elles prêtes à se sacrifier Pour le badminton ?
Quasiment un an plus tard, le 12 juillet 1929, le même Miroir des Sports féminise radicalement le badminton, appréhendé comme un exercice physique non-violent quasiment conçu Pour les femmes ! «Sport de beauté [certes] plus énergique [que le] vieux jeu, à peu près abandonné, de la raquette et du volant [mais qui] ne réclame que des mouvements gracieux et de nature à améliorer l'esthétique du corps féminin» :
En juillet 1929, le journal Le Quotidien publie un article signé Raymond Gérard : «Rajeunissons le vieil internat. La monotonie de la vie scolaire pourrait être aisément transformée en une série de jours heureux». Le badminton, qualifié de «tennis au volant, sur court réduit», est mentionné comme une «vivante activité physique» bien utile pour «égayer les mines moroses» des lycéens [3] .
Les années 1930 vont être marquées par la montée des nationalismes, un repli identitaire et une nostalgie des valeurs passées. Une atmosphère qui ne manquera pas de transparaître au détour de plusieurs portraits dressés du badminton (ou badmington) par une presse franchouillarde qui le présentera comme un divertissement initialement français, accaparé, modifié et rebaptisé par les Anglais d’un nom barbare, comme bien d’autres jeux traditionnels appartenant au patrimoine hexagonal…
Si les articles qui vont suivre font référence au jeu du volant, c'est soit pour dénoncer son appropriation et son détournement par des Anglais peu scrupuleux, soit pour insister sur les différences séparant ce «sport d’aujourd’hui» avec le «jeu d’antan».
Pour Julie Grall, la période de 1931-1939 marque le Retour du badminton en France, sa réimplantation, avec la naissance de nouveaux clubs sous l’impulsion de structures marchandes (principalement la société Babolat-Maillot-Witt, qui confectionne, entre autres, des boyaux pour raquettes de tennis et cherche à étendre son activité commerciale). Des exhibitions de badminton vont être ainsi être régulièrement organisées. Un spectacle attractif dont la presse va se faire l’écho [4] .
À noter, début 1931, la création à St-Jean-de-Luz (la «métropole sportive du Sud-Ouest» [5]), d’un nouveau club, le Indoor Sporting Club, qui «a pour animateurs des dames et des sportsmen de la colonie étrangère et de la société française», dans «le but de pratiquer les divers jeux sportifs de salon [ou d’intérieur], tel que golf miniature, badminton, tennikoits, ping-pong, etc.» (L’Indépendant des Basses-Pyrénées, 5 mars 1931).
Le 9 mars ce club organisera sa «première manifestation importante en faisant disputer un tournoi de badminton sur ses courts du Casino de la Pergola» (La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, 16 mars 1931, p. 3). Deux journées d’éliminatoires suivies de finales, disputées un jeudi «avec acharnement». Les prix «intéressants» furent remis aux vainqueurs «au cours du thé qui suivit la proclamation des gagnants». On retrouve ici l’image du badminton comme pratique de loisir, dans un entre-soi mondain et privilégié.
Le 9 février 1933, L’Ami du Peuple (« Un nouveau sport : le badminton ») annonce une enthousiasmante «exhibition de joueurs étrangers» de badminton, un «véritable sport» toujours «complètement inconnu en France, mais qui connaît une vogue sans cesse croissante en Angleterre».
L’auteur insiste sur sa dimension sportive.
Contrairement à ce que laisserait supposer la «fragilité extrême» des instruments du jeu («longues et fines» raquettes, «ravissant petit volant à plumes blanches »), ce sport «est un véritable sport », demandant «beaucoup d’adresse et de prompt réflexes».
Le journaliste, d’un quotidien «ouvertement xénophobe, antisémite et nationaliste […] destiné aux classes moyennes» (fondé par le parfumeur François Coty), ne manque pas de conclure sur une note patinée de chauvinisme : «En France, il suffit que des étrangers nous rapportent un vieux jeu français, arrangé au goût du jour, pour qu’on pousse des cris d’enthousiasme.»
Le 18 février 1933, dans sa rubrique «La vie sportive», Le Figaro consacre également quelques lignes à cette «intéressante démonstration» d’un sport «très en vogue en Grande-Bretagne, [qui] est encore, tel qu’il se pratique actuellement, inconnu en France.» Un sport qui «développe énormément les réflexes, […] demande une grande sûreté de coup d’œil et beaucoup d’adresse». Des qualités sportives qui le distinguent à coup sûr de l’ancien jeu du volant : «Les spectateurs, en voyant les petites raquettes et les volants, se crurent reportés à maintes années en arrière, du temps que les [les jardins des] Tuileries étaient le rendez-vous des joueurs et joueuses de “volant”, mais ils s’aperçurent vite qu’il y a loin du “jeu” d’antan au “sport” d’aujourd’hui.»
