Gibier de plume – Un beau coup de fusil !
Cette partie de volant rurale, brutalement interrompue par un chasseur en mal de gibier à plume, a été publiée dans le journal humoristique Le Rire du 23 octobre 1909 (n° 351). L'amusante illustration est l'œuvre du dessinateur Carlègle, pseudonyme de Charles-Émile Égli (1877-1937).
Classé parmi les grands-maîtres de son époque, Carlègle est considéré comme le «dessinateur de la joie de vivre d'avant-guerre» (voir à son sujet : F. Bresc, «Biographie de Carlègle, illustrateur», 2020).
Créé en 1894, l'hebdomadaire Le Rire, autoproclamé «premier journal humouristique [sic]», rencontra un immense succès, avec un tirage dépassant rapidement les 300 000 exemplaires. Sa durée de vie fut exceptionnelle, puisque sa publication perdura jusqu'en 1971. Considéré comme le titre le plus célèbre de la Belle Époque, il n'eut qu'un seul véritable concurrent : Le Sourire (à partir d'août 1899).
Comme l'analyse Laurent Bihl, Le Rire offrait une palette de rires, une pluralité de formes comiques (satiriques, moqueuses, divertissantes, polissonnes, etc.) » [1]). Un humour à destination d'un public urbain, celui des passants qui croisaient ses couvertures sur les présentoirs des kiosques à journaux (le premier fut inauguré sur les Grands Boulevards en août 1857). Un rire bourgeois, puis petit-bourgeois. Rien d'étonnant que ce soit un campagnard, un ballot de chasseur, qui soit ici l'objet de la moquerie, un humour bon enfant, potache, qui aujourd'hui prête à sourire.
Ce rigolard beau coup de fusil nous rappelle qu'au XIXème siècle, alors que le jeu du volant était très populaire, des poètes ont régulièrement comparé le délicat emplumé à un oiseau, voire à une blanche palombe. Il était un gentil messager bondissant, virevoltant, fendant l'air, magnifiant l'azur de ses plumes argentées.
Tel ce refrain extrait de l'opéra-comique Les Poupées de l'Infante, joué pour la première fois en 1881 :
« Le volant léger bondit dans l’espace
Pareil à l’oiseau qu’on voit voltiger,
Gentil messager, il passe et repasse,
Une main d’enfant peut le diriger
Sous le choc des vives raquettes
Dans l’azur on voit tournoyer
L’argent de ses plumes coquettes
Comme l’aile d’un blanc ramier. » [2]
Ou encore, en 1825, ces vers de Pierre-Antoine-Augustin, Chevalier de Piis :
« Gloire au volant,
qui bondit sur la raquette,
Et dont l'élan,
Turbulent
Fait valoir le plumet blanc !.
[...]
Qui le lance au sein de la nue,
Sa chute libre et continue,
Jamais en rien ne l'exténue :
C'est un oiseau,
C'est un oiseau. » [3]
À l'automne 1871, Bizet n'a-t-il pas composé une Fantaisie pour piano décrivant en une poignée de secondes la course joyeuse et tournoyante du volatile ? (voir «Le vol du Volant par Bizet, andantino molto !»). Une minute et dix secondes de fraîcheur interprétée par Katia et Marielle Labèque, à écouter ICI (après l’annonce publicitaire…).
En 1822, dans la fable Le Volant et l'Enfant, M. Le Franc métaphorisait le volant en un oiseau bouchon.
En 1880, dans la chansonnette à deux voix, La Raquette et le volant (Paroles d'Amédée Burion – Musique de Frédéric Wachs), le gentil volant à la plume coquette, que La Raquette déclare aimer et auquel elle propose de s'unir, est là aussi magnifié en un élégant habitant de l'air :
« Le Volant : N'ai je pas [...],
La grâce enchanteresse
Des habitants de l'air ?
J'ai l'aimable élégance,
Les ailes de l'oiseau ;
[...]
La Raquette : J'admire ta vitesse,
Ton élan doux et fier,
Ta grâce enchanteresse,
Noble habitant de l'air.
Devant ton élégance
Et tes ailes d'oiseau,
Je m'incline en silence,
Puis je dis : qu'il est beau ! » [4]
En 1899, il apparaît encore dans la chanson enfantine La Raquette (Poésie de Camille Legrand — Musique pour piano de Henri Cieutat) «comme un oiseau nonchalant» qui plane et vole, vole ! [5]
Pas étonnant que ce piaf, ce Birdie (comme l'appellent toujours aussi affectueusement les anglais), ait, en 1909, inspiré Carlègle et, plus d'un siècle après, l'affichiste Stéphane Macario, que ce soit pour prendre, par balourdise campagnarde, un beau coup de fusil, ou pour annoncer, à grands coups de raquettes-déplumantes, l'ouverture d'une nouvelle saison de Badminton :
Cette production, qui précisait en légende que «Tous spécimens de gabarits inférieurs [à la taille réglementaire] seront relâchés», complétait celles de la nidification puis de l'éclosion d'un volant (une naissance humoristiquement décortiquée, en 2012, dans «Contribution à l'étude du cycle de vie d'un volant», un article qui s'interrogeait notamment sur la venue au monde des volanteaux).
Deux rares documents que nous nous republions ici :
[1] Laurent Bihl, «"Audaces fortuna Juven" : Les rires du Rire (1894-1914). Propositions et hypothèses sur la réception publique d'un périodique fin-de-siècle», Fabula / Les Colloques, «Le rire : formes et fonctions du comique», articles mis en ligne le 26 avril 2017 sur la site Fabula. La recherche en Littérature.
[2] Les Poupées de l’Infante. Opéra Comique en 3 Actes et 4 tableaux.
Auteurs du texte : Henri Bocage (1835-1917) et Armand Liorat (1837-1898)
Dédié à «Son Altesse Sérénissime Charles III Prince Souverain de Monaco»
Partition disponible sur Acrhive.org et sur Gallica.BnF
[3] Pierre-Antoine-Augustin, Chevalier de Piis, «Le Volant debout et assis», in Les Petits jeux innocens. Tableaux gracieux lithographiés par Aubry. Les petites scènes, rondes, airs nouveaux avec la musique sont de Mr le Chevalier De Piss, Paris, Augustin Le Grand, Éditeur, 1825.
Source : Kulturenbe Niedersachsen, en cliquant Ici.
À retrouver également dans Frédéric Baillette, «Le volant aux nues de la poésie».
[4] «La Raquette et le volant» (1880), Paroles d'Amédée Burion — Musique de Frédéric Wachs (Partition intégrale, fournie par Bru Zane Mediabase. Ressources numérique de la musique romantique française). Texte intégral disponible dans «Le volant aux nues de la poésie».
[5] Camille Legrand (poésie de) et Henri Cieutat (musique pour piano de), «La Raquette», 1899. In Chansons Enfantines, Supplément Musical de L'Illustration, Numéro de Noël 1899-1980. Texte et partition disponible dans «Le volant aux nues de la poésie».