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Publié par Frédéric Baillette

    Tout au long du XIXème siècle, des journalistes, des écrivains, poètes, romanciers ou encore des caricaturistes ont recouru au jeu du volant pour imager leurs pensées, illustrer un message, une idée.
    Si ce jeu se prêtait aisément à l’analogie et à la métaphore visuelle, c’est qu’il était alors un amusement très populaire, connu de tous. La référence faisait immédiatement sens, percutait les imaginaires. Le clin d’œil parlait aux lecteurs qui avaient pratiqué ou observé un amusement qui n’était pas réservé qu’aux enfants. Adeptes ou spectateurs, ils avaient retenu la monotone régularité du va-et-vient du jeu, ses lancinantes routines, mais aussi apprécié l’habileté et la vivacité de certains joueurs. Ils avaient perçu la violence que pouvaient recéler les frappes et constaté le piteux état dans lequel in fine terminait le volant, ce  bel emplumé !
    Ainsi, les lecteurs décodaient spontanément l’allusion ou la charge contenue dans les propos y faisant référence.
    Les différentes facettes et perceptions du jeu permettaient de couvrir un large éventail de situations : maltraitance, infortune amoureuse, liberté encagée, lenteurs administratives, ou plus simplement d’évoquer l’inconfort d'un ballottement enduré.

    Autant de figures qui seront abordées et exemplifiées à travers 6 volets. Après avoir abordé le thème des volants persécutés, nous nous intéresserons ainsi :
    - Aux Volants d'Amour cabossés : ces cœurs transis, tourmentés, rejetés, ballottés de raquettes en raquettes, tourmentés par de malicieuses coquettes ou martyrisés de cyniques amants ;
    - Aux Volants captifs à la liberté encagée, enserré entre la double raquette ;
    - Aux Volants politiques et Political shuttlecocks, à travers notamment diverses caricatures éditées outre-Manche ;
    - Aux Volants spirituels et aux Raquettes bavardes : aux échanges verbeux, souvent convenus, mondains, mais aussi aux joutes oratoires pleines de finesse et de spiritualité, entre beaux esprits. Mais aussi aux sonorités d'une pétomanie à deux voix, écholalie d'un concerto en pets majeurs ! ;
    - Aux Volants administratifs : références à l’ennuyeuse rythmicité du jeu, à son fastidieux tic-tac, se gaussant de débats affligeants et de discussions aussi interminables que stériles. Une manière de vilipender les atermoiements et autres lenteurs des mœurs administratives ;
    - Enfin, «À dada sur mon volant» montrera combien le jeu du volant a été utilisé pour imager le fait d’être bousculé, brinquebalé, à son corps défendant.

    Mais avant d'en arriver à ces derniers ballottements, nous nous pencherons sur des écrits où le jeu du volant est convoqué pour illustrer une brutalisation (physique ou psychologique), pour tourner en ridicule la cible des sarcasmes ou dénoncer une sourde violence (celle de pauvres bougres soumis au bon vouloir, voire à l’arbitraire, de supérieurs hiérarchiques).
    Le volant, sans cesse rejeté, fait alors office de punching-ball, tandis que les raquettes arment les bras de ses persécuteurs.
 

Volants souffre-douleurs
   
Au XVIIIème et XIXème siècle caricaturistes satiriques et pamphlétaires armés de crayons ont usé de la métaphore visuelle du jeu du volant pour se gausser de personnages honnis, réduits à l’état de dérisoires jouets cabriolant de raquette en raquette.
    Toujours en l’air, le maudit volant est positionné dans un entre deux à la fois menaçant (en attente de subir une nouvelle frappe) et incertain (que va-t-il advenir de lui ? Quel coup va-t-il recevoir ? Dans quel état va-t-il finir ?).
    Transformé en hochet, l’objet de la critique est dès lors tourné en dérision, humilié, raillée.