Le lendemain, le 19 février 1933, on trouve en Une du Progrès de la Somme, un intéressant article de Jean Garin-Lhermitte, patiné de nostalgie, qui éclaire sur la perception du badminton et ses attaches/rivalités avec le Jeu de volant. L’auteur, après avoir déploré que ce «jeu de l’élégance parfaite» n’ait plus été considéré que comme un jeu de fillettes, s’élève contre sa sportivisation britannique. Une réglementation, une normalisation qui, outre le barbarisme dont il est désormais affublé, a «dépouillé le volant de sa fantaisie et de sa grâce pour en faire un jeu dont on “apprendra la technique !”».
« Le jeu de volant dont je veux parler est précisément le jeu de l’élégance parfaite.
Quand j'étais enfant, on réservait ce jeu aux fillettes. C'est que que la Révolution, le triste Empire et l’ennuyeuse louiphilipparde avaient dédaigneusement rejeté ce joli jeu français vers les toutes petites.
Henri III en fut un fervent, ma-t-on dit. Mais cela me reste indifférent. Il y a quinze ans [...] j'ai encore trouvé des partenaires pour ce sport gracieux.
J'attends avec impatience celui qui chantera l'élégance du petit volant plombé évoluant très haut et qui renvoyé par la raquette, repartait avec un bruissement d'insecte.
Nous allons bientôt voir la mode du volant s’installer en France. En effet, les Anglais viennent d’orner ce jeu bien français d’un nom affreux. Il s’appelle le Badmington [sic]. Cette appellation barbare nous suffira pour l’adopter. Ainsi avons-nous fait pour l'enfantin Ping-Pong [...], pour le football, notre vieux jeu de balle au pied et pour notre vieille paume devenue lawn-tennis après avoir été ornée d'un filet.
Les Anglais, qui n’ont pas de fantaisie, ont donc réglementé le jeu de volant. Après l’avoir dénommé comme je vous l’ai dit, ils ont décidé que le volant pèserait cinq grammes – ce qui est un non-sens – et aussi seize plumes – ce qui a toujours été. Ils ont décidé que les joueurs seraient séparés par un filet, comme au lawn-tennis et ils ont fixé la hauteur de ce filet et la distance de recul des joueurs.
Bref, ils ont dépouillé le volant de sa fantaisie et de sa grâce pour en faire un jeu dont on “apprendra la technique !”.
Apprendra à jouer ! ces deux mots jurent de se voir accoupler. Mais il paraît que cela amuse nos petits-neveux. Tant pis pour eux.
Nous, nous jouions au gendarme et au voleur, et aussi au sauvage : C'est moi le sauvage, disait-on, ici c'est la prairie...
La prairie ! c'était la cour de récréation du collège. Mais nous avions, nous, une imagination débridée et non systématique.»
On trouve une « définition » similaire du jeu le lendemain même du précédent article, le 20 février 1933, dans L’Intransigeant : «Voulez-vous jouer au badminton ?», après que son auteur ait assisté à une démonstration au Sporting Club de Paris : «C’est, en somme, le jeu de volant, délices de nos premiers ans, perfectionné à la limite du possible.»
Son auteur insiste sur le mélange de finesse et de force que combine un sport qui, étonnamment, démontre que les femmes sont également capables de jouer à la volée : «Le plus curieux fut de voir des joueuses s’évertuer, non sans éclat, en ce jeu de volée qui, au tennis, n’est pas précisément un exercice féminin.»
Le 26 mars 1933, dans l’hebdomadaire L’Illustré du Petit Journal, Jean Lecoq (patronyme de souche bien française), ouvre le copieux exposé qu’il consacre aux «Jeux qui renaissent» en s’intéressant au «badmington» :
«À la vérité, ce jeu de « badmington” dont raffolent, en ce moment, nos voisins est une sorte de compromis entre le jeu de volant et le tennis. C’est un volant qui remplace la balle. […]
Attendons-nous à voir ce sport nouveau – ou plutôt renouvelé du passé – fleurir chez nous cet été. Les Anglais nous l’imposeront certainement avec le nom qu’ils lui ont donné, comme ils nous ont imposé le nom de “tennis” pour le vieux jeu de paume qu’ils nous avaient emprunté jadis, et les noms de ”golf” et de ”football” pour nos anciens jeux de soule à la crosse et de soule au pied.
Ils excellent, en effet, à réimporter ainsi, avec leur marque nationale, toutes sortes de sports qu’ils ont empruntés jadis aux pays étrangers, et qu’ils leur rendent affublés de dénominations britanniques.»
L’article s’appuie sur une illustration du jeu du volant devenue classique à partir de la fin du XIXème siècle, à la fois champêtre, juvénile et essentiellement féminine. Une représentation qui perdure alors dans les dessins illustrant les chromos publicitaires colorés, ces petites vignettes à collectionner remises aux enfants par les Grands magasins, des boutiquiers ou encore des marques soucieuses de toucher, par le biais d’un jeune public, les mères de famille (voir à ce sujet : «Chromolithographie, Chromos, Éphéméras et “Jeu du Volant”» et «Chromos publicitaires et jeu du volant»).
Ce texte empreint de chauvinisme et d’antibritannisme passe ensuite en revue tous les ancestraux divertissements «bien français», pour ne pas dire Gaulois, que les Anglais nous auraient piqués avant de nous les rendre, quelques siècles plus tard «affublés d’un nom de leur choix» (paume en tennis, «soule au pied» devenue football, «soule à la crosse» devenue golf, jeu de mail transformé en croquet).
Dans un article de Guy d’Assonville, «“Badmintonnez-vous” comme Ladoumègue, Assolant, Augustin et A.N. Bloch ?», publié dans L’Auto-Vélo, du 23 novembre 1933, outre le retour du verbe «badmintonner» (déjà utilisé en 1913, mais avec un seul «n» [6] ), on note l’utilisation de «badmintonneur» (mentionné entre guillemets) pour désigner «l’as “badmintonneur”» du moment : A. N. Bloch [7], le tout nouveau Champion de France. Un athlète auquel deux autres vedettes du sport français, Jules Ladoumègue (qui semble-t-il écopa d’un coup de raquette) et (sans doute Jean) Assolant, décidèrent de se mesurer en renvoyant «le mieux possible un petit volant, plumé de blanc».
Smashs impressionnant, vivacité des déplacements de Ladoumègue (qui pourtant en perdit ses illustres jambes), «“carottes” stylisées» d’Assolant : «Tout ce déploiement de qualités exceptionnelles nous amena à considérer l’avenir du badminton avec optimisme et nous verrons bientôt, sans aucun doute, de nombreux sportifs français badmintonner avec rage !»
Le 9 janvier 1934, L’Œuvre voit dans le «Badmington» à la fois un concurrent pour les tennismen et un plus pour leur préparation.
Le badmington, ce «sport nouveau venu [qui] s’apprête à conquérir la France [est] pourtant centenaire : c’est l’ancien jeu de volant rénové par l’expérience du tennis». Le texte est ponctué par les similitudes avec le tennis, tant au niveau de la configuration du terrain («un court de tennis très réduit»), que par certains gestes («la technique s’apparente au tennis lorsqu’on monte au filet» et, du fait de la hauteur du filet «tous les coups [seraient] des dérivés du “smash”»). Ainsi ce jeu est envisagé comme à la fois un complément au tennis, en «permett[ant] aux tennismen d’éduquer leurs réflexes et les coups qu’ils ont trop l’habitude de négliger», mais aussi un «concurrent», car «l’exiguïté du terrain et le bon marché de l’équipement risque de rendre ce sport assez vite populaire».
Deux semaines après, le 20 janvier 1934, c’est le journal Le Jour qui posera à son tour la question de la concurrence entre les deux sports, dans le titre d’un article d’Alain Bernard : «Un concurrent du tennis ? Le jeu du badminton ou la renaissance du volant».
Avec justesse le journaliste note dans son introduction les différences de trajectoires historiques de part et d’autre de la Manche, entre le «simple jeu du volant» qui, en France, alors qu’il possédait de «nombreux fervents», était devenu «de plus en plus l’apanage des enfants», tandis qu’en Angleterre il muait en «badmington». Un «jeu gracieux» certes, mais aussi (et surtout) un «sport athlétique» qui n’a dès lors plus guère à voir avec le jeu du volant : «En voyant bondir et frapper les champions actuels, conclut Alain Bernard, on s’aperçoit qu’il y a loin du petit jeu d’antan».
Si la presse commence à nettement distinguer le badminton du jeu du volant, les images de distraction enfantine associées à ce jeu imprègnent et alimentent les représentations et vont se révéler être un puissant frein à la diffusion du badminton, perçu comme un loisir pour fillettes, par ceux qui en ont entendu parler (alors sans doute bien peu nombreux).
Comme nous le verrons dans une recherche sur les portraits photographiques d’enfants (réalisés en studio) où ceux-ci prennent la pose avec les instruments de leurs jeux favoris, nombreux sont ceux (fillettes mais aussi garçons) qui, à la même époque, tiennent en main une raquette et un volant qui n’ont d’évidence rien à voir avec le badminton mais essentiellement avec le jeu du volant !