    Nous avons déjà présenté sur ce blog trois caricatures se gaussant de hauts personnages voltigeant entre des raquettes empoignées par leurs tourmenteurs. Mortifiante, outrageante et ridiculisante fessée notamment administrée :
    - à Napoléon Bonaparte, en 1814, dans trois estampes où le «petit caporal» vaincu circule entre les raquettes d'adversaires prenant tour à tour leur revanche. Voir «Le volant-Corse (ou comment jouer avec Bonaparte)» ;

Bonaparte Napoléon Caricature Volant-Corse


    - à Napoléon III, vers 1870, affublé du désobligeant sobriquet de Badinguet par ses détracteurs. Se reporter à «Une partie de Badinguet, le voleur-Volant» ;

Napoléon III Badinguet Caricature Partie Volant


    - et à la confrérie (honnie) des Jésuites, représentée en 1878 sous les traits caricaturaux du «Basile Volant !».

Caricature Pépin Partie Volant Jésuite Basile

 

    Pris au piège de ces «battoirs», le sujet de la moquerie se trouve à la merci d’implacables joueurs qui s’amusent de son impuissance.
    Transformé en pantin, il subit, de fait, une «punition». Une déculottée à laquelle il ne peut se soustraire. Sur son postérieur, rond comme un bouchon, s’applique la frappe moqueuse et déshonorante. Une claque aussi vengeresse que cathartique pour tous ceux qui ont dû jusque-là supporter ses exactions.
    Il n’est plus qu’un hochet aux mains de ceux qui le tracassent, pris entre deux comparses qui le maintiennent en l’air, le malmènent pour le plaisir de lecteurs qui se rient de la correction administrée. «Volant» désarticulé qui ne tardera pas, sous la répétition et la violence des frappes, à finir en lambeaux, cabossé, déplumé !

    La métaphore a ainsi été utilisée, en 1861, par Louis Leroy, dans Le Charivari, pour imager le passage-à-tabac d’un Général d’armée fraichement promu, rossé par une troupe mécontente de son arrivée. Subitement, celui qui menaçait de décimer les séditieux se fait copieusement tabasser par les soldats récalcitrants. Il valdingue sous leurs coups redoublés, rebondissant de l’un à l’autre dans un déglinguant va-et-vient : les réfractaires «empoignent leur général, le font voltiger de droite et de gauche en simulant une partie de volant où les poings et les pieds servent de raquettes.» [1]
 

Louis Leroy, «Les Bachi-bouzouks de François II», Le Charivari, 26-12-1861.

 

Condamné à « être berné » !
   
Cette idée de se faire malmener sans pouvoir réagir, d’être réduit à un pantin désarmé mis au supplice, se retrouve dans cette description de la condamnation à «être berné» !
    Ce «châtiment», qui prête à sourire, est mentionné en 1873 par Abel Quinton dans une note de bas de page de son roman Aurélia. L'ancienne et divertissante peine consistait à allonger le condamné sur un tapis, la berne (qui était une couverture ou une étoffe de laine grossière), violemment secoué par quelques hommes vigoureux, en l’occurrence «douze esclaves, aux formes athlétiques». À peine la victime avait-elle touché la couverture qu’elle était «aussitôt relancée».
    Selon l’érudit romain Caius Suetonius Tranquillus, plus connu sous le diminutif de Suétone (un scholasticus – homme de bibliothèque –, auteur notamment des Vies des douze Césars), l’exécution de ces «évolutions aériennes», toutes en rebonds cadencés, où le persécuté était envoyé in sublime (en haut, en latin), s’effectueraient «à peu près comme la raquette reçoit et rejette le volant» [2] . :

Abel Quinton, Aurélia ou les Juifs de la porte Capène, 1873.