Le 25 janvier 1934, Robert Poc dans L’Écho de Paris («Le nouveau sport officiel en France : le badminton») annonce la création d’une Fédération française de badminton et le début d’implantation de clubs dans la région bordelaise. Il reprend le récit de la naissance (spontanée) du badminton, un jour pluvieux (comme il y en a souvent en Angleterre), où, pour se distraire, des amis du Duc de Beaufort montèrent un filet et échangèrent un volant avec des raquettes récupérées à la nursery…
S’intéressant aux membres composant le bureau de cette nouvelle Fédération («une de plus») et constatant leurs liens avec le tennis, le chroniqueur «sent nettement que le tennis a voulu s’assurer le contrôle de ce nouveau sport». (En 1941, le gouvernement de Vichy dissoudra la FFB et placera le badminton sous la tutelle de la Fédération Française de Lawn-Tennis - FFLT).
Cette qualification de sport le faisait sourire. Le «désuet “jeu de volant” de jadis» pouvait-il être devenu un sport…
Aussi, par «acquit de conscience», c’est avec le dessinateur attitré du journal, Caza, que notre journaliste sceptique, «muni de raquettes fines, aux manches étroits et flexibles et d’un volant aux plumes blanches», se rendit sur «une sorte de “court” de tennis miniature : environ le tiers des dimensions réglementaires» pour «convenir, après[une] courte séance, que ce sport – employons le mot, il est exact – nécessite un effort athlétique soutenu. Au bout d’un quart d’heure, nous étions littéralement en nage.
Il faut des réflexes raides, des élans subits. […] Sans cesse il faut porter attention à l’envol des soyeuses plumes blanches, calculer sa distance, prévoir la feinte, prêt à bondir ou à reculer.»
Et de conclure : «Et maintenant, il ne reste plus qu’à souhaiter longue vie au badminton», un sport qu'il ne considère plus comme «un jeu de petites filles», ce que souligne (ci-contre) la légende de l’un des deux dessins de Caza !
Le 27 avril 1934, Le Petit Courrier s’intéresse à ce «sport actuellement en vogue à Paris et qui ne manquera pas de se développer en province» :
«Oui ! C’est en effet un jeu de volant comme celui de nos grand’mères, dont parle Madame de Sévigné, et auquel se livrent les petites filles dans les préaux des écoles.
Le premier mouvement de dédain que suscite cette explication n’est pas justifié cependant. Le Badminton est un vrai sport […].
Tous les coups se jouent de volée de sorte que le badminton est au moins aussi rapide que le lawn-tennis [tennis sur gazon], demande la même rapidité de coup d’œil, la même précision d’exécution des coups et permet les mêmes finesses.
Par la suite de la légèreté du volant et de la raquette, l’effort musculaire est moindre et, loin d’être un concurrent du lawn-tennis, le badminton en est plutôt le complément ou l’initiation. Il est possible aux enfants de le pratiquer alors que leurs forces physiques leur permettent difficilement de manier la raquette de tennis et de soutenir le choc de la balle, et aux dames de s’y adonner sans effort anormal.»
C’est un «sport d’hiver» qui permet aux tennismen de se conserver «en bon état physique» mais aussi d’«améliorer [leur] jeu, particulièrement dans le smash et le revers par une meilleure utilisation du mouvement du poignet», durant la morte saison, lorsque pratiquer en extérieur devient difficile en raison d’un climat moins propice :
«Par la suite de la légèreté du volant le Badminton est surtout un sport d’hiver et se joue dans un local clos à l’abri des courants d’air qui influeraient par la trajectoire du volant. Il est peu de villes ou même de villages, où l’on ne puisse disposer d’une salle, garage, école, etc. de 15 mètres sur 7 et dans les grandes villes où il existe des tennis couverts on peut installer, sur la même surface qu’un court de tennis avec son recul normal, quatre courts de Badminton, et permettre ainsi à 16 joueurs de s’exercer en même temps au lieu de quatre. Au point de vue des frais ceci est une considération importante. L’éclairage d’un court de Badminton ne nécessite qu’une dépense minime de courant, surtout si l’on place plusieurs courts parallèlement les uns aux autres .
Le Badminton permet à ceux, retenus le jour par des occupations sédentaires de se livrer le soir, à peu de frais, à un exercice athlétique salutaire.»
Le 30 septembre 1934, Le Progrès de la Somme annonce dans un entrefilet une «démonstration» de ce «beau sport» par des membres de la Fédération Française de Badminton. Un «jeu [surtout] séduisant par sa vitesse», où :
«Contrairement à ce que l’on pourrait penser à prime abord, le joueur doit constamment déployer une grande force physique, afin de vaincre la résistance occasionnée par les plumes du volant. Par suite de ce fait et aussi de la rapidité des déplacements, le Badminton, pratiqué par des joueurs exercés, devient un des sports les plus rapides et les plus fatigants qui soient.»