 

    Le jeu du volant a également été utilisé pour souligner la vulnérabilité des sous-fifres, des auxiliaires, des petites-gens et plus largement du peuple, face au pouvoir des «puissants». Un discours porteur en filigrane d’une critique de l’omnipotence et du mépris de ceux qui détiennent les manettes (raquettes) :
    - En 1831, dans le Manuel de la civilisation et des révolutions du baron Nicolas Massias, ce sont les petits-fonctionnaires dont les supérieurs hiérarchiques font peu de cas qui servent de volants : «Les subalternes dans les bureaux sont des volants qui passent de la raquette d’un joueur sur celle d’un autre joueur, et que, lorsqu’ils tombent, on ne prend pas toujours la peine de ramasser[3]

    - En 1884, pour un rédacteur des Annales Catholiques, ce sont les «milliers d’ouvriers [sans travail et mourant de faim qui] sont ballottés comme des volants de raquette entre la municipalité et le gouvernement. Le maire les renvoie au ministre, et le ministre les renvoie au maire. En attendant, la misère augmente […].» [4]

     - «Ah ! pauvre peuple ! éternel volant de raquette qui ne reçoit que des coups !», fera dire, en 1877, Georges Japy à l’un des protagonistes de son roman Mademoiselle Baukanart [5].

    - En 1905, pour Edmond Fleury, «les “retraites ouvrières” sont un dada généralement enfourché par tous les partis. Il y a surenchère d’extrême droite à extrême gauche, et les politiciens renvoient le contribuable comme le volant d’une raquette à l’autre, dans la seule pensée de séduire l’électeur.» [6]

    Aussi, certains lassés de servir de volant, de tendre l’autre fesse, se retirent-ils subitement du jeu :
    - «Submergé par les difficultés, demandant à cor et à cris des instructions au contrôle, à la préfecture, au conseil d’administration qui se le renvoyaient comme un volant sur la raquette, le malheureux M. Bret a fini par la trouver plus que saumâtre. Il a tout planté là et s’en est retourné à Paris.» (Journal Les Tablettes, décembre 1913 [7]) ;

    - «Un mouvement de doigt changeait l'infinie opulence en l'infini dénuement ; l'infini dénuement en l'infinie opulence ; j'étais comme un volant entre la raquette Rien et la raquette Tout ; et je haletai : “Grâce ! Grâce ! Grâce !”» (Mendès Catulle, Le Chercheur de tares, 1898) [8] ;

    - «Cependant, fatigué, dégoûté d’être traité comme un volant sur la raquette, le général Dumas donna sa démission.» (1907) [9]

    Pour son malheur, l’infortuné volant est incessamment chahuté, trimballé, berné, jusqu’à l’exténuation et la chute fatale. Il est alors abandonné par ceux qui ne sauraient s’abaisser à le ramasser. Là s’achève la course de l’arriviste, de celui qui quémande quelques grâces (voir ci-dessous la lorgnette philosophique), là se fracassent les ambitions de celui qui prétendait jouer dans la cour des grands : «L’ambitieux ressemble au volant ; les grands, qui jouent à la raquette, se le renvoient les uns aux autres, jusqu’à ce qu’il vienne à tomber ; alors le jeu cesse, et le volant reste à terre.» (Charles François Lhomond, 1857) [10]

    Cet aphorisme est d'évidence largement inspiré de cette onzième pensée édité en 1785 par Grimod de la Reynière dans un opuscule, sous le titre Lorgnette philosophique :

Grimod de la Reynière, Lorgnette philosophique, 1785, p. 65


    Cette mise en garde est d'ailleurs reprise, en 1818, dans le Dictionnaire des gens du monde, où Alexandre Baudoin donne la définition suivante du mot Grâce [11] :

Alexandre Baudoin, Dictionnaire des gens du monde, 1818.

 

    Parlant de la douleur des peuples qui servent «d’éternel enjeu à quelques roués [des rusés, sans scrupule] qui blâment aujourd’hui ce qu’ils exaltaient hier», le journaliste politique de La Semaine fait également référence, en 1851, au triste rôle de l’ambitieux volant [12] :

La Semaine. Encyclopédie de la Presse Périodique, 7 février 1851.