Le 25 octobre 1934, dans une chronique signée par «Le M’est-a vis», le même journal publie un texte virulent et caustique à l’égard de la démonstration de badminton faite à Amiens (pourtant annoncée positivement dans la précédent édition). Le badminton est présenté comme «un nouveau jeu qui se pique d’être un sport depuis qu’il a pris un pseudonyme anglais et qui offre l’avantage aux yeux des sportifs de complexion fragile de n’exiger que des efforts modérés.»
Aussi ne devrait-il pas tarder «à devenir à son tour, éventualité souriante ! un «sport d’estaminet», pour le plus grand plaisir des Limonadiers…
Pour l’auteur de ce quasi pamphlet, le badminton qui se targue d’être totalement nouveau se révèle n’être qu’une reprise éhontée, voire une singerie, du jeu de volant :
«La démonstration de badminton qui fut faite aux Amiénois n’a pu, malgré un déguisement anglo-saxon, prendre à leurs yeux l’éclat d’une nouveauté fulgurante.
Que celui qui n’a jamais joué au volant pour voir sourire une fillette à la recherche d’un partenaire, se déclare stupéfait à la révélation du badminton !
Les lanceurs de sports nouveaux ne se donnent même plus la peine d’innover. Ils ressassent, rabâchent, rebattent et radotent.
Mais l’esprit singe qui nous anime a toujours paru jusqu’à maintenant leur donner raison et gageons qu’avant peu il n’y aura pas trop de plumes au croupion des poules pour garnir le bouchon de liège que des citoyens éligibles lanceront à coups de raquette avec le sérieux du baudet qu’on étrille.»
Dans Le Jour du 9 avril 1935, Alain Bernard, journaliste, par ailleurs joueur de tennis «de valeur» (qui, comme nous le verrons dans l’article suivant, s’était frotté à un champion Canadien à l’occasion d’un Championnat international) souligne qu’il ne faut pas assimiler «le badminton au jeu de volant de nos grands’mères», comme le font «beaucoup d’esprits légers».
Celui-ci s’en distingue résolument par sa composante athlétique : «Détrompez-vous, le jeu de volant a évolué, il est devenu un sport, non par la seule vertu de son appellation britannique […] mais par la manière athlétique dont il est pratiqué actuellement».
Il ne faut pas se fier aux apparences. La réalité du jeu, le gabarit des joueurs prouve indubitablement que le badminton n’est nullement un jeu de fillette : «Les fines raquettes et le volant aux plumes soyeuses évoquent davantage des échanges ralentis, adoucis, des gestes un peu précieux, que des coups violents et rapides, et pourtant… Allez voir le champion irlandais Maconachie, un géant aux épaules impressionnantes […] et vous me direz après si c’est un jeu de demoiselles. »
Le 7 avril 1935, le journal L’Excelsior, publie une article signé André-G. Gignoux, «Le badminton est-il le sport de demain ?».
Le journaliste qui signale la création de la Fédération Française de Badminton (sous la présidence d’Ernest Feret) souligne tout l’intérêt qu’il y aurait «pour les joueurs et surtout joueuses de tennis qui manquent singulièrement de détente et de souplesse» à pratiquer un sport qui pour exceller demande aussi «du souffle et des réflexes». Ainsi, le badminton constituerait-il un complément d’entraînement au tennis, particulièrement profitable pour travailler la volée, «car le badminton est seulement un jeu de volée».
Il conclut, en insistant sur l’aspect énergétique d’un sport physiquement bien plus exigeant qu’il n’y paraît, citant la réaction de son confrère Alain Bernard (voir ci-dessus l’article «Plumes au vent. Le badminton sport méconnu») qui quelques minutes après avoir engagé une partie contre un champion Canadien, déclare, «en haletant “qu’il n’aurait jamais pensé que ce damné sport fût si fatigant”».
Ici, plus aucune référence au désuet jeu du volant, si ce n’est en filigrane.
Le badminton apparaît comme un sport à part entière, qui «offre des attraits différents» que ceux du tennis, procure de «belles joies athlétiques» et séduit l'assistance : «Les parties se disputent devant un nombreux public qui a vite appris à apprécier le beau spectacle qui lui est offert.»
Deux mois plus tard, le 1er juin 1935, le même André G. Gignoux publie un article dans Ric et Rac (Grand Hebdomadaire pour tous) : «Le badminton, sport de demain ?».
Le journaliste met l’accent sur l’éprouvante (et inattendue) intensité physique du jeu qui sollicite intensivement les organismes et surprend les tennismen s’y essayant. Un effort auquel ils ne sont pas habitués, qui finalement les «découragerait» et les détournerait d’un sport où ils ne performent pas, déclarant, dans une pirouette, qu’il nuirait «à leur forme»…
Le badminton est présenté comme un sport particulièrement exigeant, «oblige[ant] les joueurs à un effort continu extrêmement pénible.» Un sport jusque-là ignoré par les «vedettes du tennis» qui le snobent, alors qu’il leur serait bien utile.
«Quelques-unes, cependant après y avoir tâté, ont déclaré que sa pratique nuisait à leur forme. Nous pensons plutôt que le badminton leur permettrait d’améliorer leur volée et d’acquérir le souffle, la souplesse et les réflexes qui leur manquent parfois.
Peut-être aussi les tennismen ont-ils été découragés par la violence de l’effort, comme notre confrère Alain Bernard, joueur de valeur qui, engagé dans le championnat de badminton, déclarait en haletant au bout de dix minutes de sa partie contre le Canadien Robertson, “qu’il n’aurait jamais pensé que ce damné jeu pouvait être aussi fatigant”.
Car le volant est si léger qu’il faut le jeter de toutes ses forces pour avoir quelques chances de l’envoyer au-dessus du filet. Jugez de l’effort que doivent fournir ces athlètes qui, pendant environ une heure, décochent des “smash” à tour de bars pour essayer d’écarter le volant hors de portée de leur rival ; une heure pendant laquelle ils doivent se précipiter au filet pour déjouer les ruses subtiles de l’adversaire et courir en arrière, se redresser et, d’un coup de reins, gracieux et athlétique, reprendre le volant et l’expédier avec la même violence qui serait nécessaire pour envoyer la balle de tennis à cent mètres.»
Les particularités et exigences sportives du badminton se diffusent dans la presse régionale, notamment à l’occasion d’invitations de journalistes à des matchs de démonstration, organisés par les clubs et la Fédération française dans un souci de développement :
Le Patriote des Pyrénées du 6 novembre 1935 annonce, pour le 11 novembre, une «grande exhibition», entièrement gratuite, dans la salle de Jeu de Paume de Pau, réalisée dans le cadre d’une «tournée de propagande» du Badminton club de France. Il souligne l’accessibilité d’un «nouveau jeu que tout le monde peut pratiquer». Un jeu «très facile et amusant», mais que le débutant n’aborde «pas avec la même virtuosité, car pour atteindre une bonne force, il faut être souple, avoir beaucoup d’adresse, des réflexes sûrs et suffisamment d’endurance».
Aussi attire-t-il l’attention des joueurs de tennis sur l’intérêt de «la pratique du Badminton» qui «leur permettra d’améliorer leur jeu de smash, leurs revers, en leur donnant beaucoup de souplesse du poignet».
Le 8 novembre 1935, sous la rubrique «Tennis», Le Petit Troyen édite un court texte qui insiste, lui aussi, sur les avantages qu’il y aurait pour un tennisman à pratiquer une «excellente et complète spécialité […] vraiment digne d’intérêt» :
«La pratique du Badminton a le gros avantage pour les joueurs de tennis, de leur permettre d’améliorer considérablement leur jeu de smash et de revers, en leur donnant cette souplesse du poignet nécessaire.
Ce badminton développe les réflexes car extrêmement rapide, surtout en simple.
Comme le volant employé n’a pas de rebond, il ne s’écarte pas du jeu. Ce qui permet d’être constamment en action.»
Amélioration du smash, du revers et des réflexes s’ajoutent désormais au travail de la volée, mais aussi plus intense sollicitation cardiaque du fait de la continuité du jeu et de la réduction des temps de récupération entre les échanges. Le volant, contrairement à une balle de tennis étant rapidement ramassé et remis en jeu.
Le 27 novembre 1935, en une de L’Athlète. Journal Hebdomadaire de tous les Sports, Jean de Faucon rend compte de sa perception du jeu «Après les exhibitions de Bagminton [sic !] au Jeu de Paume» (une erreur certainement due au typographe, puisqu’à l’intérieur de l’article badminton est correctement orthographié, mais une savoureuse coquille). Une première démonstration d’un sport «particulièrement attrayant» réalisée par «les meilleurs spécialistes français», dans une «tournée de propagande en faveur du badminton» placée sous l'égide de la Fédération Française.
Outre l’insistance sur le peu d’exigences spatiales d’un sport ne nécessitant qu’un «emplacement réduit» (préau d’école, salle de fêtes, garage), et «n’importe quel sol à-peu-près plat», Jean de Faucon souligne à l’instar des précédents comptes-rendus de dépasser les trompeuses premières impressions :
«Lorsque l’on voit la petite raquette de badminton et le volant, on serait tenté de croire qu’il s’agit d’un sport pour personnes délicates. Il faut au contraire, dépenser au badminton une grande force physique afin de vaincre la résistance occasionnée par les plumes du volant. Par suite de ce fait et à cause de la rapidité des déplacements, ce jeu est des plus rapides et des plus fatigants.» D’autant, que le volant n’ayant pas de rebond, «il ne s’écarte pas du jeu, ce qui permet au joueur d’être constamment en action sans perdre de temps».
Toutefois, malgré cette densité dans l’effort, le badminton reste un sport distrayant, à la portée de tous, ceux qui ne sont toutefois pas totalement gauches :
«À moins d’être réellement très maladroit et très peu doué pour les sports, on peut, très rapidement, faire des progrès et être parfaitement en mesure de disputer des parties amusantes et pleines d’intérêt. Par sa diversité en effet, il permet d’obtenir des séries d’échange et des finesses pleines d’attrait».
Il est amusant de constater que la démonstration dont Jean de Faucon se fait l’écho a lieu dans un Jeu de Paume, une enceinte où deux siècles plutôt le Duc Philippe d’Orléans avait disputé d’intenses Parties de volant qui s’apparentaient par bien des points au badminton [8] . (Le dimanche 10 novembre 1938, c’est également dans un Jeu de Paume, celui de Bordeaux, que seront organisées successivement deux démonstrations avec le concours du champion et de la championne de France) (La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 6 novembre 1935.)
On trouve dans Marianne du 18 août 1937, un article intitulé «Jeux d’été. Badmington» qui présente le jeu comme bien plus agréable que le tennis qui, lui, donne à voir «un assez triste spectacle» lorsqu’il est joué par des débutants. Des néophytes malhabiles décrits comme faisant partie d’un troupeau encagé dans un zoo. On est alors bien loin de «l’extraordinaire virtuosité des grands champions» !
Le ton moqueur, caricatural, caustique, tourne en dérision une activité mondaine, de «gens vêtus de blanc» qui passent plus de temps à ramasser des balles qu’à jouer (lorsqu’ils y arrivent) :
«Si au hasard d’une promenade vous vous approchez d’un enclos où l’on joue au tennis, vous verrez des gens vêtus de blanc enfermés dans leur cage se promener et ramasser inlassablement des balles et de temps à autre […] l’un d’eux lancera une balle. Cette balle passera-t-elle au-dessus du filet, sera-t-elle renvoyée par le joueur opposé ? Cela arrive en effet, mais rarement. La plupart des balles iront mourir dans le filet, les autres seront “out”. Un spectateur ignorant les règles de ce jeu pourrait se demander s’il n’est pas du genre : qui perd gagne, tant les joueurs semblent déployer d’adresse à lancer les balles de façon à les faire tomber le moins souvent possible à l’intérieur du quadrilatère dessiné par les lignes. L’immense majorité des joueurs jouent mal en effet, très mal. Ils le savent ; ils en souffrent.
Au lieu de se promener sans cesse sur le court, de ramasser tant de balles, de rater presque toutes celles qu’in envoie, comme ils aimeraient pouvoir véritablement “jouer” davantage. Mais ce privilège est malheureusement réservé à un petit nombre d’élus qui, d’ailleurs n’ont acquis leur habileté qu’au prix d’un continuel labeur. Si l’on joue si mal au tennis c’est que […] la vitesse des balles est trop grande pour l’adresse et la mobilité de la plupart des joueurs. Ne pourrait-on alors inventer un jeu analogue au tennis où l’on s’enverrait quelque objet moins rapide qu’une balle ce qui réclamerait moins d’adresse et de mobilité. Ce jeu existe. Mais […] on persiste à l’ignorer, ou à peu près, en France. C’est le jeu de badmington, sorte de tennis où l’on joue avec des volants.»
Un divertissement que « L. » distingue radicalement de l’ancien jeu du volant : «Le badmington est très différent de l’ancien jeu de volant en usage dès le XVIIe siècle et auquel Mme de Sévigné se plaisait à jouer». Ajoutant : «Il est certain que le badmington n’aurait pas obtenu en Angleterre un aussi grand succès, s’il n’était que l’anodin “jeu du volant” de nos grand’mères. C’est un jeu extrêmement vif et tout aussi varié que le tennis.»
Il apparaît aussi comme une passe-temps pouvant se jouer, à la différence du tennis, sans encombre dans des espaces réduits disposant d’un sol «à peu près uni» :
«Tandis qu’on ne peut jouer au tennis ni même “échanger des balles” dans une cour d’immeuble, sous un préau ou dans un jardin, soit que l’espace manque, soit qu’on risque de casser des carreaux, d’envoyer des balles chez le voisin ou encore de les perdre dans les buissons, le canal ou l’étang, on peut dans ces mêmes lieux impropres à un jeu de balle se livrer sans inconvénient à celui du badmington.»
L’auteur termine en conseillant aux tennismen de s’armer de raquettes légères, d’acheter de petits volants, de «tendre une ficelle qui, provisoirement, remplacera le filet et [de] se mettre à jouer au badmington» pour leur «plus grand plaisir». Ainsi, lorsqu’ils reprendront le tennis, «ils constateront que le badmington […] leur aura permis d’accomplir d’importants progrès dans le drive et le revers de volée.»