 

Une Partie de Volant agonistique
   
Le volant peut représenter une entité, une abstraction, comme le peuple (ou l’Europe), éreintée par des raquettes antagonistes. Le volant est alors l’objet d’un combat entre deux forces contraires, deux volontés diamétralement opposées. Dans cette confrontation, il ne s’agit plus de faire durer le plaisir mais de se rendre coup pour coup et prendre le dessus. Une lutte dont le volant ne sort jamais indemne…

    Dans Le Charivari, du 31 mars 1869, le célèbre peintre et caricaturiste Honoré Daumier qui, de 1866 à 1872, «prend pour thème préféré les relations entre les nations européennes et les illusions de paix […], traduit l’angoisse d’une partie de la France » face au conflit franco-allemand qui «sourdement se forme», en mettant en scène une partie de volant entre la Guerre et la Paix [13].
 

Daumier La Partie de Volnt Le Charivari 1869
Honoré Daumier, «La Partie de Volant», Le Charivari, 31 mars 1869


    Comme l’analyse Édouard Dolléans dans son Histoire du mouvement ouvrier : «Le volant, c’est l’Europe. L’enjeu, des vies humaines» [14] .
    Le bilan humain de la guerre qui opposera, du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871, la France de Napoléon III à la Prusse de Bismarck, est évalué à 139 000 morts et 143 000 blessés dans les rangs français (et à plus de 500 000 prisonniers de guerre dont 18 000 périrent dans des camps).

    Prochain épisode de cette série consacrée au jeu du volant comme métaphore : «Cœurs maltraités, jouets des destins».

[1] Louis Leroy, «Les Bachi-bouzouks de François II», Le Charivari, 26 décembre 1861, p. 4.
[2] M. A. Quinton, Aurélia ou les Juifs de la porte Capène, Paris, P. Lethielleux, 1873 (nouvelle édition), p. 413, note 177.
[3] Baron Nicolas Massias, Manuel de la civilisation et des révolutions, Paris, Firmin Didot Frères, 1831, pp. 91-92.
[4] «Chronique de la semaine», Annales Catholiques. Revue religieuse hebdomadaire de la France, Tome 4 (octobre-décembre 1884), 4 octobre 1884, p. 54.
[5] Georges Japy, Mademoiselle Baukanart, Paris, Georges Decaux, 1877, p. 200.
[6] Edmond Fleury, «Les retraites ouvrières», in L’Avenir de la Maréchalerie pour l’Agriculture et l’Industrie, n° 51, 1er juin 1905, p. 900.
[7] Les Tablettes, Marseille, 20ème année, n° 1016, 18 décembre 1913, p. 6.
[8] Mendès Catulle, Le Chercheur de tares, 1898, Paris, Bibliothèque-Charpentier, p. 307
[9] «Le Général Alexandre Dumas», in Bulletin de la Société Historique Régionale de Villers-Cotterêts Chargée de la Conservation du Musée Alexandre Dumas, 1907, p. 97.
[10] Charles François Lhomond, «Remplacez le tiret par l’un des mots à, ou, par», in Nouveaux exercices d’orthographe et d’analyse, 1857 (2ème édition), p. 92.
[11] Alexandre Baudoin, Dictionnaire des gens du monde, à l'usage de la Cour et de la Ville ; par un jeune hermite [sic], Paris, Alexis Eymery et Baudoin Frères, 1818 (seconde édition), p. 97.
[12] La Semaine. Encyclopédie de la presse périodique, n°6, 7 février 1851, p. 1.
[13] Honoré Daumier, «La Partie de Volant», Le Charivari, 31 mars 1869, p. 3.
[14] Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier. Tome I : 1830-1871, Paris, Armand Colin, 1948 (4ème édition), p. 233 (1ère édition 1936).

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