Le 2 mars 1938, Le Jour publie une des premières photographies prise sur le vif, en pleine action et en plan rapproché d’une très féminine joueuse anglaise (Miss M. Geer), saisie lors des Badminton Championships qui se sont tenus du 28 février au 6 mars au Royal Horticultural Hall de Londres (cette photo a été publiée initialement la veille dans le Daily Herald du 1er mars sous le titre «Down but not out» accompagné de cette légende : «Not a curtsy to her opponents, but the curious attitude struck by Miss M. Geer [...]») (Merci à Jean-Jacques Bergeret pour cette précision)
L’illustration est présentée sans plus de commentaires que sa légende qui rebondit sur l’élégance émanant de l’image. Une chute artistiquement maîtrisée, «avec la grâce d’une danseuse de l’Opéra», surlignant des qualités féminines que la gestuelle du badminton met en valeur.
Le 15 juillet 1938, dans Les Cahiers de Radio-Paris, Jean Prévost (journaliste et écrivain, connu dans la sociologie du sport pour son ouvrage Plaisir des sports, publié en 1925) conclut un article sur «Le sport anglais» en relevant tous les avantages du badminton, «un jeu anglais presque inconnu chez nous et qui pourrait faire merveilles» (par rapport au tennis) :
«Écoutez, vous tous qui dressez à grand’peine des filets de tennis dans les bois, les prés et les jardins publics, vos tous qui peinez à aller chercher les balles ; qui souffrez d’un terrain trop petit ou trop inégal pour faire rebondir la balle comme il faut. Le badmington [sic] est exactement ce que vous cherchez.
Le badmington [sic], c’est à peu près le jeu de tennis, mais avec un volant en place de balle. Jeu de week-end, jeu de campeurs, très facile à placer dans la nature, il est aussi un jeu de champions, et on écrit des livres sur sa tactique. S’il est un dernier cadeau que le sport anglais doive faire au nôtre, je souhaite que ce soit celui-là.»
Le 19 novembre 1938, L’Ouest Éclair (de Rennes), insère une entrefilet («Pour le développement du badminton à Dinan » qui, après avoir dénoncé la perception habituelle du badminton par ceux qui «qui n’ont pas vu pratiqué ce sport, surtout par des joueurs de classe, se figurent qu’il s’agit d’un simple jeu de volant digne tout au plus des pensionnats de jeunes filles», souligne «que le badminton est réellement un sport athlétique, au même titre que le lawn-tennis, et que son attrait spectaculaire est au moins aussi grand».
Enfin, le 15 mai 1939, dans Adam. La Revue de l’Homme, Raymond de Lavèrerie fait découvrir à ses lecteurs «3 sports peu connus», des «sports salutaires à peu près ignorés du public» qui, tant qu’ils ne sont pas «gâtés par le professionnalisme, la publicité et le snobisme [doivent] attirer les suffrages des gens de goût» : le Squash Rackett, la Paume et le Badminton. Un jeu où l’on « traite sans ménagements le gracieux volant des demoiselles. Cette balle empennée, c’est un oiseau nonchalant que les joueurs se renvoient avec violence par-dessus un filet haut placé, et les coups de raquettes crépitent comme des coups de carabine.»
L’ouverture de la chasse aux volants est déclarée !
Les hommes, tout autant que les dames peuvent désormais y participer ! Les adultes comme les jeunes.
Mais la Seconde Guerre Mondiale va, à partir de septembre 1939, imposer d’autres crépitements, bien plus violents, et mettre en sourdine ces quelques velléités badistiques.
[1] Marguerite Lheureux, «Carnet de “Mon amie de Paris”», Les Annales Politiques et Littéraires, 14 août 1921, p. 139.
[2] Julie Gral, Histoire du badminton en France (fin XIXe siècle – 1979) : Pratiques et représentations, Thèse de doctorat STAPS, Université de Rennes 2, 2018, p. 115.
[3] Raymond Gérard, «Rajeunissons le vieil internat. La monotonie de la vie scolaire pourrait être aisément transformée en une série de jours heureux», Le Quotidien, 16 juillet 1929, p. 1.
[4] Julie Gral, op. cit., p. 126 et suivantes.
[5] «Une attraction nouvelle», in La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, 27 février 1933, p. 2.
[6] Voir La Vie Parisienne , 19 juillet 1913, p. 507. Cité dans «Le badminton dans la presse française (1875-1914)».
[7] A.-N. Bloch préfacera, en 193[…], l’ouvrage publié par R. Taton, Règles du badminton conformes aux règlements internationaux. Historique et conseils.
[8] Se reporter aux «“Parties de Volant” de Monseigneur le Duc d’Orléans, Régent du Royaume, ancêtre du Badminton ?